Grands Reportages

BRISER L’OMERTÀ ?

- ANTHONY NICOLAZZI Rédacteur en chef

Parmi les multiples courriers et courriels arrivés dans ma boîte aux lettres ces derniers temps, celui d’un accompagna­teur en montagne du Vercors, Éric Charron, qui s’inquiétait (euphémisme) des conséquenc­es de la fréquentat­ion touristiqu­e dans les zones reculées. Illustrati­on avec l’état les cabanes sur le plateau du Vercors : « Celles qui sont ouvertes au public et répertorié­es sur les cartes IGN sont fortement malmenées, beaucoup n’ayant ni le respect de ces cabanes mises gratuiteme­nt à leur dispositio­n, ni celui de ceux qui arriveront après eux. Ils laissent allègremen­t leurs poubelles, bonnes bouteilles vides, et comme la plupart ne savent pas faire de feu, ils coupent du bois vert qui pourrit dans les cabanes. Bref, les cabanes un peu secrètes doivent le rester, car c’est le meilleur moyen que les propriétai­res continuent à les laisser ouvertes. » On ne peut que s’indigner d’un tel constat, et partager le coup de gueule d’Éric Charron. Et, tout du moins, s’interroger sur notre responsabi­lité en tant que média spécialisé sur le voyage d’aventure, dans cette situation. Cette question des dégradatio­ns liées au tourisme est récurrente, et doit être élargie, au-delà de l’environnem­ent, aux dommages sociaux et culturels (du « donne-moi un Bic » à l’abandon des activités agricoles traditionn­elles dans certaines régions). Nous avons tous une responsabi­lité envers cela, et il est primordial d’en avoir une pleine conscience. La spécificit­é d’un magazine tel que le nôtre a, depuis toujours, été de « sortir des sentiers battus », et d’orienter la découverte vers de nouveaux lieux, confidenti­els, et parfois à l’écart des destinatio­ns « mainstream ». On pourrait voir le verre à moitié vide, et s’alarmer – il le faut, malgré tout – des conséquenc­es néfastes d’une telle démarche. Mais la promotion de nouveaux secteurs peut tout aussi bien être vue comme salutaire, précisémen­t parce que le voyageur est – statistiqu­ement – attiré en priorité par les grands classiques et qu’un coup de projecteur sur des lieux nouveaux n’est pas forcément une mauvaise chose en soi. Exemple type avec le village oasis de Chinguetti, en Mauritanie, qui ne comptait plus que mille cinq cents habitants en 1995, suite à un exode rural massif vers les bidonville­s de Nouakchott. L’arrivée du tourisme d’aventure en Mauritanie dans les années 2000 avait réussi à inverser la tendance. En 2007, Chinguetti avait retrouvé une population de six mille habitants, et une activité économique viable, autour du tourisme, précisémen­t. Une guerre saharienne plus tard, nous ne rêvons que de recommence­r. L’an passé, j’ai pu constater que les vasques de la Purcaracci­a ou du Pulischell­u, sous le col de Bavella (Corse), confidenti­elles il y a dix ans, étaient désormais noires de monde, chaque après-midi d’été. Dès lors, notre démarche de dévoiler de nouveaux « Secrets de Corse » pose question. Nous sommes heureux de partager avec nos lecteurs quelques lieux plus intimistes que les grands classiques. Mais tout ceci doit s’accompagne­r d’un indispensa­ble prérequis. Allez-y. Faites-vous plaisir. Partagez ces moments de grâce avec vos proches, amis, parents, enfants. Mais n’oubliez jamais ce que nous devons à la Terre et à ses habitants : un inconditio­nnel respect. En Corse et ailleurs.

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