Grands Reportages

BONHEUR DE MARCHER DANS UNE NATURE BRUTE, QUI RAPPELLE LA WILDERNESS DES ORIGINES

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la vallée du Français, sillon boisé se faufilant entre glacier suspendu d’un côté, et Cuernos ( cornes) de l’autre. Ces sommets emblématiq­ues sont à la fois massifs à leur base, effilés à leur pointe, et surtout bicolores. La roche est en effet foncée et sédimentai­re aux extrémités, beige clair et granitique au centre ! On rejoint en haut de la vallée deux petits lacs adossés à un cirque rocheux, avec des vues fantastiqu­es sur l’enfilade de parois, big walls arrogants ou flèches hardies, les forêts de cyprès tordus ( Fitzroya cupressoid­es) parfois « bonzaïfiés » , les tourbières ventrues et les torrents bondissant­s. Du côté de la dernière branche du « W » , à l’ouest, le panorama sur le colossal glacier Grey se révèle grandiose

Les autres hauts lieux du Paine :

Grande, grâce au catamaran qui traverse le lac Pehoe vers Pudeto, trois fois par jour en saison. De là, je gagne l’Estancia Tercera Barranca, l’une des grandes fermes d’élevage du secteur, tournée de plus en plus vers l’écotourism­e haut de gamme, avec les reliefs du Paine en toile de fond. Le cheptel : mille sept cents moutons, quatre cents vaches, quatre- vingts chevaux. Une poignée de privilégié­s vient goûter là à la vie d’estanciero­s Magallanes : cavalcades dans des steppes dignes de la Mongolie, travail des baqueanos, safari en véhicule 4x4, hot tub et dîner gastronomi­que le soir. Balade avec Santiago dans la pampa, appelée ici « coiron » , le pâturage de l’infini, symbole de l’identité locale. Entre deux barrières à ouvrir et à refermer, on devise, tout en observant harems de guanacos, nandous effarouché­s, renards en goguette, lièvres furtifs et condors en vol stationnai­re. Tout ici parle des confins : la piste qui mène au ranch s’appelle « Route de la fin du monde » , la douzième région chilienne est celle de Magellan et de l’Antarctiqu­e, la province celle du dernier espoir : Ultima Esperanza ! Pause contemplat­ive à l’estancia abandonnée Santa Genita, accrochée à un vallon perdu, en vigie sur la prairie. Le site est envoûtant : vue imprenable sur la Laguna Verde, face au massif, qui semble ramassé sous un nouveau contingent de nuages noirs, griffés par les ongles de granit des tours du Paine. Des guanacos par centaines. Pas d’eau, pas d’électricit­é, mais un puits, une éolienne et un antique saloir à demi enterré en guise de frigo. Le dernier baqueano est parti il y a quelques années. Le poêle garde encore dans sa gueule ouverte une bûche à demi calcinée. On partage un maté en silence. Santiago sourit de l’intérieur, sa peau cuivrée et ses yeux plissés trahissent son ascendance indienne. Seul le vent qui étrille le paysage parle ; il raconte les hivers polaires, le parfum entêtant des baies de calafate et les pumas solitaires descendus des hauteurs prélever leur dîme. Comment ne pas ressentir un appel impérieux devant cette démesure qui force l’humilité, qui frise l’abstractio­n ? La Patagonie reste un voyage sensoriel où alternent coups de boutoir souverains et élans mêlant caresses et brutalité, nostalgies et ivresse.

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