DE 20 % À 10 % : LA POPULATION BLANCHE A FORTEMENT DÉCRU EN TRENTE ANS
on se régale de bière artisanale, de miel toutes fleurs fynbos, de café du Limpopo ou de la traditionnelle polenta, le pap. Le chef ( blanc) le plus en vogue du continent, l’Anglais Luke Dale- Roberts, y officie à la Test Kitchen, en face du céramiste ( noir) Andile Dyalvane, dont la famille est originaire du Ciskei, un ancien bantoustan. « Il y a trente ans, je venais au Cap pendant les vacances car mon père y travaillait, explique Andile. Ma mère n’avait l’autorisation de lui rendre visite que si elle était accompagnée des enfants. Lorsque l’on annonçait des descentes de police, les femmes qui avaient enfreint cette loi s’emparaient du premier enfant aperçu dans la rue, ou demandaient à leurs voisines qu’elles leur en prêtent un, le temps du contrôle… » Cette législation, qui nous semble médiévale, n’a pourtant été systématisée que dans l’après- guerre. Au parc botanique de Kirstenbosch, parmi les plus beaux du monde, les employés noirs furent expulsés, dans les années soixante, de leur village voisin de Protea, devenu zone pour Blancs. Relogés à des dizaines de kilomètres, dans les Cape Flats, ils furent contraints de prendre un bus – pour Noirs – pour venir travailler… Le deuil de l’apartheid passe par la connaissance et la parole. À la fin des années 1990, la commission Vérité et Réconciliation, dirigée par Desmond Tutu, a fait s’épancher d’anciens tortionnaires en échange d’une amnistie. Ici, à un niveau plus modeste mais significatif, les panonceaux font ce travail de mémoire. Au pied des amandiers sauvages - extraordinaire réseau de troncs sinueux qu’escaladent les robinsons en culottes courtes -, une notice rappelle que ces arbres vénérables furent eux aussi racistes ! Plantés par les colons néerlandais il y a près de quatre siècles, ils devaient former une barrière et isoler les Européens de la communauté khoikhoi… « J’imagine assez bien l’Afrique du Sud avec un président noir ! » Il y a 28 ans, l’envoyé spécial de Grands Reportages citait ce propos insensé de Pik Botha, alors ministre des Affaires étrangères. Et si cette prédiction était amenée à se réaliser, notre reporter aurait bien vu Mangesotho Buthelezi, le chef des Zoulous, dans ce rôle. Quelques lignes plus loin, il citait incidemment deux autres noms, ceux des antagonistes principaux de Buthelezi, deux membres dirigeants de l’ANC : Nelson Mandela, alors emprisonné, et Oliver Tambo, exilé à Londres. Mandela est aujourd’hui un géant de l’histoire du XXe siècle, mais il faut le reconnaître : quatre ans avant sa libération et huit ans avant son élection, il fallait une sacrée prescience pour l’imaginer à la tête du pays. L’histoire a parfois de ces accélérations… Partout, sa geste est aujourd’hui célébrée : on a donné son nom à la voirie, à des écoles, des universités. Ses statues abondent au Cap, à Johannesburg, à Lions River ( près de Pietermaritzburg, où il fut arrêté, barbu, sous le faux nom de David Motsamayi, le 5 août 1962 par le sergent Voerster, pour entrer dans le tunnel de ses 27 ans de captivité). On se dispute son héritage, parfois de façon sordide. En 2011, l’un de ses petits- fils, Mandla, devenu chef tribal des Xhosas ( un rôle que Mandela avait toujours refusé de revêtir, malgré les cajoleries des Blancs, qui auraient aimé le détourner ainsi de la lutte politique), s’improvisa croque- mort. Il fit déterrer les dépouilles des enfants Mandela du cimetière de Qunu pour les faire inhumer chez lui, à Mvezo. La famille et la justice le forcèrent en 2013 à faire marche arrière. Qunu et Mvezo ne sont distants que de quelques kilomètres. À Qunu ( où il choisit