DANS CES ESPACES INFINIS, NOTRE RAPPORT AU MONDE DEVIENT PLUS HUMBLE, PRESQUE PHILOSOPHIQUE
aujourd’hui une figure tutélaire auprès des éleveurs locaux. Il reviendra régulièrement, pour se procurer viande de guanaco, plumes de nandou et peaux de renard. L’exploration du Paine prend une trentaine d’années, les premiers estancieros s’y installant au tournant du XXesiècle. Ces montagnes sont alors connues comme la Sierra de los Baguales, ou des « chevaux sauvages » . Le cheptel s’élève à trente- deux mille ovins et trois mille bovins, sur 110 mille hectares défrichés et mis en valeur, appartenant à sept ou huit grandes estancias. Mais surpâturage chronique, destruction systématique par le feu et chasse à outrance de la faune sauvage, conduisent à la sanctuarisation du massif, par les autorités. Le parc, créé en 1959 sur 43 kilomètres carrés seulement, fait aujourd’hui 181 mille hectares, accru par tranches successives au fur et à mesure de l’acquisition des domaines limitrophes. Il est classé patrimoine Unesco depuis 1994. Comme ailleurs en Patagonie, les populations indigènes : Indiens kaweskar ( ou Alakaluf), Yagan, Selk’nam ou Tehuelche, ou encore Ona de Terre de Feu, furent exterminés en quelques décennies, victimes d’abord des épidémies, du « clôturage » extensif de leurs zones de chasse, puis de massacres délibérés sous les balles des ranchers, aidés ensuite par des chasseurs de prime payés au rendement, comme le raconte l’écrivain chilien Luis Sepulveda : « Ma mère avait été victime et témoin d’un des grands génocides de l’histoire moderne. Des propriétaires, qui sont aujourd’hui vénérés comme des paladins du progrès à Santiago ou à Buenos Aires, ont pratiqué la chasse à l’Indien, payant dix onces d’argent par paire d’oreilles, puis par testicules, par seins et enfin par tête de Yagan, d’Ona, de Patagon ou d’Alacaluf, qu’on leur apportait dans leurs estancias » Une émouvante photo sépia montrant trois jeunes filles Selk’nam, peintes aux couleurs de leur clan mais regard résigné, accrochée dans le hall d’un refuge, me hante encore…