Arménie LES FERVEURS DU CAUCASE
Terre chrétienne depuis le IVe siècle, à la croisée des influences orientales et occidentales, l’Arménie vibre encore du souffle biblique : partout, dans ses montagnes tour à tour âpres et luxuriantes, s’égrènent monastères perchés, églises rupestres, pie
An de grâce 451 de notre ère. Arméniens et Perses sont massés de part et d’autre de la grande plaine d’Aravayr.
Ces derniers veulent convertir au mazdéisme le peuple d’Arménie, qui a officiellement embrassé le christianisme un siècle plus tôt. Avant le choc des armures et les jets de flèches, le chevalier Vartan Mamikonian, s’adressant à ses troupes, proclame que leur religion fait partie d’eux, telle une seconde peau, et qu’il faudra la leur arracher pour les faire changer d’avis. La bataille fera rage et malgré la victoire finale des Perses, plus nombreux et mieux armés, les Arméniens gagneront le droit de garder leur religion. Une éclatante victoire spirituelle, cachée sous un revers militaire ! En Arménie, l’horizon n’est jamais rectiligne et ce n’est pas qu’une métaphore géopolitique. Les reliefs s’invitent partout, donnant aux paysages ce caractère chahuté, favorisant la préservation d’une civilisation spécifique. À Geghard, splendide monastère coincé au fond d’une gorge, plusieurs chapelles troglodytiques, à l’acoustique merveilleuse, voient défiler des foules extatiques. Tout un bestiaire sculpté dans la roche évoque des réminiscences païennes, alors que sous un pavillon à l’écart, des hommes sacrifient moutons et poulets en signe d’action de grâce, pour marquer un événement familial. À quelques kilomètres de là surgit sur une butte dominant un paysage enchanteur, un insolite sanctuaire hellénistique avec ses colonnades ioniques : le temple du soleil de Garni. Seul monument de ce type hérité du paganisme, ses presque deux mille ans d’âge sont la source d’un tropisme particulier chez les Arméniens, qui adorent venir s’y promener. Plus loin dans les collines du nord- est fourmillent des joyaux médiévaux comme Haghartsine, ancienne université monastique, au charme bucolique sous ses noyers séculaires. Partout, la terre arménienne est jalonnée de khatchkars, ces « pierres croix » toutes semblables et toutes différentes, qui impriment une dimension sacrée à l’espace. Barbouillées de lichens orange, fièrement exposées sur un piédestal à l’entrée des églises ou dormant dans les églantiers, ajourées comme une fine dentelle ou puissantes et brutes dans la pierre noire, elles « habitent » les lieux avec un dépouillement rassérénant. À Noradouz, près des berges de la mer intérieure qu’est le lac Sevan, deux mille d’entre elles composent un envoûtant paysage celtique, que hantent troupeaux itinérants et villageoises tricoteuses, devisant sous le crachin. Près de la frontière géorgienne, bout de piste à Aghpat. Un ciel d’encre jette sur ce site classé au patrimoine mondial une atmosphère crépusculaire. Pesante mais sublime ! Églises et chapelles entremêlées, allée de khatchkars, mausolées royaux, bibliothèque scriptorium, réfectoire avec son moulin à huile… Quelle cohésion architecturale, quelle élégance ! Quand un premier éclair zèbre l’écran noir des nues, le complexe prend une allure d’outre- tombe, jusqu’au campanile solitaire, formant contre le ciel une silhouette gothique. Est- ce la fin du monde ou le début d’un autre ?