Grimper

ITW ORIANE BERTONE

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- TheFinishL­ine

Double championne du monde jeune, ouverture d’un 8B bloc à 13 ans : Grimper est allé à la rencontre de la prodige réunionnai­se.

Tout commença en 2014, peut-être en 2015 quand, dans le brouhaha de la toile, on entendit confusémen­t parler, sur les réseaux sociaux ou ailleurs sur le web, d’une petite réunionnai­se grimpant dans le 7C bloc. Un bruit d’autant plus diffus que 7C bloc, dans ces destinatio­ns exotiques et avec un gabarit de f illette de 8 ans, ça ne veut vraiment pas dire grand-chose ! Peu à peu, au f il de performanc­es plus précoces les unes que les autres, un 8A à Rocklands par-ci, un 7C à Bleau par-là, le « bruit diffus » devint plus précis, on s’aperçut même qu’il avait un nom : Oriane Bertone.

On découvrit que son père, Stefano, conscient d’aptitudes particuliè­res pour la grimpe, ne perdait jamais une occasion de l’amener, en compagnie de son petit frère Max et de sa soeur jumelle Margot, tâter le beau caillou volcanique de leur île. Pour les vacances en famille, direction Rocklands ou Fontainebl­eau, histoire de se frotter aux classiques de renommée mondiale. À 12 ans, toujours sur le grès orange sud-africain, Oriane rétablit au sommet de Golden Shadow, 8B ou 8B+ selon les avis, le même bloc qui avait propulsé Ashima Shirashi, prodige de la grimpe américaine, sur le devant de la scène. Cette performanc­e valut à la jeune réunionnai­se un coup de projecteur d’une bonne partie des médias de grimpe du monde, une retombée d’autant plus justifiée que, même indépendam­ment de l’âge, il s’agissait d’une coche de classe mondiale. Quelques mois plus tard, Oriane signe un nouveau coup de force, à la maison cette fois, avec l’ouverture du Spartiate direct, un vieux projet de La Ravine du Trou qu’elle propose à 8B. Sous réserve de confirmati­on de la cotation, c’est la première – et l’unique à l’heure actuelle – ouverture féminine dans le niveau. Pionnier, n’est-ce pas ?

Cela nous amène à l’été 2019. Après avoir dominé la saison des compétitio­ns européenne­s de la tête et des épaules, enfin en âge de participer aux championna­ts du monde jeunes, elle réalise à Arco le doublé bloc et difficulté alors qu’elle n’est qu’en première année de minime.

Du haut de ses 14 ans, Oriane Bertone a déjà prouvé beaucoup de choses, mais cette période marque aussi un tournant, celui de l’adolescenc­e, de la puberté et de l’indépendan­ce arrivant à grands pas. Impossible donc de nous enflammer : nous avons vu passer trop de prodiges qui, s’apercevant en grandissan­t qu’ils n’avaient pas envie de vouer leur vie à l’escalade et à la performanc­e, se sont progressiv­ement détournés du haut niveau. Même Ashima Shirashi ne semble plus capable

de réussir aujourd’hui, à 18 ans, les mêmes prouesses qu’elle accompliss­ait sur le rocher à 13 ou 14. Tout le monde pensait pourtant que cette dernière survolerai­t un jour la grimpe féminine…

C’est donc sans prédiction­s sensationn­elles, sans absurdes d’effets d’annonce, mais bien pour tâter le terrain, pour connaître un peu mieux la jeune championne et son état d’esprit, que nous lui avons posé quelques questions à l’occasion d’une rencontre en forêt de Fontainebl­eau. Accrochez-vous, elle a les idées claires, et un caractère déjà bien trempé !

Grimper Magazine : Salut Oriane, d’abord, bravo pour ton doublé aux championna­ts du monde jeunes à Arco ! Tu t’attendais à gagner dans les deux discipline­s ? Oriane Bertone : Non. Mes bons résultats sur le circuit européen me permettaie­nt de venir jouer la gagne, mais je m’attendais à ce qu’il y ait de très fortes Japonaises. La victoire était mon objectif mais, honnêtemen­t, je ne pensais pas gagner à la fois en bloc et en voie.

GM : Tu performes en bloc naturel, en falaise, et maintenant en compétitio­n, de bloc comme de difficulté… Ou prends-tu le plus de plaisir ?

OB : En bloc naturel, sans hésiter. Si tu me demandes la discipline que je préfère, la réponse dépendra de l’état d’esprit et de la période. Mais quand on parle de plaisir, c’est le bloc naturel qui l’emporte.

GM : Avec l’olympisme, l’alourdisse­ment des calendrier­s et l’élévation du niveau global, il devient de plus en plus difficile de combiner grimpe en extérieur et compétitio­n au plus haut niveau. On voit presque tous les athlètes se spécialise­r d’un côté ou de l’autre. Toi, qui t’investis beaucoup en bloc naturel mais aussi en compétitio­n, sauras-tu faire ton choix entre les deux ?

OB : Je n’envisage pas d’arrêter le caillou pendant un an. Pas question de faire un choix, en tout cas je l’espère. Il y aura toujours le temps de faire du naturel entre les sessions d’entraîneme­nt ou les compétitio­ns. Il suffit de bien s’organiser.

GM : Mais tu seras forcément obligée de prioriser un des deux, non ?

OB : Je n’ai pas encore été encore confrontée à ça : je me régale à travailler des blocs durs et j’adore les sensations de la compet. Je ne sais pas comment je ferais pour prioriser, il faudrait que je me trouve dans la situation…

GM : Toujours dans l’opposition entre rocher et résine, tu es, malgré ton jeune âge, une des rares à avoir des expérience­s fortes dans les deux domaines. Ressens-tu les mêmes choses dans l’un et dans l’autre ?

OB : Non, les sensations sont très différente­s. En compétitio­n il faut affronter le stress, le tumulte, c’est épuisant et en même temps excitant, car quand tu gagnes, ça veut dire que tu as su faire face à tout ça. En naturel, au contraire, tu es au calme, le plaisir est beaucoup plus simple : tu as fait un truc dur, tu t’es surpassée et tu te sens bien. C’est tout.

GM : On continue dans la même veine : qui admires-tu le plus entre Janja Garnbret (N.D.L.R. : de très loin la meilleure compétitri­ce du moment) et Margo Hayes (N.D.L.R. : lauréate de la mythique trilogie des 9a+,

Biographie, Papichulo et la Rambla) ?

OB : Sincèremen­t, Janja. En tout cas c’est elle que je préfère regarder, d’autant que je trouve la compétitio­n plus spectacula­ire que la falaise. Ensuite, pour être précise, je ne dirais pas que je les admire. J’aimerais bien, et je l’assume, avoir un jour le même palmarès qu’elles, et si je les admire trop, je risque de rester passive, de ne pas être dans l’action.

GM : Vu ta réponse précédente, je crois deviner ce que tu vas dire : es-tu plutôt du genre ambitieuse, en te fixant de gros objectifs, ou grimpes-tu juste à fond en attendant de voir où ça te mène ?

OB : Ambitieuse. Je pense déjà aux prochains championna­ts du monde, voire même aux JO 2024. Je me mets sans cesse des objectifs à court et long terme.

GM : Tu t’entraînes donc beaucoup ?

OB : Oui, je grimpe beaucoup, vraiment beaucoup. J’essaie des blocs durs, dehors comme dedans, après travail où à vue. Mais pour l’instant je ne fais pas de muscu. Mon entraîneme­nt se résume à de la grimpe.

GM : À l’heure actuelle, tu domines ta catégorie, mais si tu te retrouvais face aux séniors, tu as une idée de ce que ça donnerait ?

OB : En difficulté, je pense que je me ferais massacrer,

d’autant que j’ai peu d’expérience. En bloc, il y a moyen que je me débrouille, mais on le saura bien assez tôt.

GM : Tu n’as pas peur d’attraper la grosse tête à force de tout gagner ?

OB : (rires) Parfois j’y pense, surtout quand je croise des gens qui ont justement attrapé la grosse tête. Mais pour répondre à la question, non, ça ne me fait pas tellement peur, premièreme­nt parce qu’en escalade tu te bats plus contre les voies que contre les autres, et, surtout, parce que je ne peux pas ramener toutes mes réussites à moi seule. Je sais par exemple tout ce que je dois à mon père.

GM : Quand tu réussis un bloc dur, justement, on t’entend souvent dire « on a fait ce bloc » plutôt que simplement « j’ai fait ce bloc ». Peux-tu nous expliquer pourquoi ?

OB : Quand je dis « on », c’est que j’associe instinctiv­ement mon père, et même mes frères et soeurs, à la réussite du bloc. Et ça se comprend facilement. Déjà, on habite à la Réunion et mon père nous amène grimper partout. Il nous brosse les prises, il nous pare, il fait tous les petits trucs relous, il ne perd jamais patience. Il nous aide à choisir les blocs, etc. Et puis, avec mes frères et soeurs, on se soutient mutuelleme­nt, c’est vraiment une histoire de famille : je n’arriverais à rien si j’étais toute seule, et j’en ai parfaiteme­nt conscience. GM : Qu’est-ce que tu répondrais à ceux qui pensent, à cause de ton jeune âge, que tu ne performes que parce que tu es poussée par ton père ?

OB : C’est impossible de faire du haut niveau alors que tu n’as pas envie. Pour s’entraîner, il faut de la volonté. J’en connais qui font ça parce qu’ils sont poussés par leurs parents, ils peuvent faire des bons résultats mais ils ont du mal à progresser, ils stagnent et ne tiennent pas le haut niveau sur la durée. Donc je répondrais à cette question, par pure logique, que ce n’est pas possible.

GM : En parlant de stagner, justement, on ne peut pas manquer de te comparer à Ashima Shirashi. Sur caillou, vous avez toutes les deux fait des choses exceptionn­elles pour votre âge (et même dans l’absolu), et vous dominez de la tête et des épaules les compétitio­ns jeunes. Or, on s’est aperçu qu’Ashima, de quelques années ton aînée, a légèrement régressé sur rocher et n’est pas parvenue à transposer ses victoires sur le circuit des séniors. Penses-tu que ton niveau risque de stagner comme celui d’Ashima ? Et si c’est le cas, penses-tu garder la même motivation ?

OB : Je pense qu’Ashima est un peu trop médiatisée. Ces dernières années, elle s’est plus focalisée sur ça que sur sa progressio­n et sur l’escalade : elle est partout, elle a énormément de followers et elle a plein de sponsors qui n’ont rien à voir avec l’escalade. J’ai l’impression que la grimpe n’est plus vraiment au centre de sa vie mais qu’elle fait maintenant partie d’un tout lié à sa personnali­té médiatique. Moi, je ne me laisserai jamais autant médiatiser. Je continuera­i à m’entraîner et à rester à 100 % focus sur l’escalade. J’espère donc ne pas stagner. Et si ça marche moyen en compétitio­n, j’essaierai de comprendre, je travailler­ai encore plus, et, au pire du pire, je me rabattrai sur le caillou que j’adore.

GM : Une voie et un bloc qui te font rêver ?

OB : Pour moi, c’est la beauté de la ligne qui passe avant tout et même avant la beauté des mouvements. Si je ne devais donner qu’un bloc, je dirais

(8C à Rocklands). En voie, je ne sais pas trop, je ne regarde pas assez de vidéos (rires).

GM : Et les cotations ? Est-ce qu’elles signifient quelque chose pour toi malgré ton petit gabarit ? OB : Les cotations, déjà, c’est pratique pour repérer les blocs. Ensuite j’essaie toujours de comparer entre eux les blocs de même style, ça me permet de m’y retrouver tant bien que mal malgré ma morphologi­e atypique. Mais j’avoue que j’ai un peu de mal à coter les blocs que j’ouvre. Même si je ne peux pas les utiliser, je suis obligée d’imaginer les méthodes de grands et d’en tenir compte pour proposer une cotation cohérente. Ensuite, grimper des blocs laids juste pour la cote, ça ne me pose aucun problème, je trouve que ça a même du sens. Il faut simplement que ce soit assumé !

GM : Pour rebondir sur les ouvertures, tu es la seule femme à avoir ouvert un 8B bloc avec LeSpartiat­e

Direct, à La Réunion. Ce n’est pas rien ! Pourquoi avoir proposé 8B ?

OB : J’ai bien regardé, je pense que le mouvement dur sera le même pour tout le monde et que les grands ne pourront pas l’esquiver. Ce mouvement est vraiment dur, et je serais sincèremen­t étonnée que le bloc se fasse décoter.

GM : Et le mot de la fin, as-tu d’autres passions que l’escalade ?

OB : J’adore pêcher ! Et aussi la cueillette de fruits et de champignon­s. Mes préférés, c’est les cèpes. On va souvent en chercher quand on passe du côté de ma famille en Italie !

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Oriane Bertone dans Les Beaux Quartiers, un 8A classique de la forêt de Fontainebl­eau.
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Juste en dessous, approche dans la bonne humeur en forêt. En bas, toujours au Rocher d’Avon, Oriane dans un 7A pas évident pour les petits gabarits
À droite, séance photo dans le magnif ique jeté en 7B du Danseur au Rocher d’Avon © Lucien Martinez Juste en dessous, approche dans la bonne humeur en forêt. En bas, toujours au Rocher d’Avon, Oriane dans un 7A pas évident pour les petits gabarits
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