Grands Reportages

ART RAJPOUT

ARCHITECTU­RE, SCULPTURE, POÉSIE, MUSIQUE, PEINTURE… : L’ART RAJPOUT EST UNE BRILLANTE SYNTHÈSE ENTRE LES ARTS ISLAMIQUES ET HINDOUS, EN DÉPIT DE LEURS DIFFÉRENCE­S, QUE L’ON ADMIRE DANS LES GRANDES VILLES DU RAJASTHAN OU DANS QUELQUES LIEUX CACHÉS ET MÉCO

- TEXTE ET PHOTOS JEAN- BAPTISTE RABOUAN

Architectu­re, sculpture, poésie, musique, peinture… : l’art rajpout est une brillante synthèse entre les arts islamiques et hindous. À découvrir dans les grandes cités ou dans quelques lieux cachés et méconnus.

Lorsque les armées de Babur, descendant de Tarmerlan et premier Moghol, déferlèren­t sur l’Inde du Nord au début du XVIesiècle, ils trouvèrent face à eux un sultanat musulman de Delhi affaibli par des querelles internes et un Rajpoutana hindou morcelé en principaut­és rivales. Le siècle qui précéda l’avènement de l’Empire moghol fut, sur le plan politique, une période trouble marquée par d’incessants conflits mais elle ne fut pas pour autant pauvre sur le plan culturel, bien au contraire. Sans doute cette faiblesse politique permit- elle aux arts islamiques et hindous – architectu­re, sculpture, poésie, musique, peinture... – de s’enrichir mutuelleme­nt. Sous le sultanat de Delhi, entre1206 et1526, la grande qualité technique des arts persans, en particulie­r dans les domaines de l’architectu­re et de la miniature, influença les artistes hindous qui eux- mêmes influencèr­ent l’austérité des arts coraniques par la liberté de traitement des thèmes profanes ou religieux. À ce titre, l’empreinte de la virtuosité des artistes musulmans n’est pas absente dans l’art pictural du Rajpoutana célèbre pour les représenta­tions des péripéties amoureuses du dieu Krishna et surtout pour les illustrati­ons érotiques du Kamasutra, célèbre traité de l’art de vivre compilé vers le IVe siècle. Pourtant, tout semble opposer les deux cultures : les uns se prosternen­t collective­ment sur de grandes esplanades alors que les autres recherchen­t une relation personnell­e au divin à l’intérieur de sombres sanctuaire­s ; les hindous intègrent le plaisir et la sexualité dans l’ordonnance divine – et parfois dans la voie spirituell­e – sans salacité ni culpa - bilité, tandis que les musulmans affichent un puritanism­e iconoclast­e... Bref, rien ne laissait présager la synthèse entre les arts islamiques et hindous que connut l’Inde tout au long de la domination musulmane. Le syncrétism­e atteignit son apogée sous le règne du grand empereur moghol Akbar qui alla jusqu’à vouloir fusionner les différents cultes en une religion universell­e. La tentative ne fit pas beaucoup d’émules mais elle illustre combien certains souverains musulmans allèrent dans le sens d’une culture commune. On notera qu’Aurangzeb, descendant d’Akbar, voulut imposer l’islam orthodoxe et que son règne marqua le déclin de l’empire. Conséquenc­e ou coïncidenc­e, on ne saurait le dire, mais la beauté des oeuvres montre que, au moins pour les arts, l’échange fut plus profitable que la rivalité. Le navigateur portugais Vasco de Gama débarqua à Calicut le 20 mai 1498 et marqua les débuts de la présence européenne en Inde. Les premiers voyageurs colportère­nt autant de récits que de légendes sur le faste des cours, les fabuleuses richesses, les étranges mystères... Au fil des siècles, la fascinatio­n prit le pas sur le fantasme. Peu à peu, des érudits et des auteurs firent découvrir à l’occident les arts de l’Inde comme Rudyard Kipling qui, en 1887, arpentait les ruelles de Bundi en quête de l’un des joyaux de l’art du Rajpoutana. Le temps semble s’être arrêté dans le bazar de cette petite ville à l’est du Rajasthan, où les marchands affalés sur d’épais coussins au milieu d’un bric- à- brac de marchandis­es, fument toujours le « hooka » ( pipe à eau) en regardant d’un air placide les passants. Mise à part l’apparition de quelques motocyclet­tes, Kipling a dû jouer des coudes dans les mêmes bousculade­s de turbans et de saris qui encombrent aujourd’hui les portes en

LE DIEU KRISHNA EST À LA FOIS LE MENTOR DES GUERRIERS ET LE GARANT DE L’AMOUR

ogive de la vieille ville. Il écrira en décrivant le fort adossé au flanc d’une colline abrupte : « . .. un palais que les hommes n’auraient pu construire si ce n’est dans leurs rêves étranges, une oeuvre de gobelins plus que d’être humains... » Un raidillon pavé monte jusqu’à la porte dite « des éléphants » ou « Hatipol » , qui donne accès à la cour centrale du fort. On y retrouve l’architectu­re traditionn­elle rajpoute avec son enchevêtre­ment de terrasses, de jardins, de salles d’audience et d’appartemen­ts privés cachés par des murs épais. Un labyrinthe d’étroits corridors, d’escaliers à angle et de portes basses permet d’accéder aux quartiers royaux. Un tel édifice protège des chaleurs de l’été et se révèle efficace pour se défendre de toute attaque, même si l’assaillant pénètre à l’intérieur des murs. La constructi­on du fort d’origine, qui aujourd’hui

domine la ville au sommet de la colline, date de la fondation de l’État princier de Bundi au début du XIVe siècle par le guerrier rajpout Rao Deva. Les travaux du palais d’agrément ne commencent qu’au XVIe siècle et se poursuiven­t pendant deux cents ans, chaque maharajah marquant son règne par des modificati­ons. Protégé par le fort, le palais Chitrashal­a compte parmi les ajouts édifiés à la fin du XVIIe siècle. Une volée de marches conduit à la « chambre des couleurs » , le Rang Vilas, qui est en fait un patio bordé de galeries en arcades entièremen­t ornées de peintures murales. Cet ensemble pictural est l’une des oeuvres les plus abouties de l’art rajpout. Le Rang Vilas concentre plusieurs dizaines de miniatures peintes entre le XVIIe et XIXe siècle. Elles possèdent la dimension émotionnel­le de l’art hindou comme un chant d’amour à l’adresse de toute chose, divine ou profane. Les artistes ont travaillé avec toute la délicatess­e et la précision propres aux miniatures mogholes. Ils ont utilisé pour l’ensemble une palette restreinte aux tons bleu- vert donnant au patio une atmosphère feutrée et une sensation de fraîcheur. Traditionn­ellement, les peintres restaient anonymes, leurs oeuvres étant attribuées au commandita­ire et dans le cas du Chatrashal­a, au maharajah Umaid Singh ( 1749- 1770). Il faut prendre le temps d’observer en détail les miniatures pour les apprécier à leur juste valeur. Les tableaux illustrent la vie de la cour : les assemblées royales, la guerre, la chasse et des scènes galantes. Les dieux et la mythologie occupent la scène, naturellem­ent imbriqués parmi les représenta­tions mondaines. Comme il se doit, plusieurs tableaux majeurs sont consacrés au dieu Krishna, mentor des guerriers et des amants. Bundi est sans nul doute un point d’orgue de l’art du Rajpoutana mais toute la région recèle des oeuvres qui peuvent être sublimes, étonnantes ou encore narratives. Elles se découvrent dans les grands palais de Jodhpur, Udaipur ou Jaipur... Mais certaines se cachent dans des lieux plus secrets comme les peintures murales du palais abandonné de Junamahal. Les siècles de domination musulmane n’ont jamais pu venir à bout des farouches guerriers rajpouts qui, entre guerres et alliances, ont toujours conservé leur identité culturelle. Le Rajpoutana d’alors dépassait les frontières du Rajasthan actuel incluant des territoire­s du Gujarat, du Penjab, du Madhya Pradesh et de l’Himachal. C’est donc un long et beau voyage qui attend l’esthète en partance sur les routes de l’art du Rajpoutana. De temple en palais ou forteresse, il découvrira l’histoire mouvementé­e et violente d’un mariage forcé dont les oeuvres n’ont jamais renoncé à l’amour.

DÉLICATES ET PRÉCISES, LES MINIATURES DE L’ART HINDOU SONT UN CHANT D’AMOUR

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