PROTÉGER NOTRE HÉRITAGE
Certains voient le sport comme une pyramide, certains se voient en haut de cette pyramide parce qu’ils sont présidents, champions du monde, recordmans, etc. Si l’image est discutable, elle a au moins le mérite de montrer que l’attention se porte généralement sur le sommet, sur ceux qui sont dans la lumière. Ainsi, quand d’autres, redescendus dans la multitude de la base, ou cachés quelque part dans les fondations disparaissent, on ne remarque pas forcément la petite fissure dans l’édifice. Marietta Uhden était au sommet (podium et titres mondiaux) dans les années 2000. Et puis on vieillit, on s’écarte des compétitions pour continuer à grimper. Sauf que parfois la mort nous rattrape. Marietta est décédée en novembre dernier à l’âge de quarante-six ans. Philippe Ligerot, était l’une des fondations de notre sport. Invisible mais solide. Il était l’organisateur de l’un des événements les plus emblématiques de l’escalade : le Mondial de l’escalade de Serre Chevalier, qui a mué en Coupe du Monde, bougé à Briançon ces dernières années et fêté son vingt-cinquième anniversaire l’an dernier. Philippe est décédé en montagne en janvier de cette année à l’âge de cinquanteet-un ans. J’avais défendu, il y a quelques chroniques, le travail des ouvreurs, Philippe en tant qu’organisateur méritait encore plus cette chronique. Un organisateur passe son temps à se battre contre un tas de gens, prend trois minutes de bravos en cas de réussite et des mois de galère en cas d’échec. Mais ils le font avec leurs tripes pour l’amour de leur sport. J’avais aussi appelé à une mobilisation pour donner un rôle professionnel pour les anciens athlètes. On a trop tendance à oublier que les sacrifices ne sont pas payés par les maigres primes de compétitions. Et parmi ces sacrifices, il y a souvent les diplômes. Nous ne sommes pas tous taillés pour devenir moniteur d’escalade ou entraîneur. Ces deux thèmes sont liés, ils reflètent la nécessité de renforcer la légitimité de ceux qui travaillent dans l’ombre mais aussi de protéger leurs réalisations. Pour la simple raison qu’elles sont aujourd’hui saines de toute corruption. On ne gagne pas – beaucoup – d’argent avec l’escalade. Si ce travail n’est pas fait, rien ne nous dit que lorsque l’escalade sera olympique (ou plus grande) on ne verra pas débarquer un tas de profiteurs-experts-consultants qui n’ont aucune idée de la manière dont il faut fixer une prise d’escalade. Cela serait, dans l’ensemble, un mal puisque cela voudrait surtout dire que l’on n’a pas été capables de renforcer les compétences de ceux qui sont aux commandes, que ce soit dans le club du quartier d’à côté où dans les grandes instances. Le problème c’est que ce travail est fastidieux et peu évident. Il commence d’abord par la documentation du travail. Un Mondial de l’escalade, ça peut s’organiser au nez et à l’expérience, mais ça peut aussi s’écrire : processus, tableur, organigrammes, plan de crise… Tous ces outils, permettent de traverser les coups durs et lorsque notre travailleur de l’ombre est attaqué, à tort ou à raison, ce sont autant de ceintures de sécurité ou de preuves qu’un changement est nécessaire. Ces outils sont un antidote face à l’amateurisme et le bazar qui en découle souvent. Il se poursuit aussi par la communication (pas Facebook… hein !) et la transmission du travail. Le sourire de Marietta ne sera plus que photo, mais elle a été la première Allemande à pousser si loin le travail du haut niveau. Juliane Wurm et Jan Hojer bénéficient de son travail par l’entremise des entraîneurs Allemands.
Nous n’avons pas besoin de transformer notre travail tel des technocrates, quelques principes éthiques simples et une gouvernance précise et transparente feront le boulot. Pour que l’héritage que Marietta et Philippe ont accompli ne soit pas perdu.