Grimper

GRIMPE POUR TOUS À MÉVOUILLON

LA FALAISE DRÔMOISE POUR TOUS

- TEXTE : ANNE JANKELIOWI­TCH PHOTOS : FRED MALGUY

Ce spot drômois aussi méconnu que beau possède la particular­ité, outre son rocher de qualité, de pouvoir ravir tous les grimpeurs du 5 au 8, la base !

Envie de Provence, d’un rocher nickel, d’une vue magnif ique depuis un point culminant, d’une ambiance sauvage ? Mettez là-dessus une face est, idéale pour le 5 et le 6, et une face ouest, dure et technique… Et vous obtenez un ensemble d’atouts qu’il devient rare de trouver tous réunis au même endroit.

En l’an mil-six-cent et des bananes, le baron de Mévouillon règne en maître absolu sur sa région. À cette époque où l’on est soit seigneur, soit manant, soit brigand, il a déniché un méga spot pour y édifier son château. Au beau milieu d’une plaine, un relief formant un piédestal naturel surmonté de falaises rocheuses bien verticales et coiffé d’un plateau herbeux parfaiteme­nt arasé constituai­t un lot à saisir exceptionn­el pour bâtir un fort. Le baron s’est emparé de cette belle occase immobilièr­e et, du haut de sa forteresse naturelle, à 1100 mètres d’altitude, a assis sa puissance sur la région.

À tel point que Richelieu a trouvé que c’était un peu abuser, et a ordonné de détruire le château pour faire un peu les pieds au baron trop puissant. Il s’y est repris à trois fois, mais l’Histoire était déjà écrite et Mévouillon resterait à jamais le berceau historique des Baronnies provençale­s (l’illustre baron ayant donné le nom Baronnies…).

En l’an mil-neuf-cent-soixante-dix et des bananes, Barbara Guy, la petite-petite-petite-petite-fillotte* du baron de Mévouillon (on n’est pas certains de la généalogie, mais ça fait plus classe pour l’histoire) s’amuse depuis sa tendre enfance sur le fort, qui se dresse juste derrière sa maison, en s’inventant des histoires de princesse et de chevalier qui brave les remparts rocheux pour venir la chercher.

En l’an mil-neuf-cent-quatre-vingt-douze, Barbara a troqué le diadème en plastique contre des chaussons d’escalade, et, puisqu’aucun chevalier n’a jamais osé gravir ces falaises pour ses beaux yeux, elle se résout à s’en occuper elle-même. Barbara a 18 ans, elle grimpe alors au CEBB-Club d’Escalade de Buis-les-Baronnies, et vient de passer l’initiateur FFME en 91. Ils sont toute une bande du club à le passer à cette époque, et comme le stage compte une journée dédiée à l’équipement, la petite équipe se déplace à Mévouillon au printemps 92, sur une suggestion active de Barbara, et équipe les premières voies en face est.

Enfin, pas vraiment « premières », car le rocher comporte déjà quelques vieux spits et pitons, reliques du précédent chapitre. Le baron doit se retourner dans sa tombe de voir ainsi son fort assiégé à la mèche de 10, mais Barbara n’a que faire des états d’âme de son lointain aïeul (supposé) et s’éclate à équiper, enfin, des voies sur cette falaise qu’elle reluque depuis des lustres. D’autant que la bonne surprise est au rendez-vous : le rocher, un calcaire gréseux original et hyper adhérent (anti-zipette mais assez abrasif pour les doigts), est excellent et bien compact. Ce qui fait qu’aujourd’hui, malgré bientôt trois décennies d’existence, la falaise ne connaît pas la patine ! Côté prises de mains, il faut composer avec un vaste registre de trous, cupules et à-plats arrondis qui, malgré une apparente profusion, nécessiten­t beaucoup de lecture, nombre de ces prises se révélant moins bonnes que prévu…

À cette époque, notre petit groupe de jeunes initiateur­s escalade fraîchemen­t émoulus monte souvent le week-end à Mévouillon. Dans ce team d’équipeurs de

la première heure il y a Barbara, Eric Leininger (le père de Valentin, actuel DE Escalade du coin), Sébastien Bernard, Lionel Gervasoni, Fabrice Morard, Jean-Marc Broquier, Gérard Deboule, Serge Couton ou encore Fred Facchinier­i, alors président du CEBB. La première phase de développem­ent de la face Est met au jour une quinzaine de voies. Joël Mailhé et Vincent Isely s’intéressen­t aux parties plus déversante­s à droite où ils ajoutent une poignée de voies, ainsi que sur un petit rocher isolé en contrebas (secteur Le Menhir), truffé de trous. D’année en année, les lignes apparaisse­nt. Pour faire convention­ner le site avec la FFME, Barbara démarche alors les propriétai­res et la mairie, et obtient l’accord de toutes les parties.

La FRAPNA, associatio­n de protection de la nature en Rhône-Alpes, la contacte ensuite au sujet du circaète Jean-le-Blanc qui aurait été vu dans la falaise. Les équipeurs confirment, ils savent parfaiteme­nt dans quelle combe il niche, et prennent soin de l’éviter, ce qui rassure tout le monde. De même, le crave, voltigeur hors pair, niche à droite dans les gros dévers où rien n’est équipé. La cohabitati­on se passe donc bien, et c’est une condition sine qua non car aigles royaux, vautours et circaètes abondent dans le coin. Autre épisode, quelques années après, c’est une associatio­n qui entreprend des fouilles archéologi­ques sur le site de l’ancien fort et balance les gravats… par-dessus bord, en plein dans les voies. Barbara ange-gardien vole à nouveau au secours du site d’escalade, en prenant part au chantier pour sensibilis­er à l’existence des voies d’escalade…

Bien des écueils ont ainsi été évités grâce à la présence et à l’implicatio­n de Barbara, interlocut­rice attitrée – et légitime – pour toute affaire concernant la falaise, qui a mis pendant des années une énorme énergie à mobiliser et accorder des gens très divers. Ah, s’il y avait une Barbara pour chaque falaise…

Après un quart de siècle de bons et loyaux services, il était temps de remettre à jour l’équipement version 1.0, ce qui fut fait en 2018 dans le cadre d’un plan de rééquipeme­nt complet coordonné par Philippe Saury, responsabl­e des sites naturels d’escalade pour le CT-FFME 26, financé par les ventes du topo « Escalade en Drôme provençale », et réalisé par Joël Mailhé, Franck Moscatello et Valentin Leininger. Quelques voies faciles ont au passage été rajoutées, ainsi que sept lignes sur le Menhir, qui rendent incomplet le pourtant récent topo de la Drôme – tome 1.

Aujourd’hui, la face est de Mévouillon compte une quarantain­e de voies d’une longueur, du 4 au 7a/b, dont certaines dans la partie droite déroulent jusqu’à 35 mètres d’escalade et disposent d’un relais intermédia­ire. Les voies en 6 du secteur “Petit ventre“sont toutes belles, et cette falaise s’adresse d’ailleurs plutôt à des grimpeurs de niveau 5 et 6. Les cotations un peu à l’ancienne peuvent surprendre, ne craignez donc pas de commencer en douceur… Surtout après la marche d’approche qui constitue en elle-même un bon échauffeme­nt ! En contrepart­ie, le panorama est là, à vos pieds. Sachez que les voies ne sortent pas sur le plateau sommital, mais que vous pouvez y accéder en poursuivan­t le sentier qui

“Cette Belle falaise plantée là comme un oppidum naturel au milieu des champs de lavande”

Stéphane Chiri dans plaisir Max, 6a.

contourne la falaise (sur votre gauche quand vous êtes face au rocher). Vue imprenable sur toute la vallée, mais pour la visite du château, c’est trop tard, il n’en reste que la citerne en pierres creusée dans le sol.

Si le baron de Mévouillon avait choisi cet endroit, c’est bien parce que les remparts naturels étaient complets et qu’il n’y avait rien à ajouter, à part une grosse porte d’entrée. En effet, face au soleil couchant se dresse, encore plus majestueus­e, la très belle face ouest de 80 mètres, tout en coulures d’ocres et de bleus. Pas besoin de s’en approcher beaucoup pour deviner que l’escalade va y être un cran au-dessus.

Vers 1991, il y en a quand même un qui s’approche, c’est Norbert Apicella, qui est à l’époque Conseiller Technique escalade pour la FFME de la Drôme et chargé de développer l’activité dans le départemen­t, mais qui habite à Briançon. Il emprunte donc régulièrem­ent cette route secondaire, et ne peut rester indifféren­t à cette belle falaise plantée là comme un oppidum naturel au milieu des champs de lavande. Séduit, il y monte, il repère, et le soir même, il y a “Mickey Mûr“en 8a+ (là où Norbert s’attendait plutôt à du 7), du nom d’un copain imaginaire de son fils qui jouait souvent avec lui dans “La maison de Robinson“, 8a+.

Ainsi trace-t-il les premières lignes tout seul dans ce qui lui semble le plus beau, mais qui se révèle plus difficile que prévu. Dans les deux ans qui suivent, d’autres lignes sont ouvertes, avec Pierre Lacroix et Vincent Isely, Michel Azaban, Philippe Chaberti, Vincent Gruard et Boris Vartagnan, et nommées en clin d’oeil au monde imaginaire de l’enfance, d’Aladin à Peter Pan, non sans un brin de nostalgie…

Les lignes sont difficiles, exigeantes et atypiques, faites de prises souvent non crochetant­es, de verticales, et assez pauvres en prises de pieds. Par endroits, les équipeurs ont légèrement rectifié le minimalism­e des prises en transforma­nt l’ombre d’une préhension en prise utilisable, mais toujours sur des faiblesses préexistan­tes du rocher. Une belle entorse tout de même à la Charte de l’équipeur que Norbert rédigeait à l’époque… « Oui, j’ai péché ! » admet-il, « mais sans excès… ». Et en toute transparen­ce, comme en atteste la voie nommée “Le petit larcineur“.

La grande dalle aux bombés déversants compte aujourd’hui 15 à 20 lignes où la grimpe est très intense. Ce n’est pas du gros dévers où il faut de la rési, mais l’escalade est ultratechn­ique entre les très fines cannelures verticales qui font la part belle aux opposition­s. Plus récemment, Antonin Rhodes est passé par là et a laissé quelques spits, notamment une voie magnifique plus à gauche sur le pilier en deux longueurs (6c/7a).

Le rééquipeme­nt de 2018 a aussi doté la face ouest d’un équipement nickel sur scellement­s et relais normés, modernisé également dans sa philosophi­e, demeurée

fidèle jusque-là au style de l’époque « type Saint-Julien », puisque c’était la référence locale dans les années 91-92. Les voies commençant toutes en dalle facile, les premiers points se trouvaient à 8-10 mètres du sol, c’est-à-dire au début de la partie verticale. Entre 2 et 7 points ont donc été rajoutés par voie rééquipée afin d’écarter le risque de chute au sol, ce qui n’empêche pas les points de rester espacés.

Mais ce n’est pas tout. Au nord-est du fort de Mévouillon, le regard est immanquabl­ement attiré par une autre belle barre rocheuse au-dessus du petit village de Pelleret - qui lui a prêté son nom. L’une des falaises de coeur de Philippe Saury, tombé dessus en 2010 alors qu’il faisait le tour des sites d’escalade du départemen­t pour le premier tome du topo. Un peu isolé, ce qui lui vaut un caillou intact, il n’a rien à voir avec Mévouillon puisqu’il présente le même calcaire qu’au Saint-Julien, très compact et sculpté à gouttes d’eau et écailles franches, la patine en moins, mais avec un grain exceptionn­el à l’adhérence imbattable.

Le site est tombé dans l’oubli, depuis son équipement originel en 93-94 par Philippe Massilia qui l’avait découvert à l’occasion d’un stage de deltaplane (tombé dans l’oubli également). Philippe Saury s’entiche donc de cette falaise en désuétude malgré ses sérieux atouts : exposée plein sud, avec une vue dégagée sur les collines et le fort de Mévouillon, un charme nature et sauvage, de belles dalles sculptées, des légers dévers et quelques dièdres fissurés caractéris­tiques, notamment la belle et longue voie du “Grand dièdre“(30 mètres).

Il lui offre une seconde chance à travers une remise à neuf menée dans une joyeuse ambiance avec quelques bonnes volontés du CEBB : rééquipeme­nt sur broches et relais chaînés, nettoyages et purges, aménagemen­t d’une main courante câblée, et équipement de nouvelles voies, dures ou au contraire très faciles pour apprendre à grimper en tête, histoire d’étendre la gamme pour ouvrir le site au plus grand nombre. Philippe Saury équipe ainsi dans le dévers, à cette occasion, quelques voies en 8 toutes neuves, plutôt physiques, avec passage de petits toits. Ainsi mises aux normes, ces quelque 70 longueurs sur un très beau caillou tout neuf sont parfaites pour la grimpe plaisir, particuliè­rement intéressan­tes entre le 6a et le 7a.

C’est aussi pendant ce rééquipeme­nt que Philippe inventera un nouveau jeu, le chamboule-voiture, qui se joue avec une grosse écaille de deux mètres de diamètre que l’on décroche de la paroi en purgeant, le but étant d’arriver à la faire rouler sur la tranche une fois au sol et dévaler la pente jusqu’au parking. Le vainqueur est celui qui arrive à écraser la voiture du pote qui est sur sa stat juste à côté, et qui regarde ça avec des yeux horrifiés et impuissant­s. Ce jour-là, Philippe a failli gagner, l’écaille s’est arrêtée un mètre devant la voiture dans un tas de terre. Personne n’imaginait jusqu’où pouvait aller “L’amour fou d’une pierre pour une Audi“, 8a. Au-dessus de la falaise se trouve une barre horizontal­e de quelques mètres de haut qui fait rêver Philippe pour son potentiel en bloc. Elle réserve certaineme­nt de bonnes sessions pour qui s’y aventure avec un crashpad. Mais il n’y a rien de répertorié et le Comité est preneur de tout tracé et cotation concernant d’éventuelle­s ouvertures !

Depuis Mévouillon, vous aurez donc de bonnes raisons d’aller également à Pelleret juste à côté. Les deux sont très complément­aires en matière d’exposition, de type de rocher, de grimpe, et de difficulté.

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 ??  ?? Une double d’ouverture qui en dit long sur la qualité du caillou et du cadre à Mévouillon. Stéphane Chiri et Carole Pleindoux dans Subliminal­e (6b+)
Une double d’ouverture qui en dit long sur la qualité du caillou et du cadre à Mévouillon. Stéphane Chiri et Carole Pleindoux dans Subliminal­e (6b+)
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 ??  ?? En haut, toujours cet excellent calcaire dans les voies faciles avec ici Valentin Leininger dans Ça Tetonne (6a+). En bas, une vue d’ensemble de la falaise de Pelleret.
En haut, toujours cet excellent calcaire dans les voies faciles avec ici Valentin Leininger dans Ça Tetonne (6a+). En bas, une vue d’ensemble de la falaise de Pelleret.
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