Grands Reportages

SANCTUAIRE­S DES MÉTÉORES

- TEXTE ET PHOTOS MARC DOZIER

Perchés entre ciel et terre au nord de la Grèce, les monastères des Météores perpétuent, malgré une histoire orageuse et un tourisme envahissan­t, les voeux de l'ascétisme orthodoxe.

« Le plus dur lorsque l'on vit ici ? » , répète lentement Chrisostom­os, un moine orthodoxe vivant perché au sommet des Météores depuis plus de quarante- six ans. « Le plus dur… » , fait- il mine de réfléchir en caressant sa barbe qui dégringole en cascade autour de sa bouche souriante, « ce n'est ni la solitude ni le dénuement que nous sommes venus chercher. Non, le plus dur e st d'être confronté à soi- même, de se retrouver face à face avec ses passions et son égoïsme » . De l'abnégation, il en aura fallu à Chrisostom­os pour rebâtir, pierre après pierre, le monastère Sainte Trinité où il vit, loin du monde depuis vingtsix années. Plus haute, plus difficile d'accès et moins riche que les autres, cette retraite perchée est l'une des moins visitées des Météores. Une aubaine pour les trois moines installés là, qui ont fait voeu de suivre la difficile voie de l'ascétisme orthodoxe et de renoncer aux affections terrestres en s'isolant au sommet de ces blocs- champignon­s. Inscrits sur la liste du Patrimoine mondial de l'humanité par l'Unesco en 1988, ces édifices « représente­nt une réalisatio­n unique » , note à l'époque le compte rendu d'évaluation du site, où un « lieu de retraite, de méditation et de prière (...) trouve ici l'une de ses expression­s les plus fortes » . Depuis, rien n'a changé. Ou si peu… Dressés comme une armée de géants pétrifiés, les piliers de grès, coiffés des monastères comme d'un chapeau de tuiles, semblent garder l'entrée de la plaine de Thessalie. Si on compta jadis jusqu'à vingt- quatre de ces « monastères suspendus » , seuls six ont aujourd'hui refleuri après avoir subi les outrages de l'intoléranc­e, de la guerre et de l'indifféren­ce. Six monastères perchés dans un mouchoir de poche : Grand Météore, Varlaam, Roussanou ( Aghia Barbara), Saint- Nicolas ( Aghios Nikolaos Anapausas), Sainte- Trinité ( Aghia Triada) et Saint- Étienne ( Aghios Stefanos). Six monastères pour une cinquantai­ne de nonnes et une trentaine de moines nichés au- dessus des hommes et de leurs tumultes, plus près du ciel et de son silence pour mieux entendre la voie de Dieu. Autrefois coupés du monde, uniquement accessible­s par d'étroits sentiers, les monastères sont aujourd'hui pourvus d'escaliers bâtis au début des années vingt et reliés entre eux par une route d'une dizaine de kilomètres construite dans les années soixante. Fuyant les fureurs du monde, les moines parviennen­t à trouver un équilibre entre la vie monastique - solitaire et désintéres­sée - et un tourisme - parfois envahissan­t et toujours lucratif - qui a redonné vie à toute la région. « Nous accueillon­s les visiteurs huit heures par jour » , commente Fevronia, une jeune nonne du monastère de Saint- Étienne, « mais lorsque la porte se referme à la fin de la journée, nous restons seules avec Dieu » . Avec les recettes générées par le tourisme, chaque communauté parvient à supporter l'entretien coûteux des bâtiments, à préserver le formidable patrimoine dont elle est dépositair­e et à poursuivre leur vocation caritative tout en perpétuant l'antique pratique de l'ascétisme. Nonnes, moines ou villageois, tous espèrent pouvoir continuer à emprunter cette voie peu « orthodoxe » . « Il ne faut pas que la modernisat­ion et l'argent empêchent les Météores d'être les Météores » , espère le vieux Chrisostom­os, « ils doivent rester un hôpital pour l'âme et un sanctuaire pour l'esprit. »

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