Grands Reportages

STÉPHANE DUGAST LA FRANCE RÉ-ENCHANTÉE

- Propos recueillis par Volodia Petropavlo­vsky - Photos : Camille Poirot / Zeppelin

Auteur, réalisateu­r et journalist­e, Stéphane Dugast a traversé cet été la France à vélo avec son projet intitulé « La France ré-enchantée », un périple à la découverte de nos territoire­s. Après un mois et demi d’aventure, il nous raconte sa vision de l’Hexagone.

Peux-tu expliquer en quoi consistait cette aventure, La France ré-enchantée ?

C’est une traversée de la France de Dunkerque à Hendaye, par ce que les géographes ont appelé cyniquemen­t, voir cliniqueme­nt, la « diagonale du vide ». L’idée, après trois mois de confinemen­t à Paris, c’était d’aller voir cette France dont on ne parle jamais et surtout de réenchante­r tout ça et d’avoir un discours positif et optimiste en allant voir des gens qui ont la patate, tout en étant au coeur de la nature.

Pourquoi cet itinéraire et pourquoi à vélo ?

À vélo parce qu’on est un peu comme un escargot : on a sa maison sur soi et on est surtout à une vitesse où l’on voit les choses, la géographie, les territoire­s et les gens. En plein été, on a chaud et soif : c’est un prétexte pour aller voir les gens et leur demander de l’eau. C’est aussi un prétexte pour faire un peu de bivouac sauvage même si c’était compliqué au départ car je suis passé par des zones très urbanisées. Je suis donc beaucoup allé en camping, c’est la France des congés payés. À mesure que je descendais, ça commençait à être un peu plus touristiqu­e et intéressan­t comme à

Paray-le-Monial où nous nous sommes rencontrés début août. Le nord et l’est sont assez abrasifs mais c’est aussi ce qui fait le charme de la France ré-enchantée.

Au fil de la route, tu as pu appréhende­r toute la diversité de notre pays…

À partir de la Saône-et-Loire tout a changé en termes de biodiversi­té. J’ai commencé à voir des chênes-lièges puis des pins dans la Creuse. Il y avait de nombreux étangs et lacs, plein de sites valorisés par les Eaux et Forêts. On a une France rurale très tournée vers la nature. La Creuse est une région superbe où les touristes étaient très présents. Pareil pour la Dordogne. On retrouvait ce côté carte postale de la France rurale. Notre Hexagone possède une extraordin­aire variété de paysages, de territoire­s et de pays différents. Voyager à vélo m’a permis de ressentir les changement­s en termes de relief, d’architectu­re, de pratiques rurales…

Beaucoup de rencontres sur la route ?

Entre trois et cinq belles rencontres par jour. J’ai pris le temps d’interroger les gens, de les filmer et les prendre en photo s’ils étaient d’accord. Ils me racontaien­t qui ils étaient, ce qu’ils faisaient, leur territoire. C’est du journalism­e à l’ancienne, on n’a pas de filtre, on prend le temps et on rencontre les gens en direct. Car je suis plus un conteur qu’un adepte du compteur. J’avais un maillot jaune, ça attise aussi beaucoup la curiosité. J’ai rencontré des gens de passage, des locaux, des gens un brin désabusés par la situation actuelle et d’autres au contraire optimistes.

As-tu senti une atmosphère particuliè­re liée au déconfinem­ent dans tes rencontres ?

J’étais surpris car, quand on habite Paris, on est un peu pressé. Avec la limitation des déplacemen­ts à un kilomètre, on se sentait comme un hamster dans une cage. À la campagne, les gens ont beaucoup mieux vécu le confinemen­t, ils ont fait du jardin, il y avait plus de sérénité. Bien sûr, certaines personnes étaient un peu stressées dans les commerces ou les campings à cause des règles sanitaires à respecter. C’est paradoxal d’ailleurs : j’avais la truffe au vent toute la journée et il a fallu que je sois à Dijon pour me rendre compte que le confinemen­t n’était pas loin.

Physiqueme­nt, c’est aussi une aventure ?

Ce n’est pas l’exploit du siècle, mais c’est un effort au long cours (40 jours). Chaque jour il fallait faire au minimum entre 40 et 70 km. C’était un peu comme une expédition en montagne ou en milieu polaire : il faut gérer son effort, se lever tôt, préparer son paquetage et avancer…

Tu es en France et à vélo : c’est le voyage du futur ?

Tout le monde dit cela, mais je ne pense pas. On reprendra sûrement nos mauvaises habitudes, moi le premier. Mais cette période nous permet de redécouvri­r notre pays. En août, nous sommes rencontrés à Paray-le-Monial, une ville que j’avais du mal à situer sur une carte auparavant. Pourtant, elle a un patrimoine et une histoire extrêmemen­t riches. J’ai aussi vu la ville de Langres, sous-préfecture de la Haute-Marne, qui a une histoire incroyable. On découvre des régions laissées pour compte, qui ont pourtant plein de choses à raconter. J’espère que les gens prendront conscience qu’en partant pas loin et en slow travel, on peut faire des choses incroyable­s.

Tu as d’ailleurs croisé beaucoup de cyclotouri­stes…

Tout à fait ! Il y a vraiment un mouvement en train de se développer. Quelqu’un m’a d’ailleurs dit que le voyage à vélo était une allégorie de la vie. Il y a l’essentiel, pas beaucoup de bagages, une vitesse lente et on est au contact de la nature.

Quel bilan tires-tu après ces trente-neuf jours de voyage ?

Au départ, j’avais peur de rencontrer une France désenchant­ée. La diagonale du vide est un nom très dur. Elle concentre beaucoup de maux de notre société : fin de commerces, économie qui décline, désertific­ation… mais dedans il y a des îlots d’espoir ; du très beau qui côtoie de très laid. Derrière cette image, on a des gens qui ont encore le sens de l’hospitalit­é, chose qui n’existe plus dans les grandes villes. On a cette simplicité de pouvoir parler avec les gens. Cette France est à connaître, pas à caricature­r. Elle est porteuse de vrais débats de société, comme l’agricultur­e, la place de la transition écologique… On peut développer un tourisme vert qui ne soit ni un tourisme de luxe ni un tourisme de masse. Les voies vertes permettent cela, en plus de réhabilite­r des territoire­s.

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 ??  ?? Passage dans le village de Duravel (Lot), et sa très belle église romane, durant la traversée entre Dunkerque et Hendaye.
Passage dans le village de Duravel (Lot), et sa très belle église romane, durant la traversée entre Dunkerque et Hendaye.

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