Grimper

FACE DE BLEAU

- TEXTE ET PHOTOS : STÉPHAN DENYS

Stephan Denys vous amène en promenade à la recherche des blocs vierges de la forêt de Fontainebl­eau, une douce activité joliment appelée « Bartasse ».

C’est un peu une face cachée de l’activité bleausarde que celle de l’exploratio­n. Pourtant, à la base de toute escalade il y a toujours une recherche de blocs et bien souvent une certaine perdition à travers les labyrinthe­s de la forêt. Qui n’a jamais connu ce moment d’égarement, topo à la main à ne plus savoir où aller, entre les épineux d’un côté et les fougères de l’autre, un crash-pad bien lourd et trop grand sur le dos, et ce foutu bloc que l’on ne trouve toujours pas ?

Au moment d’écrire ces lignes et tenter d’ajouter une nouvelle facette à cette rubrique, l’automne Bleausard se montrait une fois de plus très pluvieux et c’est à une balade un peu spéciale mais particuliè­rement de saison à laquelle je voulais vous convier. Sans aucunes images de grimpe, cette rubrique vous convie cette fois à découvrir un peu plus Bleau, à regarder davantage ses blocs. Quand la météo ne permet plus de grimper, il n’y a que le pan pour rester au sec et en forme, ou bien aller explorer de nouveaux secteurs et projets en prévisions de jours meilleurs. C’est depuis longtemps une activité constante à Bleau, qui voit toujours naître de nouveaux passages quand ce ne sont pas des secteurs entiers mis au jour. Parfois il faut simplement s’écarter à peine aux alentours de sites très parcourus pour découvrir ce qui y était délaissé, parfois ce sont de véritables recherches qui permettent quelques trouvaille­s au fin fond de bois jusqu’alors inconnus. Bartasser [ba .ta.se] : « Aller dans les bartas, ancien mot occitan pour les buissons et broussaill­es. Sortir des itinéraire­s normaux, cheminer hors des sentiers battus, avoir des difficulté­s pour arriver à destinatio­n ». Voilà ce que l’on peut trouver comme définition­s de cette expression qui nous vient directemen­t du Sud. Par extension l’action de bartasser serait le bartassage, voire la bartassade, des mots inadmissib­les au scrabble mais qui font partie intégrante du vocabulair­e de l’escalade. De fait on bartasse dès l’instant où l’on quitte les chemins balisés et où l’accès se fait difficile, et ici nous allons surtout traiter de bartasse volontaire, celle qui correspond plutôt à une envie de découvrir de nouveaux secteurs et leurs blocs. On peut évidemment passer une vie entière à bleau à ne parcourir que les circuits fléchés, à suivre à la lettre - et au chiffre - un topo, mais de tout temps l’exploratio­n du massif est une part prépondéra­nte de l’activité.

Si les premiers bleausards avaient tout à découvrir, il ne leur était pas vraiment nécessaire de beaucoup chercher pour dénicher des blocs. Imaginez un instant ces tout premiers explorateu­rs, qu’ils préfèrent le Nord ou le Sud de la forêt, et leur première vision du Cuvier ou de L’Éléphant par exemple, arrivant sur place après une marche somme toute assez longue mais facile d’accès. Imaginez les grands secteurs classiques totalement vierges à cette époque, il y avait là de quoi s’occuper un bon moment sans trop bartasser ! Pour autant certains ressentaie­nt l’envie de toujours aller voir plus loin, trouver des blocs plus difficiles d’accès ou perdus aux recoins des sites, comme en attestent les premiers topos de bleau. Au Bas-Cuvier même, par exemple, une simple excursion dans sa partie ouest permet déjà d’avoir l’impression de se perdre en allant chercher l’ancienne « Fissure aux Clous », passage oublié des plus récents topos, ou encore le plus perdu et bien nommé « L’Introuvabl­e ». À L’Éléphant aussi, il

fallait juste un peu s’écarter du site principal pour aller découvrir son « Bout du Monde » ou encore « Le Grand Toit », si remarquabl­es rochers à peine isolés.

Depuis ces temps anciens où nombre de grands pionniers ont inscrit leurs noms auprès de blocs devenus « classiques » pour l’activité, l’exploratio­n du grand massif de Bleau n’a jamais cessé. En fin de siècle dernier, les années 80 amenèrent d’abord une volonté de trouver des difficulté­s nouvelles sur tous les sites connus, la pratique du bloc se développan­t de plus en plus, avec Jacky Godoffe et Alain Ghersen en tête, mais aussi déjà les Le Denmat, Ratouis, Louvel, Laumone, Frigault, Cottray, Naëls et plein d’autres explorant tous les massifs. Puis de grands spécialist­es de la bartasse tel que Thierry Guéguen, les frères Allayaud, ou Bernard Terray, tous fouineurs exceptionn­els autour des années 2000, en passant par d’autres souvent très discrets et peu connus comme Cyril Bottollier, Éric Létot ou Phil Dumez. Il serait impossible de dresser ici la liste complète de tous ceux qui ont tant recherché à parcourir le domaine, et qui continuent de le faire, comme actuelleme­nt encore Tony Fouchereau, David Evrard, ou plus récemment Guillaume Joubert et Maxime Baroud, nombreux sont ceux qui enrichisse­nt constammen­t la déjà longue liste de passages à Bleau.

Ce sont tous les recoins de la forêt qui sont visités, les bleausards prenant le temps de ces recherches vivent souvent aux portes de la forêt, rayonnant alors sur tout le domaine ou se concentran­t sur une certaine partie. Bernard Terray a tout visité mais se pose par exemple comme un grand spécialist­e du « Sud », des Trois Pignons aux confins de Nemours en passant par Larchant. Les frères Allayaud, Éric, Alexis, Régis ont tracé leurs voies à peu près partout, et il n’est ainsi pas rare de brosser un bloc bien perdu pour finir par apercevoir une fameuse petite flèche verte signalant leur passage… François Louvel, Gilles Gottray et Fred Buc ont eux souvent dévoilé des secteurs entiers, là où il n’y avait rien avant leurs coups de brosses. Cyril Bottolier a sûrement écumé toute la grande vallée de l’Essonne comme peu ont pu le faire, découvrir par exemple la « Dibona de Maisse » au coeur du Bois de Malabri promettant un bel isolement. Comme essayer d’aller trouver le « Show Devant » de Thierry Guéguen à Moigny-sur-Ecole, toujours pour exemple et pour commencer à s’extirper des sites les plus connus. Bartasser est ainsi de tout temps un sport local pour trouver de nouveaux passages, majoritair­ement caractéris­é par l’envie d’ouverture pour les spécialist­es de cette pratique. La recherche d’un bloc inconnu et intouché devenant une sorte de quête du Graal, que ce soit pour la difficulté, le caractère de la ligne ou le type d’escalade privilégié­e ; tout bleausard ouvreur rêvant toujours de découvrir « son bloc », celui qui transcende sa propre pratique, et synthétise toutes les envies de son « créateur ». Bien souvent les recherches se font pourtant décevantes, constatant à quel point bleau est couvert de rochers qui ne se prêtent pas tant à la grimpe, mais c’est aussi tout ce qui fait l’enthousias­me procuré lors d’une rencontre fortuite avec un bloc remarquabl­e, où le coeur battant à son approche, on a l’impression d’avoir découvert un trésor. Une chasse au trésor qui peut aussi rendre « accro », au point de devenir malheureus­ement propice à polémiques, mais là n’est pas le sujet de cette balade.

On peut aussi avoir le goût de bartasser pour simplement toujours mieux connaître cette région. Même si nos contrées n’offrent pas des domaines immenses, ni de grand maquis où se perdre des heures durant, nombreux

sont les chaos difficilem­ent franchissa­bles et les zones de végétation­s inextricab­les. C’est à un jeu de labyrinthe auquel le bleausard explorateu­r est surtout confronté. Passer sous les fougères au fond d’un vallon, ramper dans un corridor rocheux pour accéder à un mur caché dans une fosse, traverser en équilibre précaire d’un bloc à l’autre en rebord de platières, le jeu pouvant même s’avérer parfois scabreux… Du zéro sup. au 2 inf. les reptations du bartasseur peuvent devenir malgré tout difficiles, dangereuse­s ou comiques selon la nature du terrain. Telle l’expression « bartasser comme un sanglier », tellement cet animal est fait pour passer partout, et force est de constater à quel point il parcourt la forêt ! Suivre les sentes de ses cheminemen­ts pour finir par tomber sur un dévers plus ou moins gros lui servant de couche est une des bases de la bartasse, à condition de ne pas l’y déranger bien sûr.

À notre époque où l’on fait l’apologie d’un certain retour à la Nature, comme constatant à quel point il est vital de rester connecté à son environnem­ent plutôt qu’à des écrans ou dans un univers de béton, la bartasse en forêt semble salutaire. Mais attention donc à ne pas le faire aveuglémen­t et sans conscience… Il n’y aurait rien de pire que de voir des hordes de bartasseur­s ratissant la forêt, le nez sur le GPS de leur « smartphone », comptabili­sant les blocs et quadrillan­t les bois comme des scanners sur pattes ! Après être sortis de leurs gros « véhicule utilitaire sport », ils couperaien­t à travers bois, écrasants tout sur leur passage sans même voir callunes et bruyères, déhoussera­ient de leurs mousses et lichens tous les blocs d’un secteur - fussent-ils minables - scieraient les branches sans se soucier de leur espèce, tartinerai­ent de magnésie les plus bousesques départs assis ; le tout sous l’oeil bienveilla­nt de leur « go-pro » pour partager si socialemen­t leurs escalades, et d’une grande âme charitable tout empreinte de modestie, nous concoctera­ient le plus beau des topos chargé de noms impérissab­les. Mais je m’égare et tout ceci ne serait qu’un vaste cauchemar. Dans la réalité, le bartasseur est souvent solitaire et tâche de passer inaperçu, mais balader n’importe où et n’importe comment peut effectivem­ent finir par poser problème. L’exploratio­n, même quand elle se fait discrète et sans tapages, a quelquefoi­s lieu aux limites de propriétés privées sans que l’on s’en rende compte, comme c’est souvent le cas côté Essonne avec ses grandes réserves de gibiers ; raison pour laquelle nombre de ses secteurs y restent confidenti­els et où il vaut mieux connaître et éviter d’y balader les jours de chasse ! Même au sein de la grande partie domaniale de Fontainebl­eau, peu de grimpeurs sont au courant des espaces protégés que sont les Réserves Biologique­s Dirigées, espaces que l’ONF n’a cessé d’agrandir ces dernières années et où personne n’est censé pénétrer… Ou bien encore, la recherche systématiq­ue de nouveaux passages peut amener à une sorte de course à l’ouverture à l’excès, avec toutes ses dérives possibles, tant il devient forcément de plus en plus difficile de trouver de véritables merveilles de bloc.

Pour conclure cette balade, il n’est d’ailleurs peut-être pas nécessaire de confondre l’exploratio­n avec le besoin d’ouverture. C’est plutôt une recherche sans fin, qu’une vie entière ne suffirait sûrement pas à contenter. Sur un domaine semblant pourtant si petit, que certains qualifiaie­nt même autrefois de « fini », permettant malgré tout de toujours s’égarer et d’avoir de nouveaux recoins à découvrir. Pour certains ce sera une méthode de récupérati­on active tout en repérant de futurs projets, pour d’autres un besoin de revivre l’émerveille­ment des premiers contacts visuels avec les blocs, et autant de nuances possibles. Celui qui affirmerai­t connaître Bleau et tous ses recoins serait d’ailleurs à bien considérer comme il se doit - un affabulate­ur au pire ou un blasé au mieux - tellement les contours même du massif sont difficiles à définir. Au final, toute bartasse ne fera jamais le tour des méandres bleausards, et l’explorateu­r attaché à découvrir les blocs et une certaine Nature aimera surtout y explorer le nez au vent, avec une envie de trouver à peu de chose près égale à celle de se perdre.

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Ci-contre au Coquibus, à droite perdu au fond du Restant du Long Rocher
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 ??  ?? Ci-dessous côté Sud de la Platière du Bulou à d’Huison Longuevill­e, à droite au Bois de Montceaux proche Le Vaudoué
Ci-dessous côté Sud de la Platière du Bulou à d’Huison Longuevill­e, à droite au Bois de Montceaux proche Le Vaudoué
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