Grands Reportages

CLASSÉES PAR L’UNESCO, LES DUNES MOUVANTES DE SLOWINSKI FORMENT UN DÉCOR LUNAIRE

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À GDANSK, L’ARCHITECTU­RE BÉTONNÉE A CÉDÉ LA PLACE À LA LUMIÈRE ET AU DESIGN

29 septembre 2014. C’est une douceur automnale exceptionn­elle qui nous accueille à l’aéroport flambant neuf de Gdańsk. Vaste hall lumineux, architectu­re high- tech, la capitale de la Voïvodie de Poméranie affiche, dès l’arrivée, l’image d’une Pologne moderne. Notre guide Andrzej Falkowski ( André), embarque d’un geste efficace nos bagages. Et c’est parti ! Au fil des kilomètres qui nous séparent du centre- ville, la première impression se confirme. « La Pologne percevra 104 milliards de subvention­s européenne­s entre 2014 et 2019 pour se mettre au niveau des autres pays de l’Union. » L’architectu­re bétonnée de l’époque communiste est bien révolue. Place à la lumière, au design. En témoigne le nouveau stade de foot PGE Arena, qui renvoie, telle une pierre précieuse, ses 5 hectares de facettes jaune d’or au soleil. Une main sur le volant, André pointe partout un pays en mutation à coups d’engins de travaux public. Le sable et les graviers extraits de la mer Baltique servent au terrasseme­nt d’un nouveau visage urbain. En 2015, une autoroute reliera ainsi la Tchéquie et les trains mèneront à Varsovie en seulement 2 h 30. Un tunnel de 800 mètres de long passera bientôt sous le delta de la Vistule, le plus long fleuve de Pologne, qui arrose le pays sur 1 047 kilomètres pour finir sa course ici, dans la mer Baltique. Au carrefour des voies maritimes et fluviales, lovée dans une vaste baie protectric­e, Gdańsk ( Danzig en allemand) bénéficie d’une position stratégiqu­e qui, de tout temps, a favorisé échanges culturels, commerces florissant­s, mais aussi convoitise­s des puissances étrangères.

L’or de la Baltique. Nous poursuivon­s à pied dans le Głowne Miasto, le quartier historique. Changement de décor. Les faubourgs portuaires laissent place à une cité coquette au patrimoine historique impression­nant. On y pénètre de préférence par l’ouest. La porte Dorée, empruntée jadis par les rois, s’ouvre sur la longue rue Długa, où rivalisent d’opulence, de somptueuse­s maisons bourgeoise­s caractéris­tiques de la Renaissanc­e flamande. Passé la fontaine de Neptune, l’hôtel de ville, un crochet à gauche et nous voilà dans l’envoûtante rue Mariacka, avec ses terrasses et perrons en bas- reliefs, sculptés de têtes de monstres. On se croirait dans un film de Polanski. Dans ce

décor fantastiqu­e, des mariés viennent chaque jour prendre la pose. On y vient aussi admirer les boutiques et galeries d’ambre, véritables cavernes d’Ali Baba où s’exposent pêle- mêle, des plus kitsch aux plus raffinés, bijoux, lampes, jeux d’échec… Capitale mondiale de l’ambre, Gdańsk perpétue cette riche tradition artistique depuis l’Antiquité. Cette résine fossile, chaude et douce, que l’on trouve en abon- dance dans la mer baltique était alors transporté­e jusqu’à l’Adriatique, le Moyen- Orient, l’Asie par la route de la soie. Aujourd’hui, joailliers d’exception, designers avant- gardistes, sculpteurs de génie ex - posent leurs créations dans le monde entier, mais aussi au musée de l’Ambre de Gdańsk, qui rassemble des chefs- d’oeuvre d’art ancien et contempora­in.

Gdańsk, la cosmopolit­e. Dans cette ville d’art et

CONSTRUITE DANS LES ANNÉES 1970, LA CITÉ HLM DE ZASPA EST DÉSORMAIS UN CENTRE D’ART CONTEMPORA­IN

d’histoire, nous poursuivon­s la balade bouche bée, impression­nés. Heureuseme­nt, impossible de se perdre. Toutes les rues du centre mènent à la rivière Motława, qui enserre l’île des Greniers. Jusqu’au XVIIesiècl­e, trois cent quarante bâtisses en briques rouges à colombage y stockaient les céréales du pays. Membre de la Hanse dès 1361, Gdańsk exporte alors dans toute l’Europe et attire une population internatio­nale. Symbole de la ville, la plus grande grue portuaire médiévale d’Europe domine magistrale­ment la rivière. Ici, c’est un peu la Croisette. Sur cet axe névralgiqu­e, où en été la foire de la Saint- Dominique bat son plein, on aime siroter en terrasse une bière locale, la blonde Browar Piwna ou la Źywe ambrée, en observant des répliques de galions larguer les amarres, emmenant au rythme de chants de marins, les touristes vers le large et la cité balnéaire de Sopot. Dans ce décor de cinéma, difficile d’imaginer que la ville où éclata la Seconde Guerre mondiale fut détruite à 90 %. Courageux et tenaces, les Polonais ont rebâti à l’identique. Région stratégiqu­e avec son libre accès à la mer, la Poméranie a toujours connu guerres et invasions. Démembrée par la Prusse et la Russie en 1793, dépecée par Hitler et Staline en 1939, sous le joug soviétique après guerre, la Pologne a puisé sa résistance dans la religion devenue au fil des siècles, le réceptacle de son identité. Dieu est ici un sauf- conduit, la foi, une bouée de sauvetage. Au sommet de la basilique Notre- Dame de Gdańsk, la myriade de clochers qui carillonne­nt témoigne de la ferveur religieuse et d’une valeur chère aux Polonais : la liberté.

Les chemins de la liberté. C’est à Gdańsk en effet, qu’en 1980, les grèves ouvrières éclatent dans les chantiers navals. Le premier syndicat autonome Solidarnoś­ć est créé. Incarné par le charismati­que Lech Wałesa, il met le feu aux poudres et entraîne progressiv­ement, soutenu par le clergé, l’éclatement du bloc communiste dans toute l’Europe de l’Est. Patrimoine historique, les chantiers navals, hangars ouverts au vent, ont encore fière allure. On y construit désormais des éoliennes offshore qui seront installées au large de la Baltique. En hommage à cette liberté durement acquise, un bâtiment contempora­in en acier Corten rouillé, inau- guré en août 2014, s’est amarré tel un vaisseau immobile, sur ce site chargé d’histoire. « Nous avons voulu rappeler l’activité industriel­le. Pour nous tous, ces chantiers navals sont le berceau de la Pologne contempora­ine » , explique Karol Kalinowski, ingénieur responsabl­e de la constructi­on. À l’étage, une exposition grandiose retrace cette épopée européenne pour la liberté. Émotions garanties ! Gdańsk surprend partout par sa modernité et son audace. Au nord- ouest de la ville, le quartier Zaspa accueille ainsi chaque année des artistes de street art du monde entier, qui réalisent in situ des peintures monumental­es sur les barres d’immeubles. La cité HLM construite dans les années soixante- dix, se transforme en oeuvres d’art. La liberté d’expression s’y affiche en grand format. Installati­ons artistique­s, festivals et concerts philharmon­iques font vibrer la ville de Gdańsk où les Polonais aiment cultiver leur art de vivre.

RÉPUTÉE POUR SES VILLAS ART NOUVEAU, SOPOT, STATION THERMALE, INCARNE LA VILLE DU « BON VIVRE »

Sopot, estivale et branchée. Et les Polonais aiment avant tout la mer, leur mer, la Baltique. De longues pistes cyclables sillonnent le littoral et permettent de relier en 10 kilomètres Gdańsk à Sopot, surnommée la petite Deauville ou le Monte- Carlo du Nord. Son histoire est d’ailleurs liée à la France. En 1823, le docteur Jean- Georges Haffner, ancien médecin de l’armée napoléonie­nne, séduit par le climat, finance un complexe balnéaire qui devient très populaire. Devenue une station thermale huppée, Sopot, avec ses villas Art nouveau, flanquées de tourelles décorative­s et de vérandas ouvertes sur le large, demeure LA ville où chaque Polonais rêve de vivre. Les touristes affluent en été. On y vient tenter sa chance dans les casinos, faire la fête, déguster harengs à la crème et soupes de saumon en front de mer, assister au festival internatio­nal de la chanson, écouter les plus grands musiciens de jazz au club Spatif et se remettre en forme dans les centres de cure où coulent des eaux thermales chargées d’iode et de bromure. Mais la principale attraction de Sopot reste sa jetée en bois, la plus longue d’Europe, avec ses 511,5 mètres pour être précis, qui s’enfuit vers la mer. Y défile un incessant ballet de badauds, de familles, d’amoureux, de mariées prenant la pose ( encore !), de guitariste­s, de prestidigi­tateurs… Près de huit cent mille visiteurs par an, sans compter les mouettes criardes qui se bâfrent du pain jeté au vent par les enfants. On resterait bien là, sur ces 16 kilo mètres de plages continues au sable fin qui relient Gdańsk, Sopot et Gdynia, les trois villes soeurs. Une grimpette en haut du phare situé juste à l’entrée de la jetée donne la mesure du site. « L’hiver, lorsqu’il neige, on peut même venir de Gdańsk en ski de fond sur la plage ! » lâche alors notre guide André. On se promet de revenir. Pour l’heure, la presqu’île de Hel ( prononcer Rel), à une grosse heure de route dans l’Ouest, nous attend.

Le royaume incertain des pêcheurs cachoubes. Une fine langue de sable en forme de croissant, fragile. Un cheveu posé sur la mer, si fin, qu’on aperçoit, à certains endroits, les deux rivages. Bondée en été, abandonnée en hiver, Hel, ancienne base militaire, hésite avec ses 34 kilomètres de plages magnifique­s et ses bunkers, entre enfer et paradis. Les chercheurs d’ambre viennent y tenter leur chance lorsque les tempêtes d’automne rejettent sur les plages des pépites d’ambre brut, à la peau granuleuse comme celle d’un crocodile. On y vient en bottes, épuisette en main, arrondir ses fins de mois, comme d’autres en Bretagne ramasserai­ent les palourdes. Lorsque les touristes s’en vont, restent les pêcheurs cachoubes, fiers de leur langue – proche du vieux polonais – et de leurs coutumes. Au bout de la péninsule, le village de Hel se réduit ainsi hors saison, à une rue principale bordée de maisons de pêcheurs, transformé­es en restaurant­s, chambres d’hôtes à l’étage, et à un long quai d’où partent les chalutiers. Jacek Schomburg, capitaine du Hel 125, nous invite à bord. L’oeil perçant, le nez aquilin. La mer, ça le connaît. Des années qu’il baroude sur la Baltique en quête de merlus, harengs et autres morues. Le saumon sauvage, trop cher pour être vendu sur place, finit sur les étals français. En France

comme en Pologne, le discours reste identique. Les prises se raréfient. « Les quotas ont baissé avec l’Europe. » Les écologiste­s qui veulent protéger les phoques de la baie font pression. « En fin de compte, on ne pêche pas de poissons, on pêche de l’argent. » On sent derrière la fierté, une profonde lassitude, noyée dans un verre de vodka, enfilé cul sec. Pourtant aucun n’imagine sa vie ailleurs.

La Baltique, une exception de la nature. Au bout du même quai, le Fokarium et l’institut océanograp­hique défendent d’autres propos. Dans le bassin, quatre phoques femelles et deux mâles, récupérés sur le littoral, malades ou blessés, font des longueurs. Dans ce centre de réhabilita­tion, on sensibilis­e le public et on étudie les mammifères menacés par les déchets, les produits chimiques

issus de l’agricultur­e et déversés par les fleuves, les filets flottants… Pour le professeur Krzysztof Skora, qui dirige la station maritime, « la Baltique cumule pourtant les exceptions. Formée il y a seulement dix mille ans, c’est la plus jeune mer au monde. » Presque fermée, la Baltique est faiblement alimentée en sel par la mer du Nord, mais largement en eau douce par tous les fleuves des pays côtiers. Si elle abrite ainsi des écosystème­s très différents, elle reste fragile et soumise aux pollutions. « C’est une chance unique d’étudier une mer encore en formation et un incroyable laboratoir­e d’expériment­ation pour la protection de la nature. » Complexe, la mer Baltique nous réserve encore bien des surprises.

Les dunes mouvantes de Słowi ski. Nous reprenons la route, cap à l’ouest pour une ultime étape : le parc national de Słowiński. À l’arrivée, le calme surprend. Seul le vent fait bruisser les hautes herbes qui entourent deux lacs jumeaux, Gardno et Łebsko, refuge des oiseaux aquatiques, des hérons gourmands et des grenouille­s. Nous embarquons dans un petit train qui nous emmène vers le trésor naturel des lieux : des dunes mouvantes classées réserve mondiale de biosphère par l’Unesco. Au bout, le décor lunaire nous coupe le souffle. Cinq cents hectares de montagnes de sable, formées il y a trois mille ans par le vent, avancent inexorable­ment, de l’ordre de 3 à 12 centimètre­s par an, comme mues par une force invisible, vers l’intérieur des terres, sur une forêt, peu à peu engloutie. Des moignons de pins émergent encore, d’autres ont déjà disparu. Rien de magique pourtant. Ce site exceptionn­el résulte d’associatio­ns végétales vertueuses. Des herbes pionnières, dites ammophiles, consoliden­t les plages et les dunes qui peuvent alors progresser, dont la plus imposante varie entre 30 et 42 mètres de haut, et fluctue selon les saisons. Les dunes respirent. Elles se gonflent avec les tempêtes d’automne, se réduisent en été. Nous dévalons les pentes comme des gosses en direction de la mer. Plages désertes à perte de vue, bois flottés, souffle du large, mouettes au garde- à- vous les pattes dans l’eau. Nous respirons une dernière fois à pleins poumons l’air de la Baltique, qui tire ici sa plus belle révérence.

 ??  ?? Jouxtant la porte Dorée, la halle St- Georges de style gothique est coiffée d'une lanterne et d’une statue de saint Georges terrassant le dragon. Bâtie entre 1487 et 1494 par Hans Glotau pour une confrérie militaire, elle abrite aujourd'hui le siège del’associatio­n des architecte­s polonais.À Gdańsk, les très actifs centres d’Art contempora­in Lazna I et II proposent des formations artistique­s, des résidences pour acteurs et danseurs, et multiplien­t lesatelier­s, exposition­s et installati­ons, dont certainesl­aissent parfois dubitatif, comme ce fauteuil de MonikaŽalt­auskaite- Grašiene.
Jouxtant la porte Dorée, la halle St- Georges de style gothique est coiffée d'une lanterne et d’une statue de saint Georges terrassant le dragon. Bâtie entre 1487 et 1494 par Hans Glotau pour une confrérie militaire, elle abrite aujourd'hui le siège del’associatio­n des architecte­s polonais.À Gdańsk, les très actifs centres d’Art contempora­in Lazna I et II proposent des formations artistique­s, des résidences pour acteurs et danseurs, et multiplien­t lesatelier­s, exposition­s et installati­ons, dont certainesl­aissent parfois dubitatif, comme ce fauteuil de MonikaŽalt­auskaite- Grašiene.
 ??  ?? Avec ses murs en acier Corten rouillé, ses pans inclinés, ses escaliers intérieurs qui ressemblen­t à des coursives de bateau, ce nouveau bâtiment baptisé Solidarnoś­ć rappelle la carène d’un navire et l’activité des chantiers navals de Gdańsk.
Avec ses murs en acier Corten rouillé, ses pans inclinés, ses escaliers intérieurs qui ressemblen­t à des coursives de bateau, ce nouveau bâtiment baptisé Solidarnoś­ć rappelle la carène d’un navire et l’activité des chantiers navals de Gdańsk.
 ??  ?? L’artiste polonais Piotr Szwabe vel Pisz a utilisé une photo d’identité de Lech Wałęsa, qui vécut dans cette barre à l’époque du syndicat Solidarnoś­ć. Il évoque ici la complexité du célèbre homme politique dont l’image pixellisée apparaît nette de loin, sousentend­u de l’étranger, et devient floue lorsque l’on s’en approche. OEuvre n° 37, rue Pilotów, bât. 17f.
L’artiste polonais Piotr Szwabe vel Pisz a utilisé une photo d’identité de Lech Wałęsa, qui vécut dans cette barre à l’époque du syndicat Solidarnoś­ć. Il évoque ici la complexité du célèbre homme politique dont l’image pixellisée apparaît nette de loin, sousentend­u de l’étranger, et devient floue lorsque l’on s’en approche. OEuvre n° 37, rue Pilotów, bât. 17f.
 ??  ?? Andrzej Falkowski ( André), guide francophon­e et directeur d’Omnibus Tourist, agenceréce­ptive en Pologne.
Andrzej Falkowski ( André), guide francophon­e et directeur d’Omnibus Tourist, agenceréce­ptive en Pologne.
 ??  ?? Dans le parc national de Słowiński, classé réserve de biosphère par l’Unesco, les dunesse déplacent de l’ordre de 3 à 12 centimètre­s par an sur la forêt,poussées par le vent et aidées par des plantes ammophiles quiretienn­ent le sable.
Dans le parc national de Słowiński, classé réserve de biosphère par l’Unesco, les dunesse déplacent de l’ordre de 3 à 12 centimètre­s par an sur la forêt,poussées par le vent et aidées par des plantes ammophiles quiretienn­ent le sable.
 ?? Guide pratique page94. ?? À 12 kilomètres de Łeba, le phare de Stilo, est entouré d’une immense forêt qui borde la mer et la plage. La nuit, le gardien de phare, Damian Łozicki entend parfois hurler les loups qui sont désormais protégés, mais qui jamais ne se montrent. Capitale d’été de la Pologne, Sopot est célèbre pour sa jetée en bois la plus longue d’Europe, avec ses 511,5 mètres. On vient se promener, y admirer les régates dans la baie de Gdańsk, écouter des musiciens et se prélasser au soleil.
Guide pratique page94. À 12 kilomètres de Łeba, le phare de Stilo, est entouré d’une immense forêt qui borde la mer et la plage. La nuit, le gardien de phare, Damian Łozicki entend parfois hurler les loups qui sont désormais protégés, mais qui jamais ne se montrent. Capitale d’été de la Pologne, Sopot est célèbre pour sa jetée en bois la plus longue d’Europe, avec ses 511,5 mètres. On vient se promener, y admirer les régates dans la baie de Gdańsk, écouter des musiciens et se prélasser au soleil.

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