Grimper

ABUSER DE SES POINTS FORTS, TOUT UN ART !

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S’il peut apparaître particuliè­rement élégant de se construire une escalade sans points faibles, se forger volontaire­ment des points forts, du moment qu’on sait les utiliser, se révèle d’une efficacité redoutable. Quel que soit le domaine, sportif ou intellectu­el, quelle que soit la discipline, la spécialisa­tion devient essentiell­e pour s’assurer un certain niveau de performanc­e. Pour percer dans la recherche, les scientifiq­ues choisissen­t systématiq­uement une branche d’expertise très pointue. Pour espérer gagner des titres, les athlètes se focalisent très jeunes sur la discipline dans laquelle ils excellent - sprint, saut en longueur, lancer de javelot, demi-fond etc. - et s’y consacrent pleinement.

Un grimpeur, s’il veut tirer le meilleur parti de ses capacités, doit, de la même manière, prendre pleine conscience de ses points forts. Dès le choix de ses projets, que celui-ci n’ait pas honte d’en tenir compte ! Que le géant s’attaque aux passages les plus morphos, que les petits doigts recherchen­t les mauvais bi doigts et les micro-prises, que les infatigabl­es prennent d’assaut les longs dévers, bref, en grimpe aussi, vous l’avez compris, vos qualités sont vos meilleures alliées.

Même en cherchant les méthodes de votre projet ou dans l’incertitud­e d’un essai à vue, sachez que la solution émergera bien souvent de ce que vous savez faire le mieux. Il n’est pas rare de voir les meilleurs grimpeurs user et abuser de leurs points forts. Adam Ondra, conscient de sa souplesse et de son ouverture de bassin, s’assoit sur ses pieds en se plaquant au mur à la moindre occasion. Sean Mccoll, qui connaît sa puissance et son gainage mieux que personne, et qui sait parfaiteme­nt que ses avant-bras le lâcheront avant ses biceps, préfère souvent passer en force plutôt que de perdre du temps à finasser ; attitude parfaiteme­nt opposée à celle de Charlotte Durif qui a toujours, dans sa carrière de compétitri­ce, privilégié la patience et l’économie (P14).

L’art de bien grimper, donc, n’est pas étranger au développem­ent d’une escalade adaptée à l’expression de nos qualités. C’est aussi être capable de se spécialise­r dans un style qui nous sied pour s’appuyer, presque par réflexe, sur nos meilleures aptitudes. Car l’efficacité ne se soucie guère de variété ni d’originalit­é. Arjen Robben, footballeu­r hollandais pressenti pour le ballon d’or en 2010, a fait toute sa carrière en faisant le même crochet vers l’intérieur à presque chacune de ses prises de balle… il avait tout compris ! Pourquoi diable se priver de ce qui fonctionne ?

Valoriser ses points forts en pratique

Premièreme­nt, il faut bien préciser qu’en aucun cas le fait de profiter de ses points forts n’entre en contradict­ion avec le travail d’éventuels points faibles. Il s’agit simplement de ne pas, par je ne sais quelle absurde pudeur, rechigner à l’expression de ses meilleures qualités. Premièreme­nt, donc, il vous faudra les identifier (longs dévers de conti, mouvements à doigts, jetés, souplesse, etc.).

Une fois que vous savez ce qui vous réussit le mieux, il y a deux manières d’en tirer parti (qu’on peut facilement transforme­r en exercice). Soit vous cherchez un projet qui vous permettra d’exprimer à fond votre potentiel, auquel cas, encore une fois, il ne faut surtout pas hésiter à choisir une cible en accord parfait avec votre style de prédilecti­on, soit vous faites face à une voie ou un bloc qui ne vous correspond pas forcément - le passage de vos rêves, une ouverture de salle ou de compétitio­n, etc. Dans ce second cas de figure, posez-vous sans cesse la question de comment vos points forts pourraient vous sortir d’une mauvaise situation, en particulie­r dans la recherche des méthodes. Vous êtes grand, certaines prises sont trop petites pour que vous puissiez les tenir : tentez de les sauter ! Vous êtes petit(e), les prises sont trop éloignées : sondez le rocher dans ses moindres aspérités ; il y aura sûrement une prise intermédia­ire pour vous sortir de là ! Et ainsi de suite. Si vous cherchez en permanence le moyen d’utiliser vos meilleures qualités, il n’y a aucun doute, vous le trouverez.

 ?? © Lucien Martinez ?? Dans La Green Fingers Traverse (8a +/b trav), Caro Sinno ne s’est pas laissée impression­ner par le gros dynamique de la méthode d’ouverture : un pied dans les oreilles, un mini Gratton en inter, et le tour était joué !
© Lucien Martinez Dans La Green Fingers Traverse (8a +/b trav), Caro Sinno ne s’est pas laissée impression­ner par le gros dynamique de la méthode d’ouverture : un pied dans les oreilles, un mini Gratton en inter, et le tour était joué !
 ?? © Caroline Sinno. ?? Manu Marquès utilise une méthode bien à lui et beaucoup plus statique dans ce 7b (normalemen­t en jeté) de Franchard Druides.
© Caroline Sinno. Manu Marquès utilise une méthode bien à lui et beaucoup plus statique dans ce 7b (normalemen­t en jeté) de Franchard Druides.
 ?? © Lucien Martinez © Stéphan Denys ?? À gauche, position de repos atypique mais dont Caro Sinno est adepte dans Rockmanino­v (8a trav).
Ci-dessus, Caro Sinno s’applique autant que possible dans les placements très complexes de sa réalisatio­n la plus dure, L’insoutenab­le Légèreté de l’Autre (8B).
© Lucien Martinez © Stéphan Denys À gauche, position de repos atypique mais dont Caro Sinno est adepte dans Rockmanino­v (8a trav). Ci-dessus, Caro Sinno s’applique autant que possible dans les placements très complexes de sa réalisatio­n la plus dure, L’insoutenab­le Légèreté de l’Autre (8B).
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