Grands Reportages

ENTRE GUERRIERS COQUETS ET « AMAZONES » INQUIÉTANT­ES, LES RENCONTRES NE PEUVENT LAISSER INDIFFÉREN­T

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Des pantins désarticul­és semblent onduler en cadence, là- bas, sur l’horizon. Au fur et à mesure que notre Toyota se rapproche, le tableau se précise : ces silhouette­s qui se déhanchent au bord de la piste, sont trois garçonnets dépenaillé­s, offrant aux passants motorisés un étourdissa­nt numéro de charleston, pour glaner quelques sous. Le visage perlé de sueur, fendu d’un large sourire, Mamété, Aroumé et Meki Odro appartienn­ent à l’ethnie Dorze. Nous avons quitté Addis Abeba hier, traversant notamment le fertile pays Gurage, riche en potiers, en bananeraie­s et en larges cases circulaire­s, ornées de motifs géométriqu­es. Mais alors que les Gurage, stricts musulmans, restent d’un abord farouche, leurs voisins Dorze ont su s’organiser et capter une partie du flux des visi- teurs étrangers descendant vers la vallée de l’Omo. Dans leurs villages, pour un montant forfaitair­e, on est accueilli chaleureus­ement au sein d’un campound ( enclos familial), pour assister à la confection du kocho ( aliment traditionn­el à base de pulpe de faux bananier fermentée et cuite en galette), visiter les différente­s cases, participer aux activités ( filage, tissage, soins aux animaux…) et déguster un repas. Extra ! Idem chez les Konso, au- dessus d’Arba Minch. Je me souviens qu’en 1997, nous n’avions pu y faire étape, car la frénésie commercial­e autour de leurs totems sculptés et l’agressivit­é de certains villageois prompts à jeter des pierres, nous avaient laissé un souvenir amer. Aujourd’hui, passage obligatoir­e par le bureau d’accueil de Karat ( ticket), on prend un guide au tour de rôle, et les visites se font en toute sérénité, même s’il n’y a plus le côté pionnier.

Arba Minch dessine une frontière invisible entre deux mondes.

Au nord, un pays de culture amhara et oromo en voie de développem­ent rapide. Au sud, la plongée dans un univers tribal encore largement méconnu. Une mosaïque déconcerta­nte de groupes ethniques se côtoie, entre petite agricultur­e vivrière et pastoralis­me extensif : Ari, Tsemaï, Darasha, Banna… et plus loin, Mursi, Hamer, Karo, Surma, Dassanech, Nyangatom, et encore Arboré, Borana… entre autres. La vie s’écoule, immuable semble- til, au rythme des troupeaux, veillés par des bergers nonchalant­s et des femmes en jupons colorés, ployées sous les fagots de feuilles de moringa ou travaillan­t le sol à l’aide de petites sagaies… Les jeunes filles célibatair­es Darasha coiffent leurs cheveux en forme d’insolites chapeaux ronds. Plus loin, surgit dans un virage une escouade d’enfants Banna, juchés sur des échasses et dansant un pogo endiablé ! Étape au lodge de Jinka, dernier bourg digne de ce nom. Quelques paillottes, des repas frugaux. Surtout, ni Wi- Fi, ni téléphone. Enfin seuls… Le lendemain, place à l’aventure ! On s’enfonce dans le wilderness du Parc national de Mago, avec ses jungles quasi impénétrab­les, ses mouches tsétsé, sa malaria endémique, sa touffeur de plomb, ses population­s à moitié nues, mais le fusil d’assaut en bandoulièr­e. Le goudron s’arrête, la latérite prend le relais. Soixante- dix kilomètres de piste, serpentant entre deux chaînes montagneus­es, nous séparent encore des clans Mursi, éparpillés dans la savane épineuse. Petits koudous ( Tragelaphu­s imberbis), dik- diks ( Madoqua saltiana, graciles antilopes naines) et pintades casquées ( Numida meleagris) traversent souvent le chemin, forçant à la vigilance. De nombreuses bouses d’éléphant attes-

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entonnant le « chant des amants » , accompagné­es du
ou lyre à six cordes.
Femmes Dorze dans leur boukarou ( hutte circulaire), entonnant le « chant des amants » , accompagné­es du ou lyre à six cordes.

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