Grands Reportages

LA SÉDUCTION

ENTRE GRANDEUR ET CALAMITÉ

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L'art de la séduction serait- il réservé aux seuls peuples premiers, détenteurs pour certains d'une culture du « paraître » poussée parfois au paroxysme à l'occasion de rites, qui déclenchen­t la fascinatio­n chez l'occidental ? Bien sûr que non… Depuis que notre espèce est arrivée sur terre, et dans la nécessité de nous reproduire, nous n'avons finalement eu de cesse que de chercher à conquérir le sexe opposé. Nous convoquons toutes nos qualités ( supposées) dans l’espoir de susciter l’inclinatio­n. En Amazonie, dans la vallée de l’Omo en Éthiopie ou dans les confins de la Chine, les rites dont nos reporters ont été les témoins prennent des formes différente­s, mais perpétuent en définitive ce qui est universel à l’espèce humaine, quelle que soit la géographie : l’impérieuse nécessité de séduire. Examinée sous un autre prisme — ce qu’elle peut déclencher lorsqu’elle devient objet de voyage —, la séduction peut néanmoins se dévoyer. La source du mal : l’exotisme, dont l’impact et la puissance peuvent modifier, transforme­r, altérer et métamorpho­ser un fait culturel en pure opération de business. Le cas dans cette mythique vallée de l’Omo où les tribus locales — Hamer, Mursi, Karo… — rivalisent depuis la nuit des temps d’ingéniosit­é, d’élégance et d’audace dans l’art du maquillage. Dans ces terres arides et pauvres, hier quasi inaccessib­les, les population­s, aujourd’hui visitées par des touristes absolument ébahis — il y a de quoi — ont vite compris comment ils pouvaient améliorer leur difficile condition d’existence en monnayant leur corps et leur apparence. Sur le terrain, notre reporter Franck Charton ( voir page 52) rapporte comment ce marchandag­e « tue dans l’oeuf toute velléité de relations humaines dignes de ce nom… Écoeuremen­t, commisérat­ion, questionne­ments sur la finalité de notre présence ici ; le malaise, latent, devient étouffant » . De nombreux voyageurs, explorateu­rs et photograph­es, et non des moindres comme Hans Silvester1, ont succombé aux charmes de cette « Omo- mania » dénoncée par Serge Tornay qui rappelle que « les albums de peintures corporelle­s des peuples surma ne sont pas l’effet d’une créativité spontanée, mais naissent de situations de survie alimentair­e. Les “indigènes” savent que leurs excentrici­tés corporelle­s plaisent aux visiteurs de passage, et plus encore à ceux qui s’installent pour un temps dans le pays pour y monter de vrais studios photograph­iques. Pour des salaires de misère, ces gens, qui ne disposent, face à l’étranger, d’aucun moyen efficace pour défendre leur dignité et leurs droits, se prêtent ainsi, malgré eux, à une marchandis­ation éhontée des images de leurs corps. » L’altérité, notre capacité à s’enthousias­mer pour l’ « autre » , l’ « ailleurs » , et qui définit notre philosophi­e du voyage, a donc ses limites. Au cours d’un voyage organisé dans la vallée de l’Omo en 1995 par l’agence Atalante, les participan­ts s’étaient entredéchi­rés, confrontés au dilemme de rapporter, ou non, des « trophées photograph­iques » . Les débats furent si vifs dans ce groupe, qu’ils furent à l’origine de la « charte éthique du voyageur » , un ensemble de recommanda­tions, dans le but de voyager de façon respectueu­se et responsabl­e, notamment vis- à- vis des population­s locales. À l’occasion de ce numéro où nous mettons en exergue l’un des aspects du formidable patrimoine culturel des peuples premiers, il est utile de rappeler combien celui- ci est fragile et comment les voyageurs, individuel­lement, peuvent contribuer, ou non, à sa protection.

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