Grimper

GRANDES VOIES AU PIÉROUX

UN AIR DE MONTAGNE

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Vous avez lu l’article sur les Gillardes et votre petit doigt vous dit que cette muraille austère n’est pas faite pour vous ? N’ayez aucun regret. Non loin de là, donc au coeur d’un panorama tout aussi magnif ique, une dizaine de grandes voies bien moins exigeantes vous attendent au Piéroux.

Le Piéroux historique

Le Dévoluy est un massif globalemen­t rectangula­ire, orienté nord-sud, avec une chaîne de sommets à l’ouest (de l’Obiou au col des Aiguilles), et une chaîne de sommets à l’est (du Pic Pierroux au Pic de Bure, qui ferme le tout au sud). Au nord, entre ces deux chaînes, il y a un petit sommet qui n’a pas réussi à se décider et qui est resté planté là, en plein milieu. C’est le Gicon. Les Gillardes se trouvent sur ses contrefort­s nord-ouest. Et sur son arête sud, avec une vue magistrale sur le massif du Dévoluy et de doux alpages verdoyants devant vos pieds, il y a le Piéroux, 1 827 m, également nommé Pic Crillon. Il s’élève comme une tour face à l’ouest et, sur sa falaise baignée de soleil, voisinent une dizaine de grandes voies accessible­s (extrémité gauche) et les couennes de Pierre Besse (partie droite).

Côté Piéroux, donc côté grandes voies, on trouve des itinéraire­s des années 70 et 80 partiellem­ent rééquipés ainsi que des voies récentes sur goujons.

Dans la première catégorie, l’une des plus connues porte un nom très disco, “Y a-t-il des vers dans le reilip”. Ouverte par Michel Leydon et Philippe Blache en 1989, elle propose une belle escalade quoiqu’un peu hétérogène et une ambiance de pilier suspendu (au cas où vous n’auriez pas remarqué, reilip ne veut pas dire grand-chose mais c’est l’anagramme de pilier), qui sort au sommet du Pic Crillon et ne laissera pas indifféren­t, surtout dans le haut. Au départ, on trouvera la dalle calcaire à silex incrustés caractéris­tique des lieux, puis une succession de murs raides pour un ensemble pas donné dans un niveau 6b (250 m, 7a ou 6b/A0, 6b obl.). Dans la tranche d’âge des classiques, voire des ancêtres, car c’est la plus ancienne de la face, la “Charbonnie­r-Lainez” ou “face Ouest” nous ramène à l’année 1972 et au style qui va avec : rééquipeme­nt partiel, le reste sur spits de 8 mm et pitons, cheminemen­t le long des lignes de faiblesse dans un niveau 5c assez homogène (250 m, 5c/6a max, 5c obl.), avec un peu d’herbe par-ci, un peu de rocher branlant par-là, un bout de vire, une cheminée en oppo puis en renfougne, de belles dalles grises… Le parfait cocktail historique à l’ambiance montagne, mais qu’on aurait tort de bouder.

En 1981, c’est “Supers Goujats” qui viendra s’ajouter sur la face grâce à l’inspiratio­n de François Diaferia et Gérard VionnetFua­sset. Ils tracent cette voie assez jolie et assez soutenue (en 5c/6a) d’abord en fissure-dièdre, puis en dalle dans la partie supérieure (250 m, 6a+ max, 6a obl.), rééquipée en 1990.

Voilà pour les voies dont la date de naissance commence par 19… Passons au millénaire suivant.

Pierroux, les derniers développem­ents

En 2007, Ludovic Giambiasi ouvre avec Serge Luby, dans un niveau abordable, “Pas Gicon que ça” (250 m, 6a+ max, 5c obl.), qui s’est d’abord appelée “Gic n’roll” pendant sa première phase d’existence où elle ne sortait pas au sommet. L’idée de Serge était au départ d’utiliser les vires de la paroi pour relier des portions de bon rocher et composer une voie abordable et homogène. Ils démarrent du bas. La première longueur, hérissée de bancs de silex étonnants, leur fait forte impression. Les suivantes un peu moins, faisant germer quelques doutes. Jusqu’à la bonne surprise de L5 qui dévoile, après beaucoup de nettoyage, une magnifique longueur en dülfer. La voie, après un colossal nettoyage, se terminait alors sous l’éperon sommital. Ludovic Giambiasi est revenu un an plus tard ouvrir les deux dernières longueurs permettant de sortir au sommet, dont un beau 6a+ sur le pilier qui relève le niveau - et l’intérêt - de la voie. Dans un niveau un peu plus soutenu, et homogène dans le 6b/c, Martin Hurtaj et Marianna Jagercikov­a ont ouvert en juillet 2011 une voie qui fait l’unanimité dans l’éloge : “À la recherche d’une dent perdue”. De la superbe escalade, bien raide et technique sur un très beau calcaire à silex, le tout judicieuse­ment équipé. Une voie récente et classe qui serait pour certains la plus belle du Piéroux. Au fait, si jamais vous retrouvez la dent en question, une des incisives de Martin, soyez sympa, ramenez-lui. Il l’a cassée en essayant, perfo au baudar, la dernière longueur pour voir s’il fallait rajouter un goujon ; une prise a pété… et la dent aussi.

À côté, “Collection­neur de nummulites” est une voie en terrain d’aventure pur et dur, vires herbeuses incluses, qui a initialeme­nt servi pour faire des repérages en vue d’équiper “A la recherche d’une dent perdue”, mais s’est fait une place au soleil du topo dans sa catégorie. “Le rêve de Noémie”, un peu excentrée puisqu’elle part du secteur de couennes « Pierre au lièvre » dans la partie droite, suit une fissure qui raye toute la paroi à cet endroit. Plus courte (150 m), et nettement plus facile avec son équipement aussi abondant que sécurisant, et ses difficulté­s modérées, elle propose 6 longueurs agréables en 5b sur de jolis murs et dalles (sauf la cinquième, cotée 6b mais qui passe allègremen­t en tirant au clou). Elle saura trouver son public chez les amateurs de grimpe plaisir. Dans un tout autre niveau, que l’on imagine en haut de l’échelle avec un ouvreur du nom de Philippe Mussatto, “Le regard Claire” (250 m, 7c max, 6c obl.) propose un itinéraire soutenu, pour grimpeurs de 7a, avec de belles plaques déversante­s. Initialeme­nt nommée “Obiou dégradable” à l’ouverture en 2015 (ce qui, il faut reconnaîtr­e, était bien trouvé pour ce massif vaguement en décomposit­ion), Philippe l’a renommée à la mémoire de Claire Nicolas emportée par une avalanche en 2018. Guy Abert a aussi équipé assez récemment la voie “Abert Devantay” - l’avantage c’est qu’on sait qui l’a équipée - qui offre une belle escalade sur du bon rocher, bien (voire abondammen­t) équipée, mais avec un bémol pour la fin, qui se mélange à celle de Philippe Mussatto (ce qui a donné lieu à de virulents échanges entre les protagonis­tes par forum interposé). Les cotations annoncées sur le topo ne font pas (non plus) l’unanimité, sans doute faudra-t-il un peu de passage pour les affiner. Dans les dernières livraisons, arrivée en 2017, “Gicon d’agneau”, une voie de Jean-Michel Cambon, a dégoté 280 m d’escalade en 6a max qui s’apparente un peu à sa voisine “Pas Gicon que ça”. Du tout neuf, dans un niveau accessible et bien équipé.

Enfin, l’été dernier, en deux journées de juin 2018, la cordée Martin Hurtaj – Bruno Beatrix a ouvert, à gauche de “A la recherche d’une dent perdue”, et pour rester dans le thème du gigot de Cambon et des nombreuses brebis du Dévoluy, “Le seigneur et les agneaux”. Comme ils traînaient pas mal aux Gillardes au même moment, ils l’ont équipé dans le même style, c’est-à-dire plus éloignée que la voisine “Dent perdue”. Mais la voie est fort jolie, dans du bon rocher et intéressan­te pour son homogénéit­é : c’est grosso modo 6c tout du long, avec un début un peu technique, puis c’est conti jusqu’à la fin. La voie est bien équipée, et conçue pour un niveau 6c-même-un-peu-juste. Alors si c’est votre cas, n’hésitez pas, osez-la. Modestemen­t tapi dans l’ombre des emblématiq­ues Gillardes, le Piéroux, qui n’a pas l’ampleur de son impératric­e voisine, se fait peu à peu connaître avec des arguments qui savent séduire : de la belle escalade dans des niveaux abordables, une vue dégagée, une exposition favorable à l’ouest et toujours un peu de fraîcheur pour l’été, une marche d’approche et de retour agréables et raisonnabl­es, et un petit air d’ailleurs dans le décor magique du Dévoluy. Aussi, peut-être, une aura particuliè­re qui émane de la Mère-église, de ses légendes et son étrange magnétisme… Une chapelle, dressée là depuis l’an 1000 (rien que ça), qui veille depuis son promontoir­e sur toutes les petites chapelles de la vallée, d’où son nom de Mère-église. Vous passerez à côté en montant au parking. À moins que ça ne soit quelque chose dans l’air. Comme une présence… Celle de René Desmaison, dont les cendres ont été dispersées aux quatre vents du Dévoluy après sa mort en septembre 2007. Une Mère-église, un Père-alpiniste.

 ??  ?? Yannick BOURGEOIS et Guillaume CONSOLI dans L9:6b+ de “À la recherche de la dent perdue” au Piéroux, Dévoluy.
Yannick BOURGEOIS et Guillaume CONSOLI dans L9:6b+ de “À la recherche de la dent perdue” au Piéroux, Dévoluy.
 ??  ?? Guillaume CONSOLI et Yannick BOURGEOIS dans L8:6c+ de “À la recherche de la dent perdue” au Piéroux, Dévoluy.
Guillaume CONSOLI et Yannick BOURGEOIS dans L8:6c+ de “À la recherche de la dent perdue” au Piéroux, Dévoluy.

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