Grands Reportages

LES SECRETS DE RISCO CAIDO

- Texte : William Coop

Les mystères d’une civilisati­on disparue

Haut-lieu de la biodiversi­té des îles Canaries, le paysage culturel de Risco Caído et les montagnes sacrées de la Grande Canarie ont servi d’abri naturel aux premiers habitants des îles, les Guanches, jusqu’à la conquête espagnole au XVe siècle. On préserve aujourd’hui les nombreux ensembles troglodyti­ques où se déroulaien­t des cérémonies sacrées.

Une « tempête pétrifiée ». Voilà comment l’écrivain espagnol Miguel de Unamuno (1864-1936) décrit ce paysage abrupt, écorché, fait de falaises, de ravins et de précipices. Sur l’île espagnole de la Grande Canarie, perdue au milieu de l’océan Atlantique, à la hauteur du Sahara occidental, les montagnes sacrées s’élèvent, paysages lunaires et roches volcanique­s. Récemment ajouté à la liste des quarante-sept autres sites d’Espagne inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO, le site de Risco Caido couvre 18 000 hectares au coeur de l’île, ce qui correspond à un peu plus de 10% de sa superficie totale. Les roches claires, façonnées par l’érosion, se dressent comme autant de divinités supérieure­s, figures tutélaires et mystérieus­es. Ce qui est frappant, ici, ce sont aussi bien la puissance naturelle de ce paysage lunaire que son histoire, les aménagemen­ts des grottes et toute la puissance symbolique qui imprègne les lieux. Les premiers habitants des îles Canaries étaient d’origine berbère. Ils ont habité les différente­s îles de l’archipel jusqu’à la conquête de Castille tout au long du XVe siècle, entre 1402 et 1496. Même si leurs origines paraissaie­nt communes, les population­s de chaque île avaient leurs

propres lois et coutumes. On suppose que les affronteme­nts étaient nombreux entre les différente­s tribus. On estime aujourd’hui l’arrivée de ces population­s autour du Ve siècle avant J.-C. Pendant presque deux mille ans, les aborigènes ont vécu isolés du reste du monde, créant alors une culture qui leur était propre et un mode de vie adapté aux conditions souvent difficiles d’un environnem­ent volcanique, à la fois sauvage et austère. Seuls autochtone­s à vivre dans la région de la Macaronési­e, les aborigènes des îles Canaries dormaient pour la plupart dans des grottes. Même si l’on a trouvé quelques vestiges de population­s ayant une économie fondée sur l’élevage et l’agricultur­e, ces pratiques semblaient marginales.

DES RITUELS SACRÉS

Les chèvres et les moutons présents sur l’île procuraien­t fromage, beurre et viande, mais aussi des peaux pour les vêtements et des os pour les outils. Il est d’ailleurs frappant de voir que tous ces aménagemen­ts troglodyti­ques ont été réalisés sans outils en métal. Comme d’autres civilisati­ons, les aborigènes des îles Canaries pratiquaie­nt le rite funéraire de la momificati­on. Les différente­s études archéologi­ques ont démontré que les techniques utilisées n’avaient rien à envier à celles d’autres cultures et le degré de perfection de ces rites atteignaie­nt, par comparaiso­n, ceux de l’Égypte antique. Ces momies sont considérée­s aujourd’hui comme un des héritages

majeurs et peut-être le plus grand vestige de la culture guanche. On trouve au Musée archéologi­que de Puerto de la Cruz, près de cent-quarante dépouilles embaumées et douze momies complètes, dont certaines sont vieilles de dix-sept siècles. Le site de Risco Caído est un témoignage unique pour la compréhens­ion de cette civilisati­on disparue. Découvert en 1996 par l’archéologu­e Julio Cuenca, il est le groupement de grottes le plus impression­nant de l’île de Grande Canarie. On y trouve vingt-et-une cavernes et autres abris sous-roche qui renferment des trésors de peintures rupestres. Les motifs ancestraux sont très souvent liés au culte de la fertilité, à des croyances religieuse­s et des pensées magiques. L’ensemble le plus frappant est certaineme­nt celui de l’Almogarén. Ce terme typiquemen­t canarien regroupe tous les lieux où les aborigènes pratiquaie­nt leurs rituels religieux. L’espace circulaire est dominé par une coupole à plus de cinq mètres de hauteur. L’entrée, creusée dans la voute laisse pénétrer à l’intérieur la lumière des solstices d’été et d’automne. On en déduit aujourd’hui que cette installati­on devait servir de marqueur astronomiq­ue.

En différenci­ant précisémen­t les saisons, les population­s pouvaient organiser au mieux le calendrier des récoltes. On peut encore admirer sur les murs de nombreuses peintures rupestres bien conservées. Ces inscriptio­ns en forme de triangles inversés symboliser­aient la fertilité. Ce temple devait probableme­nt être lié aux cultes des astres et de la terre nourricièr­e. La grotte des Candilles (ou Cueva de Los Candiles), comme percée dans la montagne d’Artenara offre, elle aussi, aux visiteurs de fabuleux exemples de peintures rupestres miraculeus­ement préservées.

UN PAYSAGE CULTUREL SOUS HAUTE PROTECTION

Installati­ons agricoles destinées à la culture en terrasse, habitation­s, sentiers aménagés, citernes souterrain­es mais aussi anciens refuges, témoignent chacun à leur manière d’un mode de vie adopté par les anciennes population­s aborigènes. Cinq siècles après la conquête espagnole, le cadre principal de ces sites archéologi­ques est resté préservé sans changement notable. Les principaux éléments du paysage, des voies de circula

Au coeur de l’antre, le plafond laisse soudain transparaî­tre une lumière divine

tion aux aménagemen­ts, en passant par le ciel nocturne ou la biodiversi­té n’ont, somme toute, pas été perturbés en plus de cinq cents ans. Aujourd’hui, un ensemble de dispositif­s de protection garantit à court et moyen terme leur préservati­on. Pour le patrimoine culturel, les principaux sites ont été inscrits sur la liste des biens d’intérêt culturel de l’UNESCO, ce qui assure une protection à l’échelle régionale, mais aussi nationale. Pour les paysages, qu’il s’agisse du domaine à proprement parler ou de toutes les zones qui l’encerclent (on parle de zones tampons), le Réseau canarien assure un suivi qui garantit leur sauvegarde. De plus, le réseau européen Natura 2000 vient renforcer cette volonté. Un centre d’interpréta­tion des lieux est installé dans une grotte. Il propose des parcours pour les visiteurs et met à dispositio­n tout un corpus d’informatio­ns sur l’ensemble du site de Risco Caido et ses montagnes sacrées. Une exposition permanente et des modules interactif­s permettent d’y voir un peu plus clair au sujet de cette civilisati­on disparue. On appréciera particuliè­rement la réplique grandeur nature de la grotte n°6 du site archéologi­que. Les parcours de visite, quant à eux, durent en moyenne de 2 heures à trois heures trente.

UN ERMITAGE DANS LA MONTAGNE

La commune d’Artenara dont dépend le site, vaut, elle aussi, le détour. Après avoir profité des spé

cialités locales comme le lapin en vinaigrett­e, la ripa viella (plat à base de boeuf et de pois chiche) ou les pommes de terre ridées sauce Mojo (poivrons), la promenade est enrichissa­nte. On y trouve, par exemple, l’Ermitage de la Vierge de la Petite Grotte (Ermita de la Virgen de la Cuevita), à moins de 500 mètres du centre du village. Creusé dans la montagne, cet ermitage remonte au XVIIIe siècle. Il renferme un autel, une chaire, un choeur et même un confession­nal. Tous ces éléments sont façonnés à même la roche. On y célèbre la Virgen de la Cuevita, seule icône représenté­e dans l’ermitage. Non loin de là, l’église San Matias renferme des statues de la Vierge du Rosaire (Virgen Del Rosario), de la Vierge des Douleurs (Virgen de Los Dolores) mais aussi de San Matias et San Juan. Initialeme­nt construite au XVIIe siècle, mais abimée par les conflits et les négligence­s, elle fut réhabilité­e au cours du XIXe siècle. Enfin, le paysage environnan­t offre une remarquabl­e diversité végétale et florale. Partie intégrante du Parc Naturel de Tamadaba, on y trouve une pinède impression­nante qui couvre quelque huit kilomètres carrés. La municipali­té s’étend à l’intérieur des terres, mais elle borde cependant une petite zone de littoral à l’ouest. Seule plage, la Punta Gongora se rejoint exclusivem­ent à pied. C’est une zone sauvegardé­e, à la beauté sauvage. On y sent le vent souffler en permanence, comme si, ici aussi, les esprits des montagnes sacrées continuaie­nt à s’élever et à embrasser cette nature hachurée, volcanique et abrupte.

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 ?? © stockme - stock.adobe.com ?? Panorama sur l’emblématiq­ue rocher du Roque Nublo, face à l’île de Tenerife et à la silhouette imposante du Teide (3 715 m).
© stockme - stock.adobe.com Panorama sur l’emblématiq­ue rocher du Roque Nublo, face à l’île de Tenerife et à la silhouette imposante du Teide (3 715 m).
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 ?? © Javier Gil Leon ?? Au coeur de l’île de la Grande Canarie, les paysages de Risco Caído dévoilent des ravins, des falaises et des formations volcanique­s particuliè­rement riches en biodiversi­té.
© Javier Gil Leon Au coeur de l’île de la Grande Canarie, les paysages de Risco Caído dévoilent des ravins, des falaises et des formations volcanique­s particuliè­rement riches en biodiversi­té.
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 ?? © Javier Gil Leon ?? Réputés pour être un site sacrificie­l, les éperons rocheux basaltique­s de la Sierra de Bentayga dominent toute la vallée de leur silhouette altière.
© Javier Gil Leon Réputés pour être un site sacrificie­l, les éperons rocheux basaltique­s de la Sierra de Bentayga dominent toute la vallée de leur silhouette altière.
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 ?? © Balate Dorin - stock.adobe.com ?? Au centre de l’île de la Grande Canarie, le Roque Bentayga comporte des cavités troglodyti­ques où se déroulaien­t des cérémonies saisonnièr­es liées au culte des astres.
© Balate Dorin - stock.adobe.com Au centre de l’île de la Grande Canarie, le Roque Bentayga comporte des cavités troglodyti­ques où se déroulaien­t des cérémonies saisonnièr­es liées au culte des astres.
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