SUR LES CHEMINS DE COMPOSTELLE EN BRETAGNE
LA FERVENTE BRETAGNE COMPTE CINQ GRANDS ITINÉRAIRES QUI MÈNENT JUSQU’À COMPOSTELLE SUR LE TOMBEAU DE SANT JAKEZ, SAINT JACQUES EN BRETON. CINQ CHEMINS RÉHABILITÉS DEPUIS QUELQUES ANNÉES, QUI PERMETTENT DE DÉCOUVRIR UN PATRIMOINE JACQUAIRE EXCEPTIONNEL.
Emprunte d’une profonde dévotion populaire, la Bretagne ne pouvait rester à l’écart du grand voyage vers Saint-Jacques-de-Compostelle, l’un des trois plus importants pèlerinages de la Chrétienté avec Rome et Jérusalem ! C’est une longue histoire vieille de onze siècles. Et un long chemin de plus de mille huit cents kilomètres. Un sentier de ferveur qui mène d’un bout du monde à l’autre. De la Bretagne et son Finistère à la Galice, une autre finis terrae. Un chemin de croix qui conduit là-bas, loin derrière les Pyrénées, au nord de l’Espagne. Là où l’ermite Pelagius guidé par une étoile découvrit, au IXe siècle, un tombeau considéré comme celui de Jacques le Majeur, l’apôtre de l’ouest, saint parmi les Saints du groupe des douze à avoir assisté à la Résurrection de Jésus. Fervents croyants, les Bretons furent alors au cours des siècles - comme tous les catholiques d’Europe - des pèlerins assidus. Et ils furent ainsi nombreux à rejoindre Compostelle… en bateau !
Alors que la plupart des jacquets empruntaient les chemins de France et de Navarre, eux embarquaient de Vannes, de Tréguier, de Morlaix ou Guérande et cabotaient en faisant escale à Bayonne, Bilbao et Santander avant d’achever leur périple à pied après avoir débarqué au port de La Corogne.
CINQ CHEMINS
Bien entendu au Moyen Âge, point de topoguide, de chemins balisés, d’amateurs de randonnée et de pèlerinage touristique. On ne s’engageait sur cette route dangereuse que pour le salut de son âme et il existait autant de voies que de jacquets. Chacun partait de chez lui et empruntait l’itinéraire le moins éprouvant et le plus rapide pour atteindre le Campus Stellae, le champ de l’étoile, afin de grappiller quelques bons points pour le Paradis. Et pour les marins, il n’y a pas de voies plus évidentes que celles tracées par l’étrave des bateaux sur l’océan.
Parler des chemins de Saint Jacques terrestres en Bretagne pourrait ainsi être considéré par les connaisseurs comme un blasphème. L’hérésie commerciale de quelques mécréants sans scrupule qui n’hésiteraient pas à vendre l’âme de la Bretagne au diable et à la mode des projets de développement éco-touristique. Au cours de la dernière décennie, Saint-Jacques et ses chemins sacrés ne sont-ils pas aussi devenus un sacré business? « Maintenant, en France, chaque département veut avoir son bout de chemin de Saint-Jacques et des villes se disputent la manne que les pèlerins sont censés représenter. » observe non sans vérité Denise Péricard-Méa, docteur en histoire de l’Université Paris I-Sorbonne, qui a consacré sa thèse aux cultes de Saint-Jacques. Il existe ainsi – dans les topoguides tout au moins – cinq grandes routes dites « Des chemins de Saint Jacques en Bretagne ». Le Conquet, Saint-Pol-de-Léon, Locquirec, Paimpol et le Mont-Saint-Michel constituent le point de départ de ces itinéraires balisés par les membres de la très active Association bretonne des amis de Saint-Jacques de Compostelle, qui compte près de 1 500 adhérents. Aussi étonnant que cela puisse paraître, ces chemins ne puisent cependant pas leur itinéraire à la source d’une véritable origine historique. Ils constituent seulement des créa-
D’abbayes en prieurés, de gisants en calvaires… le camiño breton revisite le patrimoine et l’imaginaire
tions modernes. Romantiques. « Ces chemins ont simplement été conçus parce que les marcheurs bretons voulaient partir de chez eux, plutôt que du Puy, pour rejoindre Saint-Jacques » explique l’écrivain Jean-Claude Bourlès, qui a consacré trois ouvrages au camino. « Je faisais partie des équipes qui ont ouvert ces itinéraires » se souvient-il. « Il a fallu repérer les tracés avec des cartes, demander des autorisations aux mairies et aux propriétaires privés, défricher, débroussailler, baliser les sentiers, écrire les topos et les vérifier… C’était un travail de fourmi énorme qui a mobilisé plus de cent cinquante bénévoles. »
PHÉNOMÈNE JACQUAIRE
C’est ainsi qu’à l’aube des années 2000 ont été créés de toute pièce en moins d’une dizaine d’années les chemins de Sant Jakez en Bretagne!
Hyper contemporaines, ces routes ne seraientelles que pure invention ? Non, la réalité n’est pas aussi manichéenne. Les tracés cheminent en effet entre le vrai et le faux. Entre le désir de créer des sentiers répondant à la demande actuelle d’un tourisme vert et un héritage jacquaire incontestable. La Bretagne fourmille en effet d’un très riche patrimoine religieux lié à Jacques le Majeur. Conques sculptées, églises dédiées au Saint, représentations peintes, statues, calvaires, vitraux… Dans son ouvrage Saint Jacques en Bretagne, l’historien amateur Jean Roudier recense par le détail l’impressionnant leg jacquaire. En une dizaine d’années de recherche, il a ainsi répertorié plus de sept cents sites et objets et dans son étude très fouillée, Par terre et par mer, les pèlerins bretons à Compostelle, il analyse avec précision l’ampleur du pèlerinage au cours
des siècles. « S’il est impossible de tracer réellement l’itinéraire de ces chemins, on ne peut nier le phénomène jacquaire en Bretagne et l’impressionnant patrimoine lié au culte de Saint-Jacques. » explique-t-il. Comme le chemin « officiel », les itinéraires de Bretagne ne seraient-ils pas de simples prétextes ? À marcher. Se retrouver. Rencontrer. Découvrir. « Nos chemins sont une invitation à frotter son âme contre celles de ceux qui ont, des siècles avant nous, voulu nous délivrer - peint ou ciselé dans la pierre - un message de foi et d’humanité » considère ainsi Christian Paul, un retraité passionné d’histoire. Judicieusement établis, les itinéraires – enracinés sur ce terreau historique riche – permettent en effet de découvrir de nombreux joyaux de Bretagne. La majestueuse abbaye de Beauport considérée comme l’une des plus belles de la région. La pointe Saint-Mathieu et son phare planté au coeur d’une ruine romantique. Le Mont-Saint-Michel, merveille normande incontournable, doublement sacrée, à la fois point de départ jacquaire et luimême objet d’un pèlerinage. Josselin et son impressionnant château, Saint-Thégonec et son calvaire, Vitré, Fougères et leurs forteresses… Les trésors sont nombreux alors que, méconnus, les chemins bretons restent encore très confidentiels. On est loin de la « foule » des 30 000 marcheurs par an, de la voie du Puy. Propice à l’introspection comme au tourisme, les chemins de Bretagne constituent ainsi un véritable chemin de solitude et de surprises. « Ce sont les chemins de Saint-Jacques du troisième millénaire ! » conclut Jean-Claude Bourlès. Des chemins du XXIe siècle pour des marcheurs du XXIe siècle.
« Un lieu étrange que ce Mont-Saint-Michel ! Autour de nous, à perte de vue, l’espace infini, l’horizon bleu de la mer, l’horizon vert de la terre, les nuages, l’air, la liberté… » Victor Hugo, 1836