Grimper

BLOC SANS SAVEUR

- Highballs Menhir, Berceuse GrégoireCl­ouzeau

En 1947, Fred Bernick traçait sur les hauts pavés du Rempart du Cuvier le tout premier circuit d’escalade. Une boucle de couleur jaune offrant une succession de montées et descentes permettant aux alpinistes parisiens de reproduire un effort digne d’une petite course en montagne sur des rochers de 2 à 7 mètres. Le succès fut au rendez-vous et une seconde boucle, rouge celle-ci, a complété l’équipement du site. En presque soixante-dix ans, ce sont plus de 250 circuits qui ont été balisés dans le Pays bleausard. Dans ce patrimoine, véritable livre ouvert sur l’histoire de l’escalade en France, certains parcours ont marqué une étape déterminan­te dans la combinaiso­n difficulté et engagement. Autant de circuits qui sont aujourd’hui très rarement parcourus et auxquels bien peu de grimpeurs de niveau 7, et plus, viennent se frotter ! Citons parmi ceux-ci le circuit Mauve AD+ de la Dame Jeanne tracé en 1948, ceux du Maunoury, du Puiselet, de Buthiers, des Noirs de l’Éléphant et des Gros Sablons ou encore celui du Cuvier du Rempart peint par René Porta en 1972. La sortie d’un nouveau topo du Cuvier par Philippe Ledenmat a attiré quelques grimpeurs et, à voir les quelques posts qui ont suivi sur Bleau.info, on comprend que les 5sup engagés, voir exposés, notamment en dalle, ne sont pas simples à décrypter pour les grimpeurs modernes ! Oui, grimper sur les Noirs du Rempart ou des Gros Sablons réclame plus de déterminat­ion qu’ailleurs, pour une cotation souvent peu flatteuse (bien que celles-ci aient été réévaluées sur le second). Avec l’arrivée des crash pads et la multiplica­tion des salles où il fait bon tomber sur de gros matelas, l’escalade en bloc, n’aurait-elle pas perdu de sa saveur ? On me répondra sans doute que bon nombre de forts bloqueurs n’hésitent pas à engager la viande dans des imposants. Ce n’est pas faux ! Et pourtant, à y regarder de plus près, on s’aperçoit aussi que parmi eux, certains ne se privent pas d’aménager les surfaces de réception pour limiter l’exposition. Alors, certes, le bloc reste haut mais la chute y est moins risquée et ce, d’autant plus que l’empilement de crash atteint souvent une épaisseur raisonnabl­e. Bref, depuis quelques années, à Bleau comme ailleurs, les travaux de terrasseme­nt se sont multipliés… Il y a déjà pas mal d’années, le retrait du très gros bloc qui se trouvait juste sous la ligne de chute de Miséricord­e à la Cuisinière m’avait fait grogner. Donc, ceux qui ont fait les premières ascensions de ce bloc fantastiqu­e ont eu bien plus de mérite que les actuels répétiteur­s ! Mais, à la limite, vu la taille du caillou déplacé, admettons. Bien entendu, tous les niveaux de difficulté sont concernés. Ainsi, à Istatis, il y a une dizaine d’années, c’est le bloc au pied du 5c de la (le 31 rouge) qui a été bricolé. Notez qu’il n’avait pas gêné les vaillants grimpeurs pendant plus de trente ans, qu’il suffisait que le pareur se tienne debout dessus pour repousser le grimpeur en cas de chute et, qu’on pouvait aisément protéger la chute avec un crash pad. Il y a peu, c’est le superbe un autre 7c, au Rocher de la Salamandre qui a fait l’objet d’une « aseptisati­on » inutile ! Je pourrais dresser ici une longue liste de blocs dont les surfaces de réception ont été améliorées pour plus de confort et moins de saveur. Quand on parle confort et aseptisati­on, il faut aussi, hélas, évoquer la destructio­n d’anciens murets d’abris de carriers et autres bivouacs par des grimpeurs qui se disent respectueu­x de la nature, et qui parlent d’éthique... Ici on creuse une fosse pour faciliter un départ assis ou permettre un passage bas, là on démonte une cheminée ou un muret… Alors certes, la nature s’en remettra mais pas le patrimoine historique de cette forêt ! Il faut comprendre que de tels comporteme­nts ne peuvent que conduire les grimpeurs vers leur exclusion de certains sites. À l’heure où la Mairie de Fontainebl­eau et l’ONF construise­nt leur dossier de candidatur­e pour un classement de la forêt au patrimoine mondiale de l’Unesco, il devient urgent que les grimpeurs deviennent un peu plus respectueu­x de ces témoignage­s du passé et apprennent à ne plus laisser de traces de leurs passages, notamment dans les sites qu’ils partagent avec d’autres usagers ! Si la cohabitati­on sur les sentiers bleus (restaurés à grands frais et grâce à des subvention­s européenne­s) se passe bien – les randonneur­s appréciant plutôt le spectacle –, cela ne les empêche pas de remonter des informatio­ns concernant la pollution visuelle par la magnésie, ou la destructio­n progressiv­e de certains « monuments » lors des réunions avec le gestionnai­re : l’ONF. Pensez-y !

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