LE BIVOUAC, MOMENT PRÉCIEUX OÙ, RÉUNIS AUTOUR DU FEU, L’ON ÉCHANGE SUR LES MOMENTS FORTS DE LA CAVALCADE
dizaines de milliers d’habitants. La raison ? La fièvre du saphir, qui a englouti tout le plateau d’Horombe, depuis le début des prospections, en 1995. En 19971998, c’est le boom minier de cette pierre précieuse. L’équivalent d’une ruée vers l’or ! Des milliers de puits, parfois très profonds – autant de concessions privées – criblent la région. Très vite, le commerce est contrôlé par les mafias sri- lankaise et thaïlandaise. Le gouvernement laisse faire, complice par corruption interposée. On estime que, chaque jour, entre huit cents millions et un milliard d’ariary transitent par cette zone, comprise entre Sakahara, au sud et Ranohira, au nord. Ce trafic interlope fait vivre toute une population, mais dans une totale opacité économique, sans aucune réglementation sécuritaire et aucun contrôle gouvernemental.
À l’entrée du parc, nous laissons nos montures
pour continuer, à pied, sur des chemins en encorbellement, des canyons tapissés de pandanus, et des reliefs chahutés, tantôt dômes boursouflés, tantôt gradins érodés ou pinacles éparpillés. Onorien, notre guide naturaliste, nous entraîne dans une boucle de cinq heures, avec les pauses. Il se fait d’abord pisteur, lorsqu’il s’agit de repérer les deux espèces de primates résidant dans le bosquet du camp des Lémuriens, le bien- nommé. L’une est aisée, il s’agit des facétieux Catta à la longue queue annelée, une espèce assez familière. L’autre, le Sifaka, l’une des plus spectaculaires par sa taille et sa belle toison blanche, reste plus timide, ne sortant qu’à certaines heures. Nous finirons par lui tirer le portrait, entre deux pirouettes. C’est le seul survivant de sa famille ( cinq morts), décimée par un incendie d’écobuage mal contrôlé en 2010, et jamais puni par les autorités du Parc ; un autre scandale… Onorien me livre cette énigme : comment se fait- il qu’on ne retrouve jamais ni os, ni dépouille, de lémurien ? Ces curieux animaux, entre singes et marsupiaux, seraient- ils enterrés ? Nous longeons un superbe canyon jusqu’à deux vasques, bleue d’abord, noire ensuite. Plus loin, grimpant le long d’une faille, nous rejoignons la cascade des Nymphes, merveilleux spot propice aux divagations de l’imagination vers le fantastique ou l’onirique. Le parcours remonte ensuite l’escarpement en res- sauts successifs, qui nous hisse au coeur du hautplateau. Onorien me signale un bout de bois : un phasme, proche de la mante religieuse, au mimétisme parfait avec une brindille ! Puis de nombreux Tapia, ces mûriers malgaches, donnant les vers à soie sauvages, collectés en février- mars grâce à une autorisation spéciale, et traités dans les filatures d’Ambalavao. Traversant une plaine bouquetée de bosquets, bordée de massifs égrenés en bourrelets fantasmagoriques, dans des dégradés d’orange et de gris, nous atteignons la Piscine Naturelle, délicieuse oasis à l’eau cristalline, où il fait bon se délasser ! Pour l’heure, trois gaillards, de l’eau à mi- cuisses, se relaient en cadence, pelle en main : la fosse doit être désensablée, chaque année en avril, pour atteindre une profondeur de deux mètres cinquante, fleuron touristique oblige ! Retour par le belvédère des crêtes, avec des vues à trois cent soixante degrés. Les chevaux nous attendent au pied d’un bosquet de palmiers. Le soleil bascule lentement derrière la savane avec des reflets de braise. Un tombeau bara, simple rectangle de pierre, se dresse sur une croupe isolée, hiératique. Quand l’écurie se profile derrière un énième rognon de grès, mon cheval hennit de plaisir !