L’ÉCHELLE DES TITANS
Les volcans sont les immuables Titans de l’histoire des hommes. Redoutés, respectés, admirés, déifiés même parfois, ils ont côtoyé des générations entières d’hommes et d’hominidés, s’inscrivant dans notre modeste histoire, notre imaginaire, nos paysages, nos rêves. Pour s’inscrire dans leurs cycles de vie gargantuesques, il a fallu imaginer des tables de conversion, des « échelles des temps géologiques ». Même si, comme nous, ils naissent, un jour, du néant, pour grandir, rugir ou s’assoupir, fertiliser ou marquer de leur empreinte – parfois douloureuse – leur environnement immédiat, avant de s’éteindre, inexorablement, pour retourner à la poussière. Le Kilimandjaro est né au Pliocène, conjointement à l’apparition de la vallée du grand rift dans cette partie de l’Afrique de l’Est. Né de rien, comme tous les autres, il y a trois ou quatre millions d’années, à une ère où les premiers hominidés, déjà, parcouraient la savane, et inscrivaient, à Laetoli, quelque 200 kilomètres à l’ouest, la marque de leurs empreintes dans une fine couche de cendre volcanique. Combien de générations, depuis, ont levé les yeux vers le Kilimandjaro, à mesure qu’il prenait corps au beau milieu de l’immense savane africaine ? Le chiffre des 5 000 kilomètres cubes de lave émis durant ces quelques millions d’années d’activité n’évoquera rien à personne. Son élévation vers les étoiles, 5 895 mètres au-dessus des mers, demeure sans doute plus parlante à notre imaginaire. Une altitude mouvante, au gré de l’érosion, ou des éruptions. Le Kilimandjaro est aujourd’hui un volcan considéré comme « éteint ». Avec une dernière éruption pourtant datée d’il y a à peine cinq cents ans. Une poussière à l’échelon géologique. Qui le premier – et quand – a aperçu les flocons fondateurs des glaciers qui trônent aujourd’hui encore, au sommet du Kibo, le cratère principal du « Kili » ? Et qui, si ce n’est nous-même, ou sans doute nos enfants, verra fondre l’ultime cristal de glace sur le géant endormi ? Emblématique arrière-plan des plus belles images de la grande faune africaine, elle aussi menacée de disparition, voire vouée à disparaître, le Kilimandjaro est un incontournable jalon du voyage africain et des expéditions en (haute) montagne. Consacrer un dossier complet à un tel « monument » de l’histoire du voyage d’aventure nous semblait indispensable. Car, même si à l’échelle des temps géologiques tout ceci n’est que poussière, aller toucher du doigt les reliques de l’un des derniers glaciers d’Afrique demeure, symboliquement au moins, un témoignage précieux d’attachement envers un monde en péril. Faudra-t-il voir fondre « les neiges du Kilimandjaro » pour que l’on s’intéresse enfin à leur devenir ? Ou au nôtre ?