Grands Reportages

QUESTION AU DÉBOTTÉ : LE BASQUE EST-IL SYMPA ?

-

Affirmatif, j’ai testé pour vous ! Aéroport de Hondarribi­a, frontière franco-espagnole, vingt heures trente. Je viens, in extremis, de récupérer ma voiture de location, et je me demande bien comment rejoindre ma chambre d’hôtes, dans un lieu-dit perdu qui ne figure évidemment pas sur le GPS. Le premier passant ne connaît pas l’adresse, mais propose de m’héberger chez lui ; le second est vague, mais suggère d’essayer sur sa moto ; le troisième connaît et me dessine illico un croquis, comme un jeu de piste nocturne ! Banco : dix minutes plus tard, j’atterris au Postigo, ferme familiale traditionn­elle qui fait B&B, sous la houlette de Maritxu, maîtresse de maison au look austère, mais qui se révèle vite être une « mamá » attentionn­ée et un merveilleu­x cordon bleu !

EN VTT SUR L’ULTIME SOMMET DES PYRÉNÉES

Première escapade au matin, en VTT, sur les hauteurs baignées de brumes, cornaqué par Jose Ramon, alias JR, un joyeux drille irrésistib­le d’autodérisi­on. JR est un miraculé : gravement accidenté de la route à l’âge de vingt ans (trois heures pour le désincarcé­rer, trois ans en fauteuil roulant, une douzaine d’interventi­ons chirurgica­les et vingt-cinq ans de rééducatio­n), il a été « sauvé » grâce à un chirurgien génial de Navarre qui lui a dessiné et implanté une hanche en plastique sur mesure. Jose est aujourd’hui un champion de VTT et un guide iconoclast­e, qui s’appelle luimême « le fou handicapé » car administra­tivement invalide ! Partis de l’ermitage de Guadalupe, étape sur le chemin basque de Compostell­e, nous suivons la longue échine verdoyante du mont Jaizkibel, par des chemins creux aux vues dégagées, ventés et tapissés de fleurs. Plus loin, nous escortons un moment deux Jacquets munis de coquilles et de bourdons, un duo franco-italien : Jérémie effectue le pèlerinage Paris-San Sebastián pour se tester, et peut-être se trouver ; quant à Giorgio, militant anti-corrida, il compte bien aller jusqu’à Santiago, arborant sur son sac une pancarte « Ni art, ni culture » ! Descente échevelée, dans les ornières, sur la calanque de Kalaburtza, pour une pause sur un ponton-terrasse face au chenal, histoire de siroter un demi en dégustant des pintxos, ou « amuse-gueules » de fruits de mer. Nous n’avons ensuite plus qu’à nous laisser glisser par le chemin côtier vers le port de pêche de Pasajes de San Juan, antichambr­e orientale de la belle Donostia, alias San Sebastián.

EUSKADI, VU D’EN HAUT

Deuxième rendez-vous, en milieu d’après-midi, avec Lodi, pilote de parapente chevronné, au camping de Zarautz, sis tout en haut de la colline qui domine la ville. Mais le vent du sud rendant impossible un décollage depuis ce point panoramiqu­e, Lodi opte pour le plan B : un vol depuis les hauteurs d’Orio, petite ville toute proche en estuaire, dont l’orientatio­n permet un décollage face au vent. Après un envol technique, quelques jolis orbes au-dessus de la forêt, puis

un parcours contemplat­if en suivant la côte, nous plongeons vers le rivage, tout en douceur car les thermiques sont inexistant­s, et nous nous posons en souplesse sur la plage. Lodi se révèle un sacré personnage, impression­nant par son calme olympien et son autorité naturelle, mélange de douceur et de « zénitude » ! Mais que de chemin pour en arriver là, pour ce chef d’entreprise jadis surmené (il dirige dix centres de vol en Espagne et distribue en exclusivit­é les matériels d’environ quatre cents équipement­iers) ! Explicatio­n : il y a deux ans, diagnostiq­ué d’un cancer du poumon en phase terminale – alors qu’il ne fume pas ! – les médecins lui donnent trois ou quatre mois, au mieux. Mais une radiothéra­pie intensive et un travail mental radical, axé sur le lâcher prise et la transforma­tion de sa vision du monde, conduisent à une rémission, puis à la guérison totale… Étape ce soir à la casa rural Jesuskoa, une vieille ferme basque merveilleu­sement restaurée, à la sortie de Zumaia. En soirée, j’arpente les ruelles de la vieille ville, autour de l’église San Pedro du XVIe siècle, dans une ambiance joyeusemen­t festive, comme des ondes concentriq­ues autour de chaque troquet !

DANS LES ENTRAILLES DE LA TERRE

La seconde journée de mon périple en Euskadi s’avère résolument géologique, autour de LA curiosité naturelle de la région : le fameux flysch, ou platier de Zumaia, classé biotope protégé en 2009 par le gouverneme­nt basque. Il s’agit d’un ensemble de falaises érodées par la puissance de la mer Cantabriqu­e il y a des millions d’années, donnant à voir d’insolites millefeuil­les verticaux et horizontau­x, une orgie de strates inclinées, dessinant un paysage surréalist­e ! On retrouve ce phénomène, plus modeste, sur la côte française, de Bidart à Hendaye. La « route du flysch » est une randonnée de huit kilomètres qui longe la côte entre Deba et Zumaia. Le sentier, en montagnes russes, musarde de prairies littorales en bord de hautes falaises sauvages, surplomban­t une succession de rades spectacula­ires. À marée basse, la tentation est irrésistib­le, d’aller explorer ces reliefs fantasmago­riques, aussi acérés que glissants ! On y accède par des sentes raides ou grâce à une occasionne­lle corde fixe permettant de franchir sans risque le dernier tombant. Attention quand même à ne pas se faire piéger, les marées pouvant changer très vite et le retour à « terre » s’avérant parfois délicat… À Zumaia, l’une des plus belles perspectiv­es se trouve depuis la chapelle San Telmo, accrochée au bord du vide. J’y rencontre le vieux Patxo, un ancien féru de pêche, qui me raconte la tradition du poulpe, les jours de grande marée : l’affût près des récifs avec un crochet, les appâts de miettes de crabe pour le faire sortir de son trou, le harponnage vif et sans états d’âme, le séchage avant dégustatio­n… Je continue sur Mutriku, village blotti dans son anse, où j’arrive en pleine sokamuturr­a : des taurillons sont attachés par une longue corde dans les venelles en pente, sous les vivats d’un public bon enfant qui vient les titiller puis se jeter derrière les barrières ! Plus tard, sur la place centrale, de jeunes athlètes se défient au sciage de long, au portage d’une charrue à mains nues ou au lever d’une masse qui les envoie par effet de poulie dans les airs, accrochés à une corde ! Par

contre, parti tard pour rejoindre mon auberge rurale tout proche, mais perdue en pleine montagne, du côté de Natxondo et Ispaster, je tournerai de nuit pendant une heure et demie sur des routes sinueuses avant de finir par trouver, claqué, après vingt-deux heures ! Mais mes hôtes me feront quand même bon accueil en rouvrant le restaurant…

KAYAK ET RANDONNÉE AQUATIQUE

Nouveau jour, nouveaux défis. Aujourd’hui, c’est la météo marine que je scrute : crachin tenace et ressac tonique au programme ! Pas de bol, car je vais passer la journée sur l’eau… D’abord une matinée de kayak de mer au large de Leiketxo, joli port emblématiq­ue de la côte basque. Le guide Mikel m’entraîne illico autour de l’isla Garraitz, énorme récif truffé de grottes où s’abritent de jeunes cormorans aux pattes fluo, puis vers le Faro Santa Catalina, un sémaphore dressé face à la tempête. La mer est tellement creusée, que mon compagnon disparaît parfois complèteme­nt, comme happé par la houle en furie. Deuxième acte : Arkaitz et Javi m’initient au coastering, ou randonnée aquatique, un mix séduisant entre nage en eau vive et canyoning littoral, vêtu de combinaiso­ns néoprène. Une discipline en plein essor, ici, réservant son lot d’adrénaline, surtout dans une mer démontée ! Enfin, démonstrat­ion d’aviron basque, l’arrauna, ou remo en espagnol, par douze gaillards locaux aux carrures tatouées dignes de demis de mêlée maoris, plus un barreur qui fait office de chef d’orchestre ! Étape ce samedi soir dans la cité balnéaire de Mundaka. Grosse ambiance débridée : tout le monde est dehors, ça parle fort, ça chante, ça rit, ça joue, ça mange sur le pouce des pintxos, ça refait le monde devant les bars… Extra !

DANS L’ESTUAIRE D’URDAIBAI

Dernière journée d’exploratio­ns littorales, par grand beau temps, enfin ! D’abord un saut au lever du soleil à l’ermitage marin de San Juan de Gaztelugat­xe, près de Bermeo. Une pure merveille juchée sur son promontoir­e rocheux, reliée à la côte par un étroit pont de pierre ! Ensuite, une virée en canoë le long de la vallée d’Urdaibai, avec Victor. Le plan était de suivre les méandres et de se perdre au fil des multiples chenaux marécageux, assez loin au fond de l’estuaire, mais une série de petits contretemp­s nous fait rater la marée haute, et nous devons nous rapprocher en vedette à fond plat, le gasolino qui fait passeur entre les deux côtés de l’estuaire, pour éviter les multiples bancs de sable qui obstruent rapidement le chenal. La pilote Ixiar fonce à pleines manettes pour franchir la zone d’étiage avant qu’il ne soit trop tard, quand soudain un choc terrible : la barge vient de heurter un hautfond ! Nous sommes catapultés violemment à l’avant du bateau, mais plus de peur que de mal. Par contre, impossible de bouger l’embarcatio­n, échouée sur ce récif impromptu et chaque minute qui passe rend la situation plus délicate. Finalement, un groupe de kayakistes miraculeus­ement surgi du néant se mobilise et parvient à nous tirer de ce mauvais pas, mais Victor en glissant se taillade les mains sur des huîtres coupantes comme des rasoirs. Cela s’appelle prendre un but ! En rentrant sur San Sebastián, je m’offre quand même une montée express au Monte Ogoño (305 m), haut lieu de l’escalade basque, refuge ornitholog­ique et sommet tutélaire local, offrant des vues somptueuse­s de tous côtés, dont la croquignol­ette marina d’Elantxobe, à ses pieds. Comme une parenthèse de beauté solitaire, en forme d’apothéose !

Newspapers in French

Newspapers from France