ETHIQUETTE
C’est sans doute l’un des paradoxes de la protection du patrimoineI qu’il soit naturel ou culturel. Si on place certains biens sous un statut protecteur spécifique, en leur appliquant des mesures de gestion adaptées (protection, restauration, aménagement du site…), on leur confère, au passage, une mise en lumière inéditeI qui vientI dans la plupart des situationsI doper leur fréquentation touristique, avec les désagréments qui vont avec. Si ce dommage collatéral est contrôlable dans la plupart des casI pour ce qui est du site lui-mêmeI il n’en demeure pas toujours totalement satisfaisant pour le visiteur. ge me souviens avoir visité par deux fois le Pont du Gard à trente ans d’intervalle. La première foisI nous le traversions en voitureI avant de nous poser sur un parking sauvage pour aller gambader dans la canalisationI au sommet. Plus récemmentI j’ai dû accéder au site par une route ultra baliséeI en sens uniqueI pour me rendre au parking (payant), et rejoindre le site à pied. Aucune voitureI et un joli musée. Mais la foule était au rendez-vous. Très honnêtement, il n’y a pas lieu ici de regretter le passé. Mais c’est parfois moins le cas ailleurs. Ceux qui ont découvert l’Égypte, le Pérou ou le Taj
Mahal « dans leur jus » il y a quarante ou cinquante ans en gardent sans doute un souvenir ému.
Ne nous leurrons pas. La surfréquentation touristique est devenue un problème majeur de nos sociétés. Et un magazine tel que celui que vous tenez entre les mains y tient sa part de responsabilité. Que faire, me direz-vous? À l’image des grands parcs nationaux, où le tourisme difficilement contrôlable implique des interdictions toujours plus larges, la découverte des lieux est de moins en moins vue comme une sensibilisation à un milieu et toujours plus comme une nuisance. La stratégie des gestionnaires consiste bien souvent à cantonner la masse sur un lieu spécifique, pour pouvoir épargner le reste. Et on gagne bien souvent, côté voyageur cette fois, à rester bien loin des limites de la zone de protection pour découvrirI à sa guise, une nature intacte. La Nouvelle-Zélande soulevait récemment « l’effet Instagram », et le manque d’originalité des visiteurs au pays des kiwis. C’est une réalitéI partout dans le monde. On court le hashtag plutôt que de savourer d’autres lieux plus confidentiels, plus conformes à notre éthique profonde de voyageur. Doit-on s’en plaindre ? Ou se réjouir de ces lieux soudain étiquetés « à éviter » ? Rien ne vous empêche d’aller chercher votre
bonheur ailleursI après tout...