Grimper

PROGRESSIO­N

PROGRESSER EN BLOC AVEC JÉRÉMY BONDER

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Une nouvelle rubrique progressio­n ! Chaque mois, grimper partira dorénavant à la rencontre d’un grimpeur de haut niveau, un coach, un entraîneur ou toute personne légitime pour vous faire progresser. Découvrez les petits secrets du champion Jérémy Bonder dans ce numéro.

Comment créer une chronique entraîneme­nt dans Grimper quand, pendant qu’un tel vous explique que la poutre devient indispensa­ble à partir du 6c, tel autre vous affirme avec un aplomb déconcerta­nt qu’on peut atteindre le 9a en ne faisant que grimper ? Qui croire ? Ont-ils tous tort ? Tous raison ? En fait, il ne semble pas exister de recette unique pour devenir plus fort ; charge à chacun de trouver son propre équilibre. Pour vous aider à comprendre les mécanismes de la progressio­n, pour vous inspirer, Grimper a toutefois décidé d’aller à la rencontre d’un expert dans chaque numéro, qu’il soit grimpeur ou entraîneur. Premier à passer à la moulinette, Jérémy Bonder a eu la gentilless­e de partager avec nous ses expérience­s, sa vision et ses conseils en matière d’entraîneme­nt. Mais avant cela, un bref retour sur sa carrière nous apportera la preuve qu’il s’agit de la bonne personne pour ouvrir le bal de cette nouvelle chronique Progressio­n.

Jérémy Bonder, c’est trois titres de champion de France de bloc sénior, 9 finales en coupe du monde, une 3e place à Laval en 2014, une 5e place aux championna­ts du monde de Bercy en 2016 et, côté caillou, de nombreux passages au-dessus du 8b en forêt de Fontainebl­eau. Ce qu’il faut cependant bien saisir, pour comprendre le bonhomme, c’est qu’en aucun cas il ne faisait partie à ses débuts des enfants prodiges de la grimpe. Ce n’est qu’en junior deuxième année, après moult saisons de labeur, qu’il réussit ses premiers gros résultats en compétitio­n, à savoir une victoire en voie et une médaille d’argent en bloc aux championna­ts de France jeunes. Pour venir titiller les meilleurs au niveau internatio­nal, de longs mois d’entraîneme­nt lui seront encore nécessaire­s, preuve que Jérémy a su, tout au long de son parcours, activer les bons leviers pour se hisser pas à pas au plus haut niveau mondial.

Un bon état d’esprit comme prérequis indispensa­ble à la progressio­n

« Avant toute démarche de progressio­n et d’entraîneme­nt, un état d’esprit adapté s’impose. Premièreme­nt, il faut assumer son envie d’être plus fort, assumer ses objectifs et assumer ses points faibles : il est beaucoup plus dur de progresser sans but ni volonté. Il faut ensuite être capable de se dégager du temps dédié à l’entraîneme­nt. Votre potentiel de progressio­n sera fortement lié à l’investisse­ment que vous êtes prêts à mettre. Par exemple, 5 séances par semaine vous laisseront nécessaire­ment plus de marge de manoeuvre que 3, etc. Pour trouver un équilibre durable, et donc mettre en place une progressio­n sur le long terme, il est également essentiel de placer le plaisir et la qualité de la grimpe au centre des préoccupat­ions. Se concentrer sur son escalade plutôt que sur le résultat peut paraître bateau, voire bien-pensant, mais si l’on se force à le faire, croyez-le, ça marche ! La rigueur ne doit toutefois pas être négligée : si vous avez un super programme avec 5 séances par semaine

et que, parce que cela vous arrange, vous décidez de faire les 5 sessions à la suite alors que ce n’était pas prévu, cela peut se révéler contre-productif. En un mot, les plannifs doivent être suivies à la lettre. L’hygiène de vie, enfin, regroupant l’alimentati­on, l’hydratatio­n, le sommeil, l’alcool et autres drogues, ne doit pas être prise à la légère. Premièreme­nt, en escalade, on lutte contre son poids, ce n’est pas tabou, il faut donc y faire attention (sans toutefois tomber dans des comporteme­nts nocifs !). Ensuite, une bonne hygiène permet d’aborder une échéance dans les meilleures dispositio­ns psychologi­ques, or, ce n’est pas un secret, l’état mental conditionn­e plus de 50 % du résultat, en compétitio­n comme en extérieur. Vous voici avertis ! »

Mettre de l’ordre dans ses séances de grimpe

« Attaquons maintenant une partie beaucoup plus concrète. Avant même de penser à l’entraîneme­nt spéci

fique et au renforceme­nt musculaire, le premier axe de progressio­n en escalade passe par l’organisati­on de ses séances de grimpe. Elles ne doivent jamais être délaissées au profit du physique pur car, tout en étant un vecteur de progressio­n physique, ce sont elles qui vous donneront le bagage technique pour permettre à vos qualités physiques de s’exprimer.

Cela dépendra de vos objectifs, bien sûr, mais globalemen­t les deux mots d’ordre sont VARIÉTÉ et INTENSITÉ.

Si vous avez moins de trois séances de grimpe par semaine, votre marge de manoeuvre est restreinte, mais vous pouvez toutefois vous concentrer sur l’intensité. N’attendez pas d’avoir fait tous les bleus de la salle pour essayer un rouge. Tentez des passages qui vous paraissent trop durs en apparence, prenez de bons repos entre vos essais, en un mot : mettez de l’intensité dans vos séances.

À partir de trois sessions par semaine, pour continuer à pouvoir mettre cette intensité si importante pour la progressio­n, il est essentiel de ne pas mettre toutes vos

séances de grimpe à la suite. Plus vous êtes frais, plus vous serez capables de forcer, et plus vous forcez, plus vous progresser­ez ! Par exemple, si vous avez 4 créneaux dans la semaine, il sera bien plus intéressan­t de faire 2 jours de grimpe, 1 repos, 1 grimpe, 1 repos, 1 grimpe et 1 repos que 4 jours de grimpes suivis de trois jours de repos. Dans le premier cas vous arrivez reposés lors de 3 sessions sur les 4 et une seulement dans le second ! Quel que soit votre niveau, faire plus de trois jours intenses de grimpe d’affilée est selon moi une erreur.

La variété, pour finir, se traduit par une alternance entre après travail en niveau max, blocs à essais limités et volume. Le bloc après travail en niveau max doit être préféré les lendemains des jours de repos et les séances de volume la veille des jours de repos. »

Structurer un entraîneme­nt

« Une fois vos séances de grimpe organisées autour de ces deux axes (intensité et variété), il peut être intéressan­t de travailler des qualités spécifique­s (force doigts, blocage, gainage, coordinati­on, souplesse…). Pour schématise­r, ajouter cette dimension à votre entraîneme­nt peut être utile si vous évoluez déjà dans le 7e degré (ou plus) et si vous disposez d’un minimum de trois séances par semaine (grimpe comprise).

Les qualités se travaillen­t généraleme­nt par cycles de trois semaines, à raison de deux qualités par cycle et de deux séances par semaine et par qualité. Après chaque cycle, vous avez droit à une semaine de « repos » avec « seulement » deux à trois séances de grimpe. ATTENTION ! Pour pouvoir travailler une qualité efficaceme­nt, il faut réaliser l’exercice après l’échauffeme­nt mais avant la grimpe. Je vois en permanence des gens faire du gullich, travailler leur gainage, leur blocage et autres en fin de séance, c’est une erreur. Les exercices de force sont TOUJOURS plus efficaces en début de séance. Dernier conseil, bossez vos points forts, certes, mais n’oubliez surtout pas vos points faibles. En extérieur, vous pouvez toujours sélectionn­er des passages qui vous conviennen­t, mais en salle – et surtout en compétitio­n – vous devez être capables de faire face à tous types de problèmes. En effet, ce n’est pas vous mais l’ouvreur qui décide à quelle sauce vous allez être mangés ! » Note de la rédaction : pour ceux qui voudraient prendre de l’avance sur de prochaines chroniques et se renseigner sur les exercices types existant par qualité, n’hésitez pas à consulter l’onglet entraîneme­nt rédigé par Rémi Samyn (entraîneur national) sur grimper.com, ou bien à vous replonger dans le Grimper spécial progressio­n (Grimper#183) de septembre 2017.

Planifier un pic de forme

« Si vous avez une échéance, qu’elle soit liée à une compétitio­n ou à la préparatio­n d’un trip en site naturel, si vous cherchez à atteindre une cotation donnée avant la fin de l’année, pour espérer être le plus performant possible, il vous faudra tenter de planifier un pic de forme. Il s’agit à la fois de la partie la plus difficile et la plus intéressan­te de l’entraîneme­nt, car elle implique une bonne connaissan­ce de soi-même.

Pour vous donner une idée de la manière de procéder, il faut distinguer trois phases. La première a lieu plusieurs mois avant l’échéance, il s’agit d’une période de volume. Elle permet de conditionn­er son corps à l’effort et de le préparer à la charge d’entraîneme­nt pour minimiser le risque de blessure. Elle se traduit par des séances de grimpe crescendo où vous augmentez la charge au fil des jours tant en intensité qu’en volume. En un mot, cette première phase prépare votre corps à encaisser le travail des qualités physiques spécifique­s.

La deuxième phase, dite de développem­ent musculaire, permet de renforcer ses qualités et de travailler ses points faibles. Elle correspond justement au travail de ces qualités par cycles de 3 semaines (voir paragraphe précédent). Pas question en revanche de vous épuiser dans la troisième phase, appelée affûtage, qui sert à la surcompens­ation. Couvrant environ le dernier mois avant échéance, elle doit être consacrée à des séances à intensité maximale se rapprochan­t le plus possible de ce qui vous attend le jour J. Des blocs à essais limités et simulation­s de circuits pour une compétitio­n, du après-travail niveau max pour un trip de bloc naturel, etc. On pourra aussi y faire des rappels de force, c’est-à-dire reprendre des exercices de l’étape précédente mais en allégeant la charge – une séance par semaine au lieu de deux par exemple…

Pour conclure, s’il n’y avait qu’une seule chose à retenir de tout cela, c’est qu’il ne faut pas s’entraîner à reculons. Il est possible que l’envie ne soit pas toujours au rendezvous, c’est normal, mais faites attention à prendre du plaisir au minimum lors de 2 sessions d’entraîneme­nt sur 3, 5 sur 7 ou encore 7 sur 10. Fuyez la routine ! C’est le meilleur moyen de sombrer dans le surentraîn­ement comme je l’ai vécu en 2018. À vouloir trop en faire parce qu’on se sent de moins en moins en forme, on finit par tomber dans des voies très en dessous de son niveau alors qu’on ne s’est jamais autant entraîné, et croyez-moi, ce n’est pas drôle ! Cette mise en garde faite, à vous de jouer ! »

 ?? © Artur Szychowski ?? Jérémy Bonder se joue de Fata Morgana, 8a à Fontainebl­eau.
© Artur Szychowski Jérémy Bonder se joue de Fata Morgana, 8a à Fontainebl­eau.
 ?? © Artur Szychowski ?? Sur le mur de compétitio­n… Le moment où s’expriment enf in les innombrabl­es heures d’entraîneme­nt.
© Artur Szychowski Sur le mur de compétitio­n… Le moment où s’expriment enf in les innombrabl­es heures d’entraîneme­nt.

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