Grands Reportages

VOIE LEMOSHO

Le plus bel i néraire ?

- LAURENCE FLEURY

Les trois heures de route depuis Arusha, entassés dans un minibus avec notre vingtaine de porteurs, guides et cuisinier semblent interminab­les. Soleil de plomb, pas un brin d’ombre à l’horizon, jusqu’à ce la végétation apparaisse au pied du massif. Un soulagemen­t ! La route devient piste et bientôt apparaisse­nt sur le bas-côté quelques troupeaux de zèbres et de girafes. La porte de Londorossi n’est plus bien loin. Située à 2 250 mètres d’altitude, à l’ouest du massif, elle est le point de départ des voies Lemosho et Shira, où débarquent chaque jour des groupes entiers de trekkeurs de toutes les nationalit­és. Tous avec le même objectif : gravir le mythique toit de l’Afrique par une voie moins fréquentée que les autres.

TOP DÉPART !

Mais c’est la haute saison, il y a quand même du monde. Sur un terrain vague, en plein cagnard, sont minutieuse­ment réparties les charges que vont se partager les porteurs. L’air est lourd et moite, et on cherche l’ombre tandis que les Tanzaniens font sagement la queue pour la pesée de leur sac. Pas plus de vingt-deux kilos par personne, soit douze kilos pour son client, le reste pour ses affaires personnell­es, le matériel logistique et la nourriture pour sept jours en autonomie. Un poids qui sera vérifié soir et matin à chaque campement et jusqu’à l’arrivée, pour éviter que certains ne se débarrasse­nt des poubelles dans la nature. Une fois les passeports enregistré­s, il reste quinze minutes en bus pour rejoindre la porte

Lemosho (2 250 m) un peu à l’écart du départ de la voie Shira. Rebelote pour la pesée des sacs et l’enregistre­ment des numéros de passeport, sauf que cette fois nous sommes seuls. Du moins pour le moment. Les quatre cents mètres de dénivelée jusqu’au premier campement se font dans la luxuriante forêt pluviale. Un plongeon dans le grand vert, sous les grands arbres où quelques bruits inconnus indiquent qu’en dépit de la fréquentat­ion saisonnièr­e, la forêt reste habitée. Quelle que soit la voie empruntée pour gravir le Kili, on démarre des tropiques pour finir en « Arctique » ! Ou presque. Car les neiges du Kilimandja­ro ont quasiment disparu. Pour l’heure, le short est encore de rigueur sous les fougères arborescen­tes et autres falcatus abritant des singes colobes, à peine troublés par le passage des randonneur­s.

PANORAMA IMPRENABLE

Mti Mkunwa Camp, à 2 650 mètres, est déjà occupé par une bonne centaine de tentes montées les unes contre les autres. On repassera pour le côté intimiste garanti sur cet itinéraire. Dans la tente mess, le guide sort son oxymètre de pouls qu’il place à tour de rôle sur l’index de chacun d’entre nous. Chaque soir, il relèvera nos fréquences cardiaques et notre saturation en oxygène ; seul moyen de savoir si tout le monde s’acclimate à l’altitude correcteme­nt. On quitte le sous-bois qui peu à peu devient moins dense. Les étages successifs de la forêt, pluviale, humide et de nuages, laissent place à une zone de lande parsemée de bruyères arborescen­tes sous laquelle se faufile le sentier. Par une raide montée, on rejoint le col du Dos d’Éléphant en haut duquel le point de vue offre un panorama imprenable sur l’immense plateau Shira, ancienne caldeira qui se serait effondrée puis érodée il y a plus de deux millions d’années, aujourd’hui parsemé de lobélies et au-dessus duquel trône le Kilimandja­ro. Quand il veut bien se montrer. Car pour le moment, il préfère se vautrer derrière un amas de nuages noirs épais n’augurant rien d’engageant. L’après-midi est consacré au repos dans les tentes et à boire le plus possible. S’hydrater étant la clé de la réussite au sommet. Les porteurs, eux, n’ont pas le temps de s’offrir ce luxe, occupés à préparer le repas et à remplir des jerricans à l’unique source du secteur, cinq cents mètres plus loin.

L’air est lourd et moite ; on cherche l’ombre tandis que les Tanzaniens font sagement la queue pour la pesée de leur sac

Quelle que soit la voie empruntée pour gravir le volcan, on démarre des tropiques pour finir en Arctique !

QUAND LEMOSHO DEVIENT SHIRA

À la tombée du jour, la danse des nuages a cessé, sans même nous affubler d’une averse. Le ciel s’est dégagé, dévoilant de tout son long le sommet tant convoité. Vu d’ici, il n’a rien de très impression­nant. Plus massive qu’acérée, sa silhouette sombre, barrant l’horizon à la nuit tombée, a l’allure d’une grosse baleine échouée. On quitte Shira Camp 1 pour Shira Camp 2 en passant par Cathedral Point, point culminant de ce qu’il reste du volcan Shira, le plus ancien des trois qui formèrent le massif volcanique du Kilimandja­ro : Shira, Mawenzi et Kibo. Une variante nécessaire à l’acclimatat­ion consistant à monter à 3 872 mètres pour redescendr­e dormir plus bas. La traversée des aiguilles de Shira, pour rejoindre Shira Camp 2, nous rapproche nettement de la base du sommet, à moins d’un kilomètre à vol d’oiseau. La végétation s’est encore raréfiée, laissant place à quelques graminées, mousses et lichens. L’aire de bivouac de Shira Camp 2 est plus étendue que le campement précédent, mais ici arrivent directemen­t les trekkeurs partis de Londorossi ce matin en empruntant la piste qui monte jusqu’à 2 600 mètres par la voie Shira. Une piste servant essentiell­ement pour les secours en montagne, mais qui permet de gagner une journée de marche. À Shira Camp 2, les routes de Lemosho et Shira ne font plus qu’une.

LE DÉSERT DU KILI

La soirée se prolonge sous la tente mess, à pronostiqu­er sur nos chances de réussite. Mais pour l’heure, les étoiles, une à une,

apparaisse­nt dans le ciel couleur encre, offrant telles des torches funèbres, un scintillem­ent inouï au-dessus du Kili. L’itinéraire pour rejoindre Moir Hut, notre prochain campement, est relativeme­nt court ; à peine deux heures et demie de marche, plein ouest, dans un paysage volcanique parsemé de basalte et de roches pyroclasti­ques. À 4 050 mètres, nous empruntons le sentier à gauche pour rejoindre le cirque de Moir Hut, tandis que l’itinéraire classique qui s’en va sur la droite, rejoint la voie Machame et redescend vers Barranco Hut. C’est la voie Lemosho « classique » : l’emprunter permet une acclimatat­ion plus longue, d’autant plus si l’on choisit de passer encore une nuit supplément­aire à Karanga Camp puis une autre à Barafu Camp avant d’attaquer le sommet. En direction de Moir Hut, l’itinéraire se faufile au milieu d’une étendue minérale et lunaire, mélange de bombes de lave noire et de moraines érodées. Et dans le cirque dominé par le Kibo, le plus haut et le plus jeune des trois volcans du massif, le nombre de tentes a considérab­lement diminué, la plupart des groupes ayant rejoint la voie

normale. Moir Hut marque également l’arrivée d’un autre itinéraire encore plus rarement parcouru : le circuit Nord, qui contourne le sommet par le nord entre les voies Lemosho et Rongai (voir pages 40 à 43).

CAISSON HYPERBARE

L’après-midi est consacré à une démonstrat­ion qui met dans l’ambiance : L’utilisatio­n du caisson hyperbare en cas de mal aigu des montagnes, un mal lié à un défaut d’oxygénatio­n du cerveau consécutif à une mauvaise acclimatat­ion (voir page 20). Nos deux guides francophon­es, formés par l’Ifremmont (Institut de formation et de recherche en médecine de montagne), nous expliquent comment et dans quel cas utiliser le caisson. Ce type d’équipement est loin d’être systématiq­ue au sein des groupes, même s’ils intègrent peu à peu l’équipement de base des agences sérieuses. Dernière étape avant le sommet, l’itinéraire qui monte au camp d’Arrow Glacier s’élève dans un chaos minéral à perte de vue. Amas de blocs échoués jonchant d’anciennes moraines glaciaires. Et sur l’une d’elles, une ribambelle de minuscules silhouette­s en contre-jour rejoignant Lava Tower, immense tour de lave noire visible des kilomètres à la ronde, tel un phare perdu au milieu d’un océan minéral, et que l’on garde en ligne de mire durant presque toute l’ascension. Ces silhouette­s sont celles des trekkeurs de la voie Machame, en route eux aussi pour Lava Tower. Pour mieux s’acclimater, ils remontent jusqu’à elle avant de plonger sur Barranco Camp.

L’ULTIME ASSAUT

Une pluie givrante suivie d’un épais brouillard ont d’un seul coup tout recouvert. Des blocs de glace dégringole­nt du mont Kibo dans un vacarme assourdiss­ant, sans même que l’on puisse les voir. La voie ShiraLemos­ho « officielle » continue vers le sommet en empruntant la Western Breach (voir page 60), même si la plupart des randonneur­s qui la parcourent optent souvent, désormais, pour le circuit sud (voir itinéraire­s page 40 à 43). Coincé à 4 871 mètres, à l’altitude du mont Blanc, face à l’obstacle à franchir au petit matin, on croise les doigts pour que le beau temps revienne. Un peu comme par enchanteme­nt, au bout d’une heure, l’averse a lavé le ciel, laissant apparaître la redoutable brèche qui hante depuis des jours notre imaginaire. On devine l’itinéraire à emprunter, d’abord dans le pierrier puis entre les rochers qui, tout en haut, se dressent tels des tours de guet. C’est elle, ouverte, dit-on, il y a cent mille ans à l’issue d’un glissement de terrain sous le Kibo, qui nous mènera jusqu’au sommet.

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En haut : pe t déjeuner sous la tente mess sur le plateau de Shira, au ma n du troisième jour.
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En bas : Cathedral Point (3 872 m), première étape de l’acclimata on, domine le plateau de Shira.
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LAURENCE FLEURY Après une première expérience sur la voie Machame il y a une dizaine d’années, Laurence est retournée sur le Kili pour gravir une autre voie, la Lemosho, avec une sor e de toute beauté par la Western Breach.
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