Grands Reportages

VOUS REPRENDREZ BIEN UN PEU DE TAJ ?

- PIERRE BIGORGNE

Àchacun sa Tour Eiffel, son Machu Picchu ou sa Grande Barrière de Corail… En Inde, l’icône superstar du patrimoine national se nomme Taj Mahal. Initié en 1631 et achevé en 1648, ce mausolée tout de marbre blanc est un pur joyau de l’architectu­re moghole, dont la compréhens­ion interroge encore les meilleurs spécialist­es. Le « palais de la couronne » ( selon sa traduction persane), oeuvre de l’empereur Shah Jahan, a- t- il été édifié pour honorer la mémoire de son épouse Arjumand Bânu Begam, décédée lorsqu’elle met au monde leur quatorzièm­e enfant, ou est- il plus simplement une oeuvre d’art destinée à prouver aux hindous la supériorit­é de l’islam et au monde entier la puissance de l’Empire moghol ? Dans sa passionnan­te enquête sur l’édifice ( voir page 52), Jean- Baptiste Rabouan évoque les différente­s pistes et suggère, finalement, que la symbolique du Taj Mahal pourrait s’appuyer en définitive sur ces trois critères. Au- delà de cette quête, le Palais d’Agra est sans discussion un chef- d’oeuvre mondial d’architectu­re, qui justifie les trois millions de visites enregistré­es chaque année. Dans le registre du patrimoine indien, il n’est pas le seul. Des dizaines de palais et de forteresse­s méritent plus qu’un coup d’oeil tant ils suscitent l’enchanteme­nt et l’admiration. Le voyageur curieux remarquera, d’ailleurs, des ressemblan­ces frappantes entre certains monuments. Comme à New Delhi, où le dessin du mausolée Humayun s’apparente, à quelques nuances près, à celui du Taj Mahal, bien qu’il lui soit antérieur. Ce qui accrédite l’idée que l’architectu­re moghole ne doit rien au hasard et qu’elle s’appuie, au contraire, sur des canons extrêmemen­t précis, mélange subtil entre l’art rajpout et les traditions perses dont se sont nourris les descendant­s de Gengis Khan lorsque ces derniers achèvent, au XVIe siècle, la conquête du nord de l’Inde. Cette brillante synthèse entre les arts islamiques et hindous, dont les fondements et les applicatio­ns sont parfois aux antipodes, se remarque dans la plupart des palais de ces « cités des maharajahs » dont il est question dans ce numéro. Précision et finesse sont les maîtres mots de l’art indo- islamique qui s’est enrichi de ces multiples influences, témoignage et corollaire d’une situation politique et religieuse qui, en dépit de la colonisati­on et de la guerre, était relativeme­nt pacifiée. Durant son règne, l’empereur moghol Akbar ( 1556- 1605), né d’une mère chiite et d’un père sunnite, oeuvrera pour la tolérance entre les religions, prendra pour épouse une princesse hindoue et imaginera même une sorte de religion universell­e associant la Bible, le Coran et les textes fondateurs hindous, la Din- i Ilahi. À l’heure où les intégriste­s de Daech s’acharnent à détruire au nom d’Allah des chefs- d’oeuvre inestimabl­es du patrimoine irakien ( ils seraient présents dans le sous- continent qu’ils feraient pareil), on mesure le précipice qui sépare ces fous de Dieu de cet islam des lumières défendu par les Grands Moghols dont nous apprécions ici l’extraordin­aire témoignage.

 ??  ?? Pour cette 17e édition, la collection « Voyages extraordin­aires » rassemble sous une forme thématique des reportages inédits, associés à des articles déjà parus dans Grands
Reportages, mais remis à jour et bénéfician­t d’une nouvelle iconograph­ie....
Pour cette 17e édition, la collection « Voyages extraordin­aires » rassemble sous une forme thématique des reportages inédits, associés à des articles déjà parus dans Grands Reportages, mais remis à jour et bénéfician­t d’une nouvelle iconograph­ie....
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France