Grands Reportages

À VOIR, À FAIRE AU SPITI

Longue d’une centaine de kilomètres, la vallée du Spi dévoile une culture bétaine typique, dans un cadre naturel vivifiant.

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DANS LA VALLÉE DU SPITI

Influence de la vie monacale, chacun égraine d’une main un chapelet et tient de l’autre main un téléphone portable. Tranquilli­té, sobriété, invitent à l’amitié. En ces lieux reculés, ne subsiste plus d’agricultur­e vivrière. Un gros camion approvisio­nne le village en sacs de farine de blé (les chapatis remplacent la tsampa d’orge cultivé localement), briques de lait pasteurisé (autrefois lait cru de yack), plaques d’oeufs de batteries et légumes issus de l’agricultur­e intensive. Sur les rayons de l’épicier, emballages et sachets colorés. Tabo a conservé deux cultures : celles du petit pois et de la pomme. Produits rares et prisés qui ne peuvent pousser dans la chaleur des plaines indiennes, on les appelle cash crops ; leur commercial­isation rapporte. Ici aussi, engrais synthétiqu­es et pesticides sont d’usage. Il y a peu de bétail, quelques rares vaches. La rivière Spiti gronde de grands remous, le vent s’engouffre dans la vallée. Sur la plage de sable noir et fin, quelques petits saules ramassés poussent resserrés en bosquets, leur feuillage d’un vert lumineux contraste avec le paysage minéral. Nil gambade dans les éboulis, joue la chèvre des montagnes, bâtit avec les pierres son monde imaginaire.

ACCUEILLIS À LA LAMASERIE

Notre voisin du moment s’appelle Hari, c’est un retraité originaire de Jaipur qui passe chaque été au frais des montagnes (au même moment l’Inde subit une terrible canicule), il a travaillé en Afrique de l’Ouest, vécu au Canada, et parle couramment l’anglais, ce qui n’est pas le cas des locaux. Nous lui confions vouloir consulter un devin. Nous sommes reçus par le head lama, le directeur du monastère. C’est une chance et un honneur. L’homme transmet une belle énergie de paix et de simplicité. L’ambiance du monastère est sereine et fraternell­e, la hiérarchie n’exprime pas de supériorit­é, les lamas sont joyeux et joueurs, les enfants jouent avec les adultes, ils ont improvisé une partie de cricket avec un tuyau en guise de batte ! Le head lama est tibétain, parle l’hindi mais très peu l’anglais, nous nous dépatouill­ons entre english et bodish, la langue locale, proche du tibétain. Nous communiquo­ns néanmoins. Le lama précise, qu’oracle ou pas, c’est à nous qu’appartiend­ront nos choix ! Ce soir, il méditera et

utilisera des techniques divinatoir­es qui nous resteront inconnues. Le lendemain, nous recevons du lama un verdict tranché qui, ma foi, se révélera conforme à nos résolution­s…

GOMPA SECRÈTE

Destinatio­n Lari Cave, petit monastère perdu dans les montagnes, il n’est accessible qu’à pied. C’est aujourd’hui par la route traversant la vallée qu’hommes et marchandis­es circulent. Aussi, les chemins escarpés supportés par des murs de soutènemen­t ne sont plus entretenus et s’effondrent. Deux sentiers mènent au monastère, le premier que nous empruntons se termine par un à-pic, nous rebrousson­s chemin après deux heures de grimpette ! Vertige de beauté, la subtilité des teintes et la variété des formations rocheuses sont infinies. Salem charge son sac de portage de « cailloux beaux » à emporter ! Le lieu semble abandonné, les bâtisses effondrées ; seul un lama de quatre-vingt-cinq ans vit ici, retiré. Trois petites dames sont à ses côtés, venues du village en contrebas servir le vieil homme. Nous amenons comme on nous l’a conseillé des produits frais : des tomates et des bananes. On nous offre le chai et des biscuits, des sourires et du bon accueil. Le petit papi nous fait visiter les lieux, la constructi­on est accolée à une grotte où sont conservés de splendides objets de culte en argent et en cuivre. Sur le trajet retour nous avons la chance de rencontrer des urials, bouquetins célestes, qui broutent les parois verticales. Nil est fatigué, une fois redescendu­s sur la route goudronnée, nous faisons du stop et une petite voiture citadine de locaux nous ramène à Tabo.

VILLAGES PERCHÉS

Nous remontons la vallée pour le village de Dhankar (3 894 m). Cet ancien fort perché sur un piton rocheux fut la capitale du Spiti. La vue y est époustoufl­ante, sommets glacés brillants et halos de lumière. De là, la rivière déferlante d’eau de la fonte des neiges est un immobile miroitemen­t. L’altitude est grisante, sensation d’envol et de légèreté. Suis-je vraiment là les pieds sur terre ou bien ne suis-je qu’un courant d’air ? Le tambour de méditation des moines résonne dans la vallée. Le soir, les troupeaux de moutons et de chèvres descendent des estives, grande diversité d’espèces ovines, dont nous contemplon­s avec ravissemen­t le défilé. Les villageois­es se sont regroupées pour préparer des petits pains ; elles nous en offrent, délices chauds et croquants ! Nous randonnons jusqu’aux lacs de Dashair et Dhankar, en amont du village. Au détour du

chemin, nous recevons l’accueil sublime d’un groupe de chevaux. Le vert diaphane et le turquoise du lac, les étincelles de lumière à la surface de l’eau, les cercles d’or des touffes de genêts sur la rocaille, les ruisselets d’argent serpentant des sommets, la ronde des monts enneigés et partout le ciel bleu intense. Le profond silence est percé parfois par un bourdonnem­ent d’insecte, un chant d’oiseau, un hennisseme­nt. Nil et Salem ne le troubleron­t pas.

LE PLATEAU DE KIBBER

Nous séjournons à Kibber (4 270 m). Depuis ce plateau d’altitude sont possibles de nombreuses balades dans le Kibber Wildlife Sanctuary, célèbre pour abriter le léopard des neiges. Au petit matin de notre première nuit, une neige exceptionn­elle pour la saison a recouvert les montagnes et les prés, Nil euphorique réveille notre chambrée ! Les enfants sont très heureux de voir pour la première fois des yacks. Autrefois garants de l’économie des lieux, leur élevage tend aujourd’hui à se perdre. Nil se régale de collecter : pierre, os, sabot, dent, fer à cheval, laine… Sa grande motivation : trouver des fossiles et il ramènera du fond des âges un coquillage ! La journée, les femmes du village travaillen­t aux champs, les enfants fréquenten­t l’école au-dessus de laquelle nous logeons, les vieux jouent aux cartes leurs tout-petits dans les pattes, les hommes sont partis faire du business. Et les différente­s génération­s cohabitent dans de grandes maisons. Quand rentre le soir le grand troupeau d’ânes, de moutons et de vaches, le village s’anime ! Nous visitons le monastère de Key, le plus grand de la vallée du Spiti. Forteresse de la sagesse, bâtie sur un éperon rocheux à 4 100 mètres. Deux cent cinquante enfants y vivent et y étudient la philosophi­e bouddhiste durant le long hiver. Ils rejoignent en été leurs familles qu’ils aident durant la saison agricole.

ÉMERVEILLE­MENT ET GRATITUDE

Fin du voyage à Kaza, ville principale et centre administra­tif du Spiti, peuplée de trois mille habitants. Les commerces et commodités y sont nombreux. Le lit de la rivière fait office de décharge géante. Commentair­e de Nil : « Les hommes se facilitent la vie et en même temps ils détruisent la vie. » Les enfants… une invite à l’étonnement. Un mois après, les cols sont toujours fermés, ceux qui attendent un revenu du tourisme piaffent et s’inquiètent. Nous nous en retournons via Shimla, route, avion… et l’enchanteme­nt durera.

 ??  ?? Sur le chemin menant au monastère de Dhankar, construit sur un éperon rocheux face à la confluence entre les rivières Pin et Spi .
Sur le chemin menant au monastère de Dhankar, construit sur un éperon rocheux face à la confluence entre les rivières Pin et Spi .
 ??  ?? Dans le village de Dankhar, une ânesse et son ânon rentrent au bercail.
Dans le village de Dankhar, une ânesse et son ânon rentrent au bercail.
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TABO DHANKAR LARI POH DEMUL LALUNG LARA

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