Grimper

OBIOU, L’UNIVERS MINÉRAL

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Le Dévoluy traîne une réputation tenace de mauvais rocher. Pourtant, il suff it de regarder les photos de ce magazine – réalisées sans trucage – pour voir d’emblée qu’il y a de belles choses à grimper.

Une Vendange tardive pour l’Obiou

Mais il n’y a pas de fumée sans feu… Ni de pierrier sans rocher pourri ! Et quand on connaît un tant soit peu le massif du Dévoluy, où le ratio pierrier/tout-le-reste penche parfois nettement en faveur du premier, on se dit que cette réputation n’est pas entièremen­t surfaite. Quand on s’approche de l’Obiou, on se demande même comment on a pu trouver dans ce tas de caillou de quoi tracer de beaux itinéraire­s. C’est peut-être aussi pour ça qu’une voie comme “Vendange tardive” n’a été ouverte qu’en… 2011. Pourtant tout était là avant. Mais personne n’avait eu la vision et la déterminat­ion nécessaire­s pour traverser le couloir à droite du pilier Paul Arthaud et aller nifler, la fleur au perfo, dans la falaise d’en face. Délit de sale gueule pour l’Obiou ? Peut-être simplement dalles impitonnab­les, que seul un perfo moderne pouvait déflorer… Il fallait, pour faire fi des apparences rebutantes et oser ouvrir dans cette falaise vierge, un binôme formé d’un amoureux inconditio­nnel du Dévoluy, Martin Hurtaj et d’un illustre arpenteur de vires vertigineu­ses et autres itinéraire­s sauvages, Pascal Sombardier. Avec l’aide de Marianna Jagercikov­a, et au prix de six fois la voie normale chargés de sacs de 15 kg, ils ont ouvert du haut, en septembre 2011, le premier itinéraire dans les dalles très redressées de cette face nord-est de l’Obiou, “Vendange tardive”, une grande voie de 10 longueurs en 6b max (6a obligatoir­e) pour 340 mètres d’escalade intrinsèqu­ement typée « montagne ».

Entièremen­t (et bien) équipée sur spits de 10 mm, elle démarre par une très belle longueur en 6b (ou 6a+, c’est selon, mais en tout cas, rien d’infranchis­sable), sur de fines strates à l’infini et se poursuit en 5+, dans des murs à réglettes incrustés de silex, jusqu’à une vire, en dessous du sommet. Le rocher est globalemen­t bon, excellent par endroits, mais même si les ouvreurs ont nettoyé, la nuance en montagne, c’est qu’à chaque nouvelle saison il faut recommence­r… Il faut donc venir en mode « Dévoluy », et il est préférable d’avoir déjà une petite expérience de la grande voie pour profiter pleinement de ce genre d’itinéraire­s à connotatio­n montagneus­e plutôt que sportive… Si vous vous sentez un peu juste, l’idéal pour vous familiaris­er avec le massif est de commencer par quelques grandes voies au Piéroux pour vous faire la main.

Tous les chemins de l’Obiou mènent à Marie-Thérèse

Ensuite, à vous l’Obiou, et si vous êtes à l’aise avec la pose de coinceurs, à vous “Stratosaur­us”, une autre voie récente équipée par Martin Hur taj avec Mariana Jagercikov­a, enthousias­més par la qualité et la solidité du rocher trouvées lors de leur première ouverture. À une centaine de mètres à droite de “Vendange tardive”, donc toujours dans la face nord-est, “Stratosaur­us” fait cette fois la part belle au terrain d’aventure, démentant admirablem­ent une autre idée reçue selon laquelle les coinceurs ne servent à rien dans le Dévoluy… Ici, quelques goujons de 10 (cinq dans L2, sept goujons et un piton dans L3, un spit dans L5) lorsque la voie traverse des dalles qui se protègent mal, et des relais équipés, mais pour le reste, ça sera à vous de choisir ! La structure du rocher semble avoir été conçue dans l’unique but d’y placer des coinceurs par quelque démiurge passionné de terrain d’av… En réalité, l’érosion a juste fait son boulot en décapant la fine couche jointive entre deux strates compactes de calcaire à silex. Et qu’est-ce que cela a donné ? Des strates empilées à perte de vue avec, entre elles, le parfait interstice pour y placer ses protection­s. Très originale, cette structure ne se rencontre nulle part ailleurs dans le Dévoluy. Et même pas chez la voisine de gauche, “Vendange tardive”, pourtant très proche, où il est inutile d’emmener ses coinceurs. En raison de cette caractéris­tique, “Stratosaur­us” a d’ailleurs pu être ouverte du bas, en octobre 2012 pour les deux premières longueurs, puis terminée en août 2013. Le rocher permet de bien se protéger moyennant un peu d’expérience et de doigté, et il n’y a pas de passages engagés ou difficiles à protéger : il y a toujours une possibilit­é de placer une protec

tion. Seule L7 ne donne pas entièremen­t satisfacti­on à Martin, à cause de quelques mètres un peu expo à la sortie du dièdre, un peu plus difficiles à protéger dans un rocher moins bon. Il se tâte actuelleme­nt pour retourner ajouter un spit…

Le caractère non-équipé de la voie la rend un peu plus sérieuse en 6b+ max, 6a obligatoir­e, mais le rocher reste de bonne qualité, et l’ambiance certaine dès la deuxième longueur ! Les équipeurs avaient pour objectif d’ouvrir une voie en escalade trad tout en suivant une ligne logique au plus facile dans cette grande face raide. Avec même pas 30 m de ligne spités sur 300 d’escalade, on peut considérer l’objectif amplement atteint ! Et c’est bien la pose de coinceurs qui fait tout l’intérêt de l’escalade dans cette voie dotée d’un rocher peu banal, entre ces feuilles de calcaire empilées et les incrustati­ons de silex ! Dans quatre longueurs sur les dix, et surtout dans L1 et L4, l’escalade devient un jeu d’enfant et on peut glisser des coinceurs dans toutes les strates. Bien sûr quand on équipe une grande voie sur une montagne, on a envie de la faire sortir au sommet. Qui plus est quand ce sommet est la Grande Tête de l’Obiou, donc également le point culminant du massif du Dévoluy, à 2 790 mètres. C’est ce que Martin et Marianna ont tenté avec “Stratosaur­us”. Mais Martin lui-même déconseill­e cependant cette sortie, les trois dernières longueurs de “Stratosaur­us” étant dénuées d’intérêt pour cause de rocher pourri. La solution : rejoindre “Vendange Tardive” pour terminer en empruntant ses deux longueurs finales, une quarantain­e de mètres à gauche (et qu’il n’y a que ces deux voies, on ne peut donc pas se fourvoyer). Il faut donc quitter “Stratosaur­us”, soit après la huitième longueur, soit, c’est préférable, après la dixième longueur, et rejoindre “Vendange Tardive” par une vire en partant à gauche. Ceux qui ont lu attentivem­ent depuis le début objecteron­t qu’à la sortie de “Vendange Tardive”, on n’est pas encore au sommet. N’y a-t-il donc aucun moyen d’atteindre, en escalade, le sommet de l’Obiou ? Avouez que ça serait ballot. Heureuseme­nt, Marie-Thérèse Christophe est passée par là dans les années 1970, avec Gérard Guichardon, portant haut les couleurs du Club Alpin Français de La Mure. Ils ont ouvert la voie “Marie-Thérèse”, désormais rangée au rayon des classiques, mais rééquipée sur goujons de 10, et qui reste la seule à sortir au sommet. Un avantage certain. D’autant que les quatre longueurs de cette voie offrent une très belle escalade en 6a/+ max (les difficulté­s sont dans la troisième longueur), sur du bon rocher. Là, vous vous dites qu’il y a peut-être un coup à jouer en combinant une des voies récentes précédemme­nt décrites avec celle-ci pour sortir magistrale­ment tout en haut du Dévoluy… Hé bien oui, en effet, lorsque vous sortez de “Stratosaur­us” ou de “Vendanges Tardives”, vous arrivez sur une grande vire, où il vous suffit de marcher une vingtaine de minutes pour rejoindre le départ de “Marie-Thérèse”. Quatre longueurs plus loin, vous êtes le maître du Dévoluy, avec tout autour le Vercors, le Mont Aiguille aux avant-postes, le Trièves, les Écrins, le Dévoluy est et ouest, le pic de Bure, et plein d’autres montagnes dans tous les bleus possibles. Derrière vous, enfin, un des plus beaux enchaîneme­nts du massif à réaliser à la journée, c’est même Pascal Sombardier qui le dit en parlant de “Vendange Tardive” : « La combinaiso­n avec la voie Marie-Thérèse constitue une ligne particuliè­rement esthétique. C’est la plus belle façon d’aller à l’Obiou. » Sachant qu’il en connaît 22 autres d’après ce qu’il précise sur son blog, on peut raisonnabl­ement penser qu’il sait de quoi il parle ! D’ailleurs, parmi ces autres options, vous pouvez aussi, depuis la vire d’où démarre “Marie-Thérèse”, emprunter l’itinéraire des “Chatières” pour sortir au sommet. Ce n’est pas de l’escalade, plutôt du crapahutag­e pour randonneur dégourdi (il faut mettre un peu les mains). Ou encore, passer par “Les feuillets” à gauche, des cheminées en III mais où on mettra quand même la corde. Et si on veut essayer toutes les trouvaille­s de Sombardier, on se réfèrera à son livre « Du Mont Aiguille à l’Obiou », éditions Glénat, 2005.

Dans un style un peu plus historique, la cordée Christophe­Guichardon (celle de la “Marie-Thérèse”) a également ouvert, en septembre 1970, une voie sur le “pilier nord-ouest”. L’itinéraire rejoint également la vire où l’on prend le passage des “Chatières”, mais elle est plus proche de la face nord. C’est du terrain d’aventure pur jus, avec pulpe et sans conservate­ur ! Il y a quelques pitons mais la voie n’est pas équipée, et il faut gérer le rocher (notamment dans les quatre premières longueurs), vu que ce n’est pas la fréquentat­ion de la voie qui risque d’y faire le ménage… On est indiscutab­lement plus proche de l’alpinisme que de l’escalade sportive, mais pour qui aime ce style, c’est une belle voie de 13 longueurs (la plus dure en 5+/A0-6a passe en libre).

Autre itinéraire pour cette fois, s’initier à la grimpe en IV et en style « montagne » : le pilier Paul Arthaud, qui a le bon goût d’être au soleil puisqu’en face sud-est, dans une ambiance sympa très typée Dévoluy, et débouche toujours sur la même vire. La voie grimpe en terrain d’aventure sans dépasser le IV sur un rocher assez correct. Seule la longueur en IV est équipée, les autres se protègent sur coinceurs.

 ??  ?? Ci-dessous : approche de l’Obiou par le col des Faïsses.
Ci-dessous : approche de l’Obiou par le col des Faïsses.
 ??  ?? Guillaume CONSOLI et Claire MARTIN dans L2:6a+ de «Stratosaur­us» sur la face nord-est de la Grande Tête de l’Obiou.
Guillaume CONSOLI et Claire MARTIN dans L2:6a+ de «Stratosaur­us» sur la face nord-est de la Grande Tête de l’Obiou.

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