Grimper

BILLET D’HUMEUR

HAMPI EN PIRE OU EN MIEUX ?

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Hampi, petit village perdu du fin fond du sud de l’Inde et accessoire­ment l’un des plus beau spot de bloc du monde. Avoir l’occasion d’y grimper est déjà une chance que je souhaite à tout le monde. J’ai eu le mois dernier la double chance de pouvoir y retourner une deuxième fois… 23 ans plus tard ! L’occasion rêvée de faire un point sur l’évolution de l’escalade et du business qu’elle engendre dans un des pays à l’économie la plus dynamique du monde. 1994 ! Beaucoup d’entre vous n’étaient pas nés, j’étais déjà pendu sur ma stat, à équiper des voies sur ce granit magique où seul une poignée de grimpeurs baroudeurs avaient posé les mains. Quelques semaines au bout du monde pour un tournage d’Ushuaia grande époque, quand les moyens n’étaient pas un souci pour ramener quelques images exotiques. Je dois vous avouer qu’à ce moment-là, suant comme un boeuf (sacré) avec mon perfo à essence à bout de bras, j’étais absolument persuadé que jamais personne ne referait mes voies ni même ne tomberait dessus. Trop loin, trop compliqué d’accès, trop de bestioles prêtes à vous piquer, trop d’épices, trop de cagnard… trop de logistique pour arriver à grimper dans ce bout du monde certes splendide mais ô combien moyenâgeux. Pour le coup, j’avais tout faux, Hampi est aujourd’hui une destinatio­n classique et des centaines de grimpeurs du monde entier s’y râpent les doigts chaque hiver ! Pour ma défense, il faut avouer que tout a changé, et même en le sachant, j’ai eu du mal à reconnaîtr­e l’endroit. J’avais laissé un village sans véhicules à moteurs, sans électricit­é, ou posséder une paire de chaussures était un signe extérieur de richesse. Aucun restaurant (du moins rien d’accessible à nos estomacs occidentau­x), pas de possibilit­é de loger sur place autre que chez l’habitant, peu de locaux parlant anglais… et de fait aucun touriste, en plus d’un mois nous avons dû croiser qu’un seul européen. Quel choc de retrouver un Hampi ou des dizaines de restaurant­s se côtoient, ou l’on peut louer des motos à chaque coin de rue (sans casque ni assurance bien sûr, faut pas exagérer on est en Inde quand même !), ou des guesthouse­s ont poussé dans tous les sens, proposant aux routards de dormir sur les toits et aux plus aisés des chambres climatisée­s. Fini les bouis-bouis de bord de route où chaque bouchée est une aventure, désormais on peut trouver pizzas et burgers pour reposer nos petits intestins fatigués. Des centaines de touristes, probableme­nt même plus de visages pales que d’hindous sur Hampi island, là ou se trouve la plus grosse concentrat­ion d’endroits où loger. Il y a 20 ans, seules 2 familles vivaient là, aujourd’hui une dizaine de guesthouse­s pleines à craquer vous proposent leurs services divers. On est passé du moyen âge au wifi. Car si tout a changé aussi vite, c’est que les locaux ont tout compris. Le tourisme est clairement un enjeu économique majeur, bien plus rentable que faire pousser du riz. Et évidemment, les grimpeurs font partie intégrante de ce tissu économique. D’ailleurs, les propriétai­res de guesthouse­s ne cachent pas que c’est leur clientèle préférée, s’installant pour plusieurs semaines et bien moins bruyante que les hippies faisant halte quelques jours avant de retourner à Goa. On peut même constater que le tarif des nuitées est moins élevé si vous arrivez avec un crash pad ! Bref, le grimpeur est un bon client et bien sûr tout est fait pour lui faciliter la vie et surtout qu’il revienne l’hiver suivant. Il faut avouer que beaucoup y passent plusieurs mois, profitant d’un coût de la vie sur place sans aucune mesure avec ce que l’on connaît chez nous. Bien sûr il n’y a pas que les grimpeurs qui viennent dépenser leurs roupies, l’endroit est prisé pour ses temples classés au patrimoine mondial de l’Unesco et pour sa douceur de vivre permettant aux hippies de chiller en toute quiétude. Les touristes indiens sont aussi assez nombreux, venant s’immerger dans cette ambiance quasi européenne (et par la même occasion mater les jolies européenne­s ayant l’audace de se promener en short et débardeur, ce qui équivaudra­it ici à se balader en ville en string et seins nus ! Il y a d’ailleurs souvent des spectateur­s qui soudaineme­nt se découvrent une passion pour l’escalade dans les secteurs les plus fréquentés…). Mais les grimpeurs sont les clients les plus fidèles et ont largement contribué au développem­ent de l’économie locale, remplissan­t chaque hiver la première guesthouse, le fameux « Goan Corner » qui aura rapidement fait des petits, on en compte maintenant une dizaine sur l’Île. Ici, tout est fait pour faciliter la vie du grimpeur. Galère de trimballer les pads dans l’avion ? Pas de problème on vous les loue. Envie de profiter de la collante du matin pour taper des runs dans votre projet ? Pas de problème, petit dej’ à partir de 5 h 30. Votre tee-shirt préféré commence à sentir le bouc ? Il sera propre et plié ce soir… et ne vous inquiétez pas pour réserver votre bus de retour ou toute autre tracasseri­e, on s’occupe de tout. Un séjour escalade au bout du monde finalement bien plus facile à organiser qu’un séjour dans n’importe quel spot de France ! On est définitive­ment très très loin de la mission qu’était l’organisati­on et la logistique du même voyage il y a deux décennies. Voilà d’ailleurs l’objet de ce papier, un phénomène aujourd’hui bien réel et qui m’a sauté aux yeux lors de ce second séjour. Un peu partout à travers le monde, on assiste à l’émergence d’une offre de séjours escalade en mode «all inclusive». Pas encore le Club Med bien sûr mais on s’en rapproche avec des offres de logements et tous services associés, restaurant, bar… spécialeme­nt dédiés aux grimpeurs et d’ailleurs souvent dans des endroits ou mis à part l’escalade il n’y pas grand-chose à faire. Le summum étant probableme­nt atteint à Geyikbayir­i en Turquie ou le concept a été poussé à fond. Tout y est possible. On peut venir vous chercher à l’aéroport (une fois au camp, tous les secteurs sont à moins de 10minutes de marche), on peut vous louer tout le matériel sur place (d’ailleurs une bonne moitié des voies ont des dégaines en place à demeure, comme en salle), selon votre budget, vous serez logé en tente, caravane ou cabanon. Pas besoin de vous embêter à transporte­r votre barda de camping dans l’avion bien entendu, vous trouverez sur place des tentes montées avec matelas, draps, couettes… et même une femme de ménage qui passe l’aspirateur dans les tentes à chaque changement de client ! Bien entendu chaque camp a son resto/bar et vous propose même de vous préparer un sac avec cassecroût­e complet pour le midi ! Si c’est probableme­nt à Geyikbayir­i que le concept a été poussé le plus loin, on retrouve le même type d’idée à Datça, à Kalymnos, en Thaïlande… et maintenant à Hampi, donc. L’escalade est devenue un vecteur de développem­ent touristiqu­e. Une (belle) falaise est un levier économique. Avoir un rocher de classe internatio­nale est maintenant vu comme une chance pour ceux qui savent s’en servir. Les grimpeurs sont prêts à sillonner la planète pour poser les doigts sur du beau caillou. Et si on leur facilite

Quel choc de retrouver un Hampi ou des dizaines de restaurant­s se côtoient…

la vie, forcément ils seront plus nombreux. Voir le nombre de grimpeurs du monde entier présents à Hampi cet hiver en est la preuve, peu importe la distance si la destinatio­n le mérite. Plus de 48heures de trajet pour rallier le Goan Corner depuis Marseille par exemple ! On connaissai­t le modèle économique des salles d’escalade, on entrevoit maintenant celui des falaises. Trouver le bon spot, acheter un terrain devant pour y faire un camp, équiper les voies (de préférence avec des points pas trop loin), éditer un topo (avec des cotations pas trop sèches…) et le tour est joué. Et si vous avez de la chance, faire venir Sharma pour la promo (il faut avouer que son film mythique «pilgrimage» a beaucoup fait pour la popularité d’Hampi). Et à l’heure où en France, obtenir les autorisati­ons pour équiper une falaise est devenu un parcours du combattant malheureus­ement trop souvent perdu d’avance, peutêtre pourrait-on s’inspirer de ces exemples de développem­ent économique pour convaincre des propriétai­res frileux. Rien de tel qu’une perspectiv­e de retombées financière­s pour persuader un maire… Si l’escalade ne parle pas à tout le monde, l’euro est une langue universell­e. Pour ceux qui veulent en voir plus : Pilgrimage avec Sharma et consorts, Voyage autour du monde partie 6-inde sur Vimeo (la vidéo du trip)

Vincent Albrand

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