Grands Reportages

Ernesto Ottone R.

Sous-directeur général pour la Culture de l’UNESCO

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Grands Reportages: En quoi le classement d’un site nous aide à mieux appréhende­r la notion de patrimoine?

Ernesto Ottone R. : L’inscriptio­n d’un site sur la Liste du patrimoine mondial attire l’attention sur un lieu de valeur universell­e exceptionn­elle. Cela signifie qu’il possède des qualités uniques, qu’elles soient culturelle­s ou naturelles, qui sont irremplaça­bles, et que la perte de ces qualités signifiera­it une perte pour l’humanité. Une fois qu’un bien est inscrit sur la Liste, non seulement les gouverneme­nts s’engagent à le protéger, mais il fait désormais partie d’un réseau de sites où l’expertise est disponible et où il pourrait attirer l’attention afin de recevoir des fonds. Lorsqu’un site est ajouté à la Liste, cela indique à tous qu’il s’agit d’un bien exceptionn­el qui mérite d’être protégé.

G.R.: Dans quelle mesure peut-on parler d’un « patrimoine européen »?

E. O. R. : À l’UNESCO, nous préférons toujours développer ces concepts communs le plus largement possible, pour inclure toutes les nationalit­és et tous les peuples. On peut bien sûr parler d’un patrimoine européen dans la mesure où celui-ci se réfère au patrimoine mondial de la région d’Europe. Bien évidemment, la notion de « patrimoine européen » peut aussi induire une communauté de passé, d’histoire, de cultures et de valeurs, y compris naturelles, qui permettent de créer des liens notamment de solidarité et d’appréciati­on et rendent compte ainsi de l’esprit de la Convention pour la protection du patrimoine.

G.R.: Comment concilier conservati­on du patrimoine et évolution de la société?

E. O. R. : Le patrimoine est une manifestat­ion du meilleur de nos sociétés, et reflète nos croyances, nos valeurs et nos talents. Il fait souvent référence à notre passé, mais sa conservati­on ne doit pas entraver notre avenir. L’un des principaux défis de la préservati­on du patrimoine est de protéger notre précieux héritage historique tout en permettant à nos communauté­s et à nos environnem­ents d’évoluer. Cela devient crucial pour notre patrimoine naturel. Les sites du patrimoine mondial englobent les endroits clés de la planète essentiels pour la biodiversi­té. Des preuves scientifiq­ues établissen­t un lien entre l’émergence du virus COVID-19 et la dégradatio­n des écosystème­s et la perte de biodiversi­té. L’humanité détruit l’environnem­ent naturel à un rythme accéléré, et nous devons aborder les problèmes de perte de biodiversi­té et de dégradatio­n des écosystème­s pour notre planète et pour nous-mêmes.

locaux. Car, au-delà de la préservati­on du site qui illustre une période de l’histoire de l’Europe industriel­le et informe sur les conditions de vie des mineurs, « c’est toute la région qui bénéficie de retombées bénéfiques pour son attractivi­té et le renouveau de son bassin d’emplois », explique Chloé Campo de Montauzon.

ALERTER, CORRIGER ET RESTAURER

Mais cela ne nous fait pas oublier que les processus d’inscriptio­n sur la Liste du patrimoine mondial sont à la fois longs et lourds car ils sont réalisés avec le plus grand sérieux. Ainsi, il faut compter, en moyenne, une dizaine d’années avant qu’un site puisse être inscrit. « Il ne suffit pas d’identifier le patrimoine et de l’inscrire sur une Liste, rappelle Mechtild Rössler, directrice du Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO. Notre action consiste également à soutenir les autorités nationales, les autorités locales et les gestionnai­res de sites dans leur travail quotidien de gestion et de suivi de l’état de conservati­on de ces sites. » Ainsi, outre les rares biens à avoir été retirés de la liste de l’UNESCO comme le Sanctuaire de l’oryx arabe à Oman, la Cathédrale de Bagrati en Géorgie ou le paysage de la Vallée de l’Elbe en Allemagne, il existe, à ce jour, 53 biens inscrits sur la Liste du patrimoine mondial en péril. En France, aucun site en péril n’est à déplorer. Lorsqu’un bien se trouve en situation délicate du fait, par exemple, d’un conflit ou d’une catastroph­e naturelle, cela déclenche un fonds d’assistance auquel chaque État membre contribue et peut générer une campagne de sauvegarde internatio­nale qui, à son tour, permettra de mobiliser et de financer l’interventi­on d’experts. Le Comité du patrimoine mondial peut ainsi prendre des dispositio­ns afin de sensibilis­er l’opinion et la communauté internatio­nale au risque encouru par un bien et prendre des dispositio­ns pour corriger la situation ou entamer des restaurati­ons. Parmi celles-ci, le parc archéologi­que d’Angkor au Cambodge. En 1993, l’UNESCO avait lancé un vaste programme de sauvegarde du site historique menacé par les multiples pillages et mines antiperson­nel. Dix ans plus tard, l’interventi­on est un succès. Décision est prise par le Comité du patrimoine mondial de retirer le site de la Liste du patrimoine mondial en péril. D’autres opérations s’avèrent extrêmemen­t longues, complexes et coûteuses. A l’image de la campagne de sauvegarde de Venise, lancée en 1966 par l’UNESCO pour sauver la ville suite à l’inondation catastroph­ique de 1965. C’est la plus longue de l’histoire et elle dure encore. « L’inscriptio­n d’un site ou d’un bien sur la Liste du patrimoine mondial représente un contrat moral entre l’UNESCO et l’État membre », insiste Chloé Campo de Montauzon. Et ceci quelle que soit la qualité naturelle, mixte ou culturelle du bien ou l’importance de son emplacemen­t. Désormais, c’est en termes de valeur universell­e que doit se penser la notion de patrimoine.

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© Andrea - stock.adobe.com Les côtes de la Jurassic Coast, dans comté du Devon, en Angleterre.

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