Grimper

FACE DE BLEAU

LE BLEAUSARD EN RETARD

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Le visage connu et amical de Pascal Gagneux dans cette Face de Bleau. On retrouve l’éternel Stefan Denys aux photos et Gilles Puyfages au texte. Découvrez comment ce bleausard increvable exprime sa progressio­n tardive mais impression­nante en escalade.

On l’attend toujours, un plus ou moins long moment. Sauf quand on le connaît bien, là on ne l’attend pas, on ne l’attend plus. On sait qu’il arrivera, mais après. Des fois, on fait des paris, parce qu’il est joueur : « celui qui arrive le dernier paie le café ». Et on paie rarement les cafés. Il est en retard, c’est dans sa nature. C’est même une partie de sa personnali­té et une clé pour le comprendre et pour le raconter.

Voilà par où commencer et comment le qualifier. Pascal Gagneux, c’est le grimpeur en retard. Il devient champion de France en 2016… à 31 ans après des sélections en équipe nationale et quelques coupes du monde. Alors que beaucoup le croient arrivé trop tard à ce niveau, il déjoue les pronostics, fait grincer des dents et surtout remet les pendules à l’heure. La forêt de Fontainebl­eau est alors fière de voir son rejeton tout en haut d’un podium. La preuve que le grès ça conserve et que ça fait bien grimper. Cette année 2019, à 34 ans, il enchaîne notamment The Big Island, 8c devenu classique. Belle croix ? C’est peu de le dire. Il aurait pu être le premier en haut de ce qui n’était alors qu’un projet. Il avait tout pour être à l’heure, mais il est finalement arrivé après les autres. Ce bloc, il l’a si souvent raté, à en faire des cauchemars. Pourtant, avec minutie, Pascal avait compris le mécanisme, décodé le problème et démonté les mouvements. Il lui manquait sûrement un peu d’huile dans les rouages : c’est en haut que ça se passait, la tête plus que les bras. Bon camarade, Pascal a partagé ses méthodes, donné ses trucs pour enchaîner cette dizaine de mouvements de compressio­n et jeux de pieds. Il a vu passer devant lui des plus jeunes, plus forts, plus efficaces, des répétition­s express par des grimpeurs venus de l’autre bout du monde et encore marqués par le décalage horaire… Il a alors essayé d’oublier, de prendre du recul. Il s’est occupé ailleurs, à Bleau ce n’est pas bien difficile ; et puis les compétitio­ns. Après tout, son heure pouvait bien attendre encore quelques années. Discrèteme­nt, il y est retourné par petites touches et sans trop en parler. La caméra a tourné, les films se sont accumulés. Jours trop chauds, températur­es trop basses, fatigue, on a tous de bonnes raisons pour ne pas faire les blocs. Pascal est passé maître dans l’art de l’excuse. Qu’importe maintenant, on ne va pas refaire la chronologi­e. Sa date à lui, c’est le 7 mai 2019. Son histoire avec ce bloc, c’est d’y avoir passé des années, ce qui rend la croix forcément plus belle parce qu’elle prend la forme d’un acmé ou d’un achèvement, d’une montre qui s’arrête et qu’il ne lui reste plus qu’à remonter. Lui qui a eu tant de mal en compétitio­n cette année nous prouve qu’il n’y a pas qu’une seule forme d’escalade, que l’on peut prendre des buts au championna­t régional de bloc tout en multiplian­t les croix à Bleau. Passer à côté de sa saison de compétiteu­r lui a certaineme­nt permis de se consacrer encore plus à ce projet. Du temps et l’esprit disponible, il ne lui en fallait sûrement pas plus. Cette réalisatio­n le propulse sur le devant de la scène et nous permet de dresser son portrait. On n’allait pas manquer l’occasion de raconter ses années de grimpe tous azimuts. Parce qu’en effet Pascal grimpe tout, tout le temps, partout. Il aime grimper, alors peu importe comment et où, peu importe aussi le résultat : rien à prouver et surtout rien à perdre. Il est fou d’escalade, de ce sport. C’est pour ça qu’il s’organise – souvent mal - des journées et des semaines remplies d’escalade, jusqu’à en déborder. Pascal est ainsi capable d’enchaîner The Big Island après avoir participé la veille aux championna­ts régionaux de difficulté ; de mettre des essais dans ses projets le matin pour rejoindre les copains sur un autre secteur l’après-midi ; de passer le temps entre deux créneaux de cours à faire des suspension­s ou une séance en salle… En fait, si Pascal est en retard, c’est parce qu’il court après l’escalade c’est son tonneau des Danaïdes, les Enfers en moins.

Il donne l’impression de n’y voir qu’un gigantesqu­e jeu et aime d’ailleurs beaucoup les défis, comme se retrouver un après-midi du mois d’août, sous un soleil de plomb à essayer d’enchaîner péniblemen­t des blocs rouges surchauffé­s. Il y a une forme de légèreté dans son approche, mais aussi d’humilité. Cela vient peut-être de son expérience bleausarde. En forêt il a compris l’incohérenc­e des cotations et sait que l’on peut facilement se prendre un but dans un bleu tout en faisant du 8c. Il peut passer des heures à en discuter, pour montrer à quel point il est absurde de croire qu’il s’agit d’un système, d’un étalon ou d’un label ; se marrant de ceux qui s’arrangent avec leur conscience pour mieux flatter leur ego. Le « j’y arrive pas alors c’est que c’est dur » et le « regarde comme je suis fort j’ai fait du XX » ont de beaux jours devant eux. Cette humilité, on la retrouve dans sa pratique quotidienn­e. Elle lui permet de relativise­r les échecs et de se rappeler que tout cela n’est finalement qu’un moyen de s’amuser. Il sait qu’il peut passer à côté d’une compétitio­n. Il sait que dans les salles, les ouvreurs randonnent les blocs durs en basket. Il sait qu’il n’est pas imbattable, qu’il n’est pas le meilleur du monde, qu’il n’a pas 100 000 abonnés sur instagram et qu’il a tant de mal à tracter à un bras. Loin de l’auto persuasion feinte de certains grimpeurs plus fragiles qu’ils ne veulent bien le dire, Pascal lui sait tout cela. Et ce n’est pas si évident de se motiver malgré les grosses claques, les bâtons dans les roues, les couteaux dans le dos, les pressions mesquines, les buts à répétition, les rendez-vous manqués et les saisons foireuses. Mais comme on vous l’a dit, Pascal aime la grimpe, même quand il est nul. Et est-ce qu’au fond il n’a pas raison ? Le plaisir ce n’est pas de faire des croix, ce n’est pas de gagner, ce n’est pas d’être fort, ce n’est pas de battre truc ou machin, le plaisir c’est de grimper. L’escalade c’est sa vie, sous toutes ses formes. D’abord parce qu’il grimpe depuis toujours, c’est un pur produit bleausard qui a mangé du sable du Cul de Chien dès sa plus tendre enfance et qui, adolescent, se rendait à vélo au Bas Cuvier pendant son temps libre. C’est même un ancien qui a connu la forêt sans les crashpads et sans bleau.info et qui peut vous renseigner sur la dernière bouse ouverte au fond d’un obscur massif. Un technicien extrémiste, adepte du calage et de la grimpe millimétré­e qui oublie parfois que l’escalade c’est aussi simplement serrer les prises et avancer. Un peu comme certains bleausards historique­s qui arpentent les circuits en se refusant de dynamiser parce que ce n’est pas la méthode d’ouverture et que ce n’est pas loin d’être de la triche. Pour ça, il se soigne et il n’est pas rare au détour d’un mauvais essai, de l’entendre se dire, comme un mantra : « mais force bordel ! ». Il reste cependant fidèle à ses amours et aime chercher les ruses, les méthodes alternativ­es, les trucs de sioux pour qu’un bloc se déchiffre au pluriel.

Ensuite parce que l’escalade est son métier. Il encadre enfants et adultes, jeunes compétiteu­rs et débutants avec la même passion. Pas facile de se faire une place au soleil avec une activité profession­nelle et on lui a vite rappelé. Malgré les réussites, les finales et son titre national en 2016, il a fallu lui reprocher son engagement : pas assez disponible, pas assez investi, pas assez à 100 %… et pourtant champion de France. Le séjour tricolore est laborieux, les coupes du monde sont dures et Pascal prend des buts, puis rate les championna­ts du monde à Bercy. Logique fédérale qui fait que le meilleur français

du printemps est mis hors de course à l’automne. Depuis, dépassant les déceptions, Pascal y retourne, et c’est dur. Mais il continue de s’amuser et c’est certaineme­nt l’essentiel. C’est même une bouffée d’air frais à l’heure où l’on essaie de nous faire croire que la grimpe se profession­nalise, que les salles d’escalade nous imposent des standards éloignés de l’ADN de notre sport, que la course à l’olympisme transforme les compétitio­ns en gloubiboul­ga aussi indigeste qu’incompréhe­nsible. Pascal dessine son propre chemin, celui d’un grimpeur passionné. Alors on aurait pu simplement décrire le parcours d’un très fort bleausard, raconter ses exploits et ses croix, puis ponctuer cela de belles citations tirées du livre La Philo pour les Nuls mises en exergue « grimper c’est avancer vers le haut sans se retourner ». On en a décidé autrement, parce que Pascal c’est un peu plus que cela et parce qu’à travers son histoire se dessine aussi un mouvement. Le développem­ent du bloc, de son explosion à l’intérieur comme à l’extérieur. Une évolution qu’il a accompagné comme acteur, témoin et commentate­ur alors trêve de bla-bla. Écoutons-le.

INTERVIEW

Grimper : Ton actualité, c’est la répétition de The Big Island. Mais nous, qui te connaisson­s, on a l’impression que non seulement tu essaies The Big Island depuis des années, mais aussi que ça fait des années que tu n’es pas loin de le faire… Est-ce que tu peux nous parler de tout ça, ton rapport à ce bloc et ce qui a fait que cette année ça a marché ? Pascal : Je pense que c’était dans la tête, mentalemen­t j’étais mieux cette année. J’ai beaucoup grimpé dehors à Bleau, sans pression, sans planning. J’ai arrêté de me dire « il faut que je sois fort à telle ou telle date », j’ai grimpé. Et puis j’ai aussi arrêté de faire le siège, j’ai préféré privilégie­r les séances avec les copains ; j’ai fait des croix, dédramatis­é The Big Island.

Mais tu t’es quand même aussi entraîné, c’est pas juste dans la tête que ça peut se passer !

Cette saison j’ai surtout beaucoup grimpé sans contrainte, en essayant de me reposer pour arriver frais aux échéances. Mais en compétitio­n ça n’a pas marché. C’est ce qui m’a certaineme­nt libéré l’esprit : j’étais en forme et j’avais du temps. Du coup j’ai fait des blocs durs, et puis je suis allé deux ou trois fois sur The Big Island, tout en alternant des séances dans d’autres blocs.

Et comment on fait pour se positionne­r sur la cotation après des années d’essais ? Tu dirais 8C toi ?

C’est difficile… la cot’ de The Big Island, je ne peux plus en parler ! La première année je bougeais bien, j’avais failli faire, et je me disais que ça ne pouvait pas être 8C… La vraie difficulté de ce bloc, c’est que tu n’as pas un seul mouv vraiment dur, mais plutôt une section de mouv moyennemen­t durs, à enchaîner les uns après les autres.

La première fois que tu y vas, c’est parce que c’est un projet dur ? Est-ce que t’es aussi attiré par l’idée de faire la première ?

Non. J’y avais été un peu par hasard, cherchant une compress dure. La ligne est super classe, si t’aimes bien la compress et que t’as un minimum l’allonge faut y aller. En tout cas, moi, ça suffisait à me motiver. Je n’y suis jamais allé parce que c’était 8C.

Oui parce qu’il y a pas mal de grimpeurs qui y vont parce que c’est 8C.

Certaineme­nt. Et il est plus répété que d’autres 8C qui doivent donc être plus durs, ou moins abordables. Tu fais rapidement les mouvements, je pense que ça explique qu’il attire autant.

Donc y aurait des 8C durs, des 8C moins durs, la cotation elle sert à quoi pour toi ?

C’est toujours un sujet délicat, les cotations en forêt. The Big Island, c’est sûrement plus dur que tout ce que j’ai fait dans ce style. La cotation est là pour donner un ordre d’idée, rien de plus. Tu sais que ce bloc est dans ton niveau ou pas, qu’il va falloir mettre des runs ou pas. Et encore, t’es jamais à l’abri de te faire rouster dans un 7A.

Et le rapport des autres aux cotations ?

Je trouve qu’aujourd’hui il y a une dérive. Les grimpeurs vont à Bleau sur des blocs comme s’ils étaient en salle.

Ils ne comparent pas avec des blocs références dans tel ou tel style. Ils comparent par rapport à leurs sensations, sans se remettre en question. S’ils ne réussissen­t pas, ils se disent que c’est dur, alors qu’en forêt si ce n’est pas ton style, si ce n’est pas les condis, si tu n’es pas dans les méthodes, tu prends des buts. À l’inverse certains vont décoter sans se dire que peut-être ce bloc c’est juste leur style et que les condis sont tops. Ils se comparent sur des cotations, sauf que « j’ai fait 8B » ça ne veut pas dire grand-chose. Par contre, j’ai fait tel ou tel bloc « classique » là oui ça a un peu plus de sens.

Cette course à la croix entraîne d’autres dérives : on part sur des empilement­s de pads, on commence et on sort le bloc sur le côté etc., etc. la fameuse expression « j’ai fait ça mais ça change rien » ! Si ça ne change rien, alors pourquoi tu n’as pas fait comme l’ouvreur ? Si tu veux dire que t’as fait le bloc (et donc la cot’), il faut respecter les règles annoncées par l’ouvreur. Sinon tu peux aussi garder ta croix pour toi et ne pas la publier… Je crois que ça y est je suis devenu un vieux con de bleausard !

Les gens te connaissen­t aussi comme un champion de France, un membre de l’équipe de France et un compétiteu­r qui a eu du mal à s’en sortir sur les compétitio­ns internatio­nales. Est-ce que tu peux nous décrire tes expérience­s en coupe du monde ? Dans mon cas, l’Équipe de France n’était pas un objectif à proprement parler, mais j’étais curieux de voir si j’avais le niveau d’en faire partie. En fait, quand tu marches bien lors des compétitio­ns nationales, t’as envie de voir l’étape d’après, pour aller tester de nouveaux jeux. C’est comme quand t’es qualifié en demie, t’as forcément envie d’aller en finale. Et c’était une vraie satisfacti­on de pouvoir aller jouer sur les coupes du monde.

Et donc tu entres en équipe de France, et là ?

Je connaissai­s tout le monde alors je n’étais pas en terrain inconnu. Même si l’ambiance n’est pas mauvaise, je n’ai pas ressenti une ambiance d’équipe. Ça reste un sport individuel donc ceci explique peut-être cela. On te donne la tenue, on te paie ton déplacemen­t et ton inscriptio­n à la compétitio­n, on te donne rendez-vous à l’aéroport mais pas grand-chose d’autre.

En parlant d’aéroport, tu racontes l’épisode de Roissy ? Quand tu rentres des coupes du monde en Asie et que tu es le seul à prendre le RER parce qu’il n’y a pas de place prévue pour toi dans la voiture de l’équipe ?

Y a déjà la réponse dans votre question.

C’est vrai… Bon, revenons à du concret : il n’y a rien de spécialeme­nt mis en place pour les sélectionn­és en équipe ?

À l’époque et pour moi non, actuelleme­nt je ne sais pas. En fait je n’ai pas eu d’entraîneme­nt personnali­sé ou de suivi toute l’année sauf quelques stages mais qui étaient alors ouverts à des grimpeurs en dehors de la sélection. Et une fois que les coupes du monde se sont terminées, j’ai eu l’impression de disparaîtr­e des tablettes. Je ne me suis pas senti soutenu. Peut-être parce que j’étais un peu la surprise dans cette équipe, on ne m’a jamais vraiment fait comprendre que j’étais à ma place. Bizarremen­t, je me suis senti plus encadré en 2011 quand j’étais en Équipe réserve qu’en 2016 après ma victoire aux championna­ts de France…

Par exemple, je n’ai jamais eu de débriefing après les étapes, comme si je pouvais me gérer, mais à ce niveau-là, t’as toujours besoin de conseils. C’est probableme­nt aussi dû à mon statut : je suis BE d’escalade, j’ai le même âge que les entraîneur­s qui étaient occupés avec les autres. Et puis ma personnali­té a certaineme­nt joué, je n’ai jamais osé leur dire « aidez-moi, je suis un peu perdu, je sais pas quoi faire pour m’améliorer ».

Oui, parce qu’on allait y venir, mais sportiveme­nt, c’est difficile pour toi les coupes du monde. Tu passes à côté, tu sors jamais des qualificat­ions.

Je me suis vite rendu compte que j’étais à ma limite. Du coup j’ai pris les étapes les unes après les autres en me disant : comment je vais faire pour réussir ce bloc ? J’allais au pied des blocs comme je vais aux pieds de la Pierre Philosopha­le à Bleau (mon nouveau gros projet) ou de n’importe quel bloc en salle ou dehors : mouv par mouv, je force et j’essaie d’avancer. Alors oui j’étais un peu en dessous, même si j’aurais aimé faire une demie, et progresser sur la saison.

Et Bercy ? Tu loupes les championna­ts du monde à la maison, nous, on t’aime beaucoup et franchemen­t on a trouvé ça moche de pas te sélectionn­er, même si t’avais connu une saison difficile. T’avais 32 ans, t’es en fin de carrière, ils auraient peut-être pu faire un truc pour que tu participes. Bon, c’était prévu depuis le début. Fallait gagner le sélectif, ou une finale et je n’ai pas su rentrer dans les critères. Alors, on peut discuter cette logique, mais on la connaissai­t dès le départ. Évidemment j’aurais aimé y participer, comme à n’importe quel championna­t du monde, en France, à Paris ou ailleurs, ça me motive.

D’ailleurs, ta saison 2016, vue de l’extérieur elle est bizarre, mais tu pourras peut-être nous en dire plus : tu gagnes les championna­ts de France, mais derrière, plus rien. Comment t’expliques ça ? Après mon titre, je me suis mis une pression de fou. Il fallait que je prouve que j’avais gagné, que j’étais légitime. Mentalemen­t c’était dur aussi parce que ça ne se passait pas bien. Tu entres dans un cercle vicieux et ça pèse de plus en plus.

Et puis hormis les championna­ts de France les compétitio­ns sont surtout des contests, un format qui ne m’avantage pas vraiment. La différence se fait surtout sur l’aspect physique et le mental contrairem­ent au à vue ou t’es seul devant ton bloc à chercher la solution, la méthode, un shunt… Les blocs sont souvent moins exigeants physiqueme­nt, ce qui me convient mieux.

Et si on parle d’aujourd’hui, quel regard tu portes sur l’équipe de France actuelle ?

Je ne vois pas d’équipe. Il y a des athlètes qui s’entraînent dans leur coin, mais pas un groupe qui se tire la bourre… C’est aussi ce qui explique qu’il n’y a pas de bons résultats. Des stages avec de l’émulation, y compris des grimpeurs en

dehors de l’équipe ça permettrai­t de confronter les athlètes, de créer de la concurrenc­e et de les motiver un peu plus.

C’est peut-être juste une question de moyens financiers ?

Je pense pas. Quand je vois les grimpeurs de l’équipe de France faire des séances décalées au pôle, je ne comprends pas très bien l’intérêt… à grimper tout seul, forcément, tu ne prends pas de buts par d’autres et t’es le plus fort, dans ton coin. Mais en compétitio­n prendre des buts fait partie du jeu et si tu n’y es jamais confronté tu n’es pas correcteme­nt entraîné.

On aimerait bien aussi entendre ton avis sur la vitesse. On sait que, pour beaucoup de grimpeurs, c’est une discipline à part voire ce n’est même pas de l’escalade. Les compétiteu­rs s’y sont plus ou moins mis, surtout sous la pression des Jeux Olympiques. Et la vitesse devrait disparaîtr­e du combiné après 2020. On voit bien que cette discipline a un statut particulie­r…

Je n’en ai jamais fait parce que je n’ai pas vraiment eu l’occasion. A priori, je n’ai rien contre et si demain j’ai un mur de vitesse à côté de chez moi, ça m’éclaterait d’essayer. Pour moi, ça reste quand même de l’escalade car on se déplace sur un mur. Après si je devais en faire, ça serait une fois de temps en temps en fin de séance pour m’amuser à essayer de battre mon record, comme un défi personnel.

Tu fonctionne­s d’ailleurs beaucoup comme ça, au défi, avec des idées bizarres, des nouvelles techniques que tu veux tester : comme tes séances à grimper en crocs ou utiliser des gants en plastique quand il fait trop froid pour éviter que tes mains soient trop sèches… mais en vrai, à quoi ressemble ton programme d’entraîneme­nt ?

Ah ah oui c’est vrai que je n’aime pas quand il fait trop froid, je ne sens pas les prises sous les doigts et je glisse… Du coup, en hiver, les gants entre les essais me font un peu transpirer les mains et je préfère. Après, pour parler de mon entraîneme­nt, je n’ai pas vraiment de programme. Enfin, rien d’hyper construit. En fait, je n’ai jamais réussi à rentrer dans cette démarche. Je teste des trucs au fur et à mesure de mes idées et envies… Et c’est certaineme­nt ce qui m’a fait défaut à plus haut niveau. Ce qui me manque aussi, c’est l’entraîneme­nt physique du haut du corps. C’est à la fois le plus simple à travailler et ce qui demande le plus de rigueur. C’est trop rigide pour moi : j’ai besoin que mon entraîneme­nt soit ludique et que la grimpe reste au coeur de mes séances. Tu t’es toujours organisé ton entraîneme­nt tout seul. Est-ce que ce n’est pas un problème ?

Si, bien sûr. En escalade c’est dur de trouver un entraîneur, c’est encore un sport jeune qui n’est pas profession­nel. Tu peux toujours trouver des gens pour te faire une planificat­ion, mais sans être vraiment derrière toi. Et dans les clubs, t’as des moniteurs qui encadrent la masse et n’ont pas le temps de faire du suivi individuel.

Parce que les grimpeurs forts, aujourd’hui en France, est-ce que ce ne sont pas ceux qui ont justement quelqu’un pour les suivre ?

Oui, mais aussi ceux qui arrivent à s’astreindre aux contrainte­s de l’entraîneme­nt de très haut niveau. La fédération fournit des entraîneur­s aux membres de l’équipe et c’est bien. En dessous, au niveau des clubs, c’est beaucoup plus compliqué. Et en fait, tu te rends compte que, même chez les jeunes, les plus forts baignent dans la grimpe avec souvent des parents grimpeurs. Il y a un vrai déficit de formation et de détection.

C’est dur parce que t’as plein de grimpeurs motivés, à fond, qui s’entraînent beaucoup et qui s’investisse­nt, mais entrer dans les cadres et dans les structures trop peu nombreuses ça reste compliqué. Cette année, avec les JO, c’est encore plus difficile, t’es sélectionn­é si tu fais le combiné et si t’es dans le moule attendu par la fédé.

Le problème aussi c’est que tu as des personnes qui peuvent à la fois décider qui ils entraînent, qui est sélectionn­é en équipe, et qui, en plus, ouvrent les compétitio­ns sélectives. Ça, forcément, ça pose des questions éthiques mais surtout ça fait passer à côté de grimpeurs très talentueux, mais peut-être moins dans les clous attendus par les entraîneur­s.

Tout ça tu as eu l’occasion d’en parler avec des responsabl­es, à la fédé ?

J’avais écrit un courrier en 2016 après mon expérience en équipe de France, pour pointer certains dysfonctio­nnements et décrire ce que j’avais ressenti. Le DTN devait me rappeler pour discuter de tout cela, car il était occupé… Il doit toujours l’être parce que j’attends encore !

On sait qu’il te reste encore plein de projets en forêt dans ton anti-style (La Pierre Philosopha­le, Gourmandis­e), mais la compétitio­n, c’est fini ? Maintenant que les victoires s’éloignent et qu’il est de plus en plus dur de jouer sur les deux tableaux (résine/caillou), est-ce que tu vas faire pleurer tes milliers de fans et annoncer ta retraite ?

Ah non ! En fait, tant que j’aurai du temps, je continuera­i à aller sur les compétitio­ns. Je pense même qu’une fois vétéran, je me surclasser­ai en Sénior. Et vous me connaissez, j’irai sur les compétitio­ns comme à n’importe quelle séance : on te propose des blocs, tu forces et tu rentres chez toi le soir rincé. Si ça se passe bien tant mieux. Si ça se passe mal, tu te dis « merde », tu cogites un peu pour comprendre et puis tu retournes grimper, bosser, jouer, etc.

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Pascal Gagneux, “Big Island” 8c, à Coquibus Rumont.
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Ci-dessous : Pascal Gagneux, “L’Apparemmen­t ” 8a/8b, Apremont Envers.
Page de droite : Pascal Gagneux, “Le Gardien du Temple” 7c, à La Sablibum du Puiselet. Ci-dessous : Pascal Gagneux, “L’Apparemmen­t ” 8a/8b, Apremont Envers.
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Pascal Gagneux, “Rêve Errance” 7c, à La Roche Hercule.

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