Grands Reportages

Cordillère Huayhuash

L’HARMONIE MAJEURE

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22 juin. Le vent d’est, venu de l’Amazonie, roule ses nuages humides sur la cordillère. Dernier objectif du voyage pour une dernière bascule radicale ? Huayhuash est dans tous les esprits. Hier, une grosse journée à « basse intensité » nous a servi de jour de repos. Nous avons roulé sur les pistes vers les cols au nord de Carhuaz, pour prendre un peu de champ. La cordillère Noire comme balcon majeur sur la cordillère Blanche ? Villages minuscules, perchés sur les versants. Silhouette­s énigmatiqu­es des puya raimondii, véritables cierges accrochés aux pentes. La promesse du coucher de soleil sur le Huascaran et le Huandoy a échangé les flamboyanc­es attendues contre le jeu subtil du gris des nuages sur les arêtes et les faces. Le must de cette journée ? Le grand marché de Carhuaz, peut-être l’un des plus « andins » de toute la Cordillère. Un plein de sourires et de vie simple, avant de reprendre le chemin de mondes bien moins habités… Le vrai petit miracle de ce jour est advenu derrière la vitre (embuée) du minibus. Sortie soudaine des brumes grises. Fin de la pluie. Tout au bout des piémonts, Huayhuash a pris toute sa place en quelques secondes, avec sa guirlande de crêtes et de sommets entourant la face ouest du Yerupaja (6 635 m). Après « la Blanche », le contraste des horizons et des reliefs est tout simplement majeur. Plus petite. Plus altière et « singulière ». Plus lointaine et isolée, aussi. La magie de la « cordillère Rouge » n’en est qu’à

ses premiers dévoilemen­ts. Rouler dans les dédales des vallées, sur des pistes de semivertig­e. Oasis de verdures au ras des grands torrents. Villages reculés. In fine, les arrieros nous embarquent avec armes et bagages pour une jolie remontée entre de sublimes arêtes de calcaire sous le col de Cacanan. Sur les pistes muletières du Río Caliente (sources chaudes et bassins ocre), notre première demi-journée de marche autour de Huayhuash s’est doucement arrêtée face à l’amphithéât­re des faces du Jirishanka et du Rondoy, juste sous la Laguna Mitococha. Quelques chevaux. Le chant du torrent. Mis à part une petite équipe de grimpeurs japonais, en acclimatat­ion sur l’itinéraire, nous sommes à peu près seuls au monde, ce soir, à nous partager la magie du lieu… 23 juin. La montée en puissance de la singularit­é Huayhuash s’impose magistrale­ment. Le « plus » de cet itinéraire, concocté par Carlos Flores, notre guide de haute montagne péruvien, est bien au rendez-vous : nous avons commencé à délaisser l’itinéraire classique du tour de Huayhuash pour basculer sur les sentes rejoignant la Quebrada Alcaycocha, un vallon suspendu et désert, qui tombe droit (mais vraiment droit…) sur la grande lagune de Carhuacoch­a. Le col qui mène à cette star sur le tour de la cordillère, semble collé au nez des glaciers. Sur tout l’est, la barrière centrale des sommets principaux de Huayhuash, du Jirishanka à la Siula Grande et au Rondoy, tisse un horizon de beauté étagé entre 5 500 et 6 600 mètres. Un bout de monde à tomber par terre ? Entre installati­on au camp et repas du soir, écouter le chant et l’énergie du silence qui nous domine. Cris d’oiseaux sur la grande lagune. Légers grondement­s de torrents. Longues séquences du fracas des chutes de séracs. Et les reflets des sommets, en miroir parfait sur l’eau. Un monde grandiose et hors des hommes ? Seule une minuscule cabane d’alpage au toit de chaume et un petit enclos de pierre signent, tout au bout de la lagune, une fragile permanence humaine, incrustée dans la sauvagerie absolue des lieux. 25 juin. Avec le passage du col Trapecio (5 000 m), nous bouclons la descente plein sud des versants est de la cordillère, au nez des faces enneigées. Hier ? Une météo légèrement mesquine

(ciel couvert…) nous a accompagné­s vers le col de Siula (4 830 m). Sentiers raides et cassants hors de l’itinéraire classique, certes, mais surtout lagunes à répétition et spectacula­ires chutes de séracs au programme. Mais ce jour, savourer le paysage nouveau qui s’ouvre vers les hauts plateaux et les glaciers calmes des sommets de la cordillère Rauja. Plein gaz sous un pur ciel bleu, ce nouveau shunt sur l’itinéraire « normal » fut un pur bonheur. Vent frais et lagunes aux couleurs démentes. Et cette fois, les ânes et les chevaux étaient intégralem­ent de la partie sur un sentier… balaise pour eux. Entre les corniches suspendues du sommet du Trapecio (le petit 6 000 à main droite) et les orgues rouges du Puscantur (un joli 5 600, tout de verticales de basalte), la bambée de notre caravane à cent pattes inscrite dans la beauté des paysages était proche du « perfect moment »… 26 juin. Nouveau cap, plein nord : la remontée des bordures ouest de Huayhuash est en route. Sur le col Santa Rosa, la petite équation d’un pas de plus pour des kilomètres de vue gagnés avait vraiment de la gueule. Le panorama des sommets (Carnicero, Siula Grande, Yerupara…) et les étoiles turquoise et bleues des lagunes collées à nos pieds sous 900 mètres de pierriers, c’était « bon ». Vraiment. Tout autant que la remontée au-dessus de notre campement du soir : un allerretou­r « bonus » sur la Laguna Jurau. Torrents et couleurs. Moraines balaises. Mais aussi émotion de mémoire : à main droite du Yerupaja, nous contemplon­s le théâtre de démesure chaotique où s’est écrite, il y a plus de trente ans, l’épopée survivalis­te de l’alpiniste britanniqu­e Joe Simpson. Trois jours à ramper jambe brisée, abandonné (de bonne foi…) par son coéquipier, dans le labyrinthe du glacier et des systèmes de moraines débouchant de la Siula Grande ? Vu de tout en bas et en excellente forme, le truc paraît impossible. Mais il est vrai que côté « survie », les Andes, de Guillaumet aux passagers chanceux du vol 571, ne sont pas avares de grands récits. 27 juin. Un profil de journée très à l’envers de ce qu’il faut bien appeler désormais nos habitudes : la journée a commencé par un joli sept cents mètres de descente calme, entre torrent et lupins, dans la vaste vallée de Calinca. Cadeau éclair : le passage sur les crêtes d’un couple de

condors. Trente secondes, la tête en l’air, pour prendre la mesure de la taille et du domaine de vol de ces seigneurs des cordillère­s ? Un bout d’instant parfait, avant de toucher le point bas de notre itinéraire. Péage local (quinze euros par personne, plus les mules, au bénéfice de la communauté du village) et bifurcatio­n en atmosphère dense : à cent mètres au-dessus du hameau de Huayllapa (3 500 m), certains d’entre nous plongent vers la civilisati­on, entre curiosité pure (hasard des jours : une fête villageois­e, avec fanfare, danse et victuaille­s nous y attendait) et mobiles nettement plus prosaïques (recherche de quelques litres de vins). Les quelque 700 mètres de remontée sur les alpages de Huatiaq (à ne pas confondre avec le village de Huatiaq, sur la côte ouest du Groenland), sous les faces du Tapush et du Diablo Mudo, sont avalés à un train d’enfer. Ce n’est pas encore du trail, mais désormais nous sommes absolument acclimatés. Demain, les paris sont ouverts : de combien allons-nous faire tomber le chrono de l’étape prévue (8 heures), entre les bénéfices de l’acclimatat­ion et celui des trois litres de blanc chilien qui refroidiss­ent actuelleme­nt dans le torrent ? 28 juin. Deux cols pour cet avant-dernier jour. Notre périple tire à sa fin. Les arrieros sont à fond. Nous ? L’usure commence à se faire sentir. Indice : la variante du jour, à la sortie du col Yaucha Punta (une crête tranchant un fil suspendu entre les deux mondes absolument opposés des grandes faces du Yerupara jusqu’au Rondoy et l’enchevêtre­ment des hautes vallées plein ouest) n’a rassemblé, avec notre guide Carlos, que six forçats sur douze. Les 800 mètres du point de vue, pile au-dessus des lagunes, et pleine face du cirque glaciaire valaient pourtant l’effort de la descente, nettement abrupte et raidasse. Ce soir donc, dernier camp pour notre petite société. Après les jours de solitudes, une trentaine de tentes et plusieurs groupes nous entourent : la lagune Jahuacocha est un point d’entrée et de sortie « classique » des groupes de trek dans Huayhuash. Demain, un ultime col, isolé, pour ne pas finir « notre » boucle ni trop classiquem­ent, ni trop facilement. Et (bien plus étrange, à bien y penser…) demain soir, nous serons à peu près douchés et changés, du côté de Chiquian. Décompress­ion heureuse ? La boucle de ces semaines est bouclée. Dans deux jours, nous serons de retour au bord du Pacifique.

 ??  ?? Des vallées isolées mais pas désertes : croisement avec de jeunes bergers, près de la Laguna Carnicero.
Des vallées isolées mais pas désertes : croisement avec de jeunes bergers, près de la Laguna Carnicero.
 ??  ?? Jour 5 : pierriers, sommets et lagunas : la vue sur le coeur d’al tude de Huayhuash (Siula Grande et Yerupaja), depuis le col de Santa Rosa.
Jour 5 : pierriers, sommets et lagunas : la vue sur le coeur d’al tude de Huayhuash (Siula Grande et Yerupaja), depuis le col de Santa Rosa.
 ??  ?? Extrémité sud du tour de Huayhuash : pile sous le sommet du Trapecio, nos arrieros et une pe te centaine de sabots filent plein gaz vers le col éponyme, qui frôle les glaciers arrondis de la cordillère Raura.
Extrémité sud du tour de Huayhuash : pile sous le sommet du Trapecio, nos arrieros et une pe te centaine de sabots filent plein gaz vers le col éponyme, qui frôle les glaciers arrondis de la cordillère Raura.
 ??  ?? Au bonheur des névés faciles et des météos parfaites : la joie partagée de notre guide péruvien Carlos Flores et du groupe, sur les derniers mètres menant au col Santa Rosa.
Au bonheur des névés faciles et des météos parfaites : la joie partagée de notre guide péruvien Carlos Flores et du groupe, sur les derniers mètres menant au col Santa Rosa.

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