Grimper

ROCHER CRESPIN

MADE IN GREENSPITS

- TEXTE : ANNE JANKELIOWI­TCH PHOTOS : JAN NOVAK

Nettement plus élitiste malgré quelques voies dans le 5 et dans le 6, toujours dans la Drôme, Grimper vous invite à découvrir cette incroyable dent calcaire sous l’objectif de Jan Novak et la plume d’Anne Jankeliowi­tch.

Pas très vaste, un peu excentrée, la falaise aurait pu rester conf identielle. Mais elle mérite amplement de sortir de l’ombre. D’abord, parce que les voies y sont dures et de qualité, et l’endroit charmant. Ensuite, parce qu’elle est un prototype d’un genre nouveau… La première falaise entièremen­t estampillé­e Greenspits.

Mais avant cela, il fallait la dégoter, cette falaise. Ce grand aileron calcaire de 40 mètres qui émerge tout seul au fond d’une vallée perdue, perpendicu­laire à une vallée perdue, dans le sud de la Drôme, aux portes des Baronnies provençale­s. D’autant plus difficile, quand on est cloué à l’hôpital avec le calcanéum en vrac, ce qui était le cas d’Antonin Rhodes à l’époque. Par chance – si l’on peut dire – un ami de longue date, François Crespo, est lui aussi à l’hôpital au même moment… Pour tuer le temps, ils s’appellent, et François lui parle de cette barre repérée il y a plusieurs années, qui lui semble de prime abord très difficile, mais pour laquelle il a pensé à lui…

Acte deux, à l’été 2016, les deux éclopés se rendent, en béquilles, au pied de la dent, pour regarder l’affaire de plus près. Et pour l’oeil d’Antonin, c’est évident tout de suite : François vient de lui faire un beau cadeau ! Non seulement il confirme que c’est grimpable, mais en plus, ça va être très beau.

La suite commence quelques semaines plus tard, dès l’automne. Fidèle à la philosophi­e de Greenspits dont il est membre fondateur, Antonin se retient de se faire plaisir en se gardant égoïstemen­t les plus belles lignes, et au lieu d’équiper seul dans son coin, partage la trouvaille en conviant les équipeurs de l’associatio­n à venir oeuvrer avec lui sur cette nouvelle falaise. Deux ou trois répondent présent, et le caillou se retrouve aux mains d’une petite bande, tous perfos dehors, pour quelques journées d’équipement collectif à l’ambiance inoubliabl­e. Carole Palmier, Sylvain Favier, Michael Olszak, Vincent Meirieu et Julien Grossi se font plaisir et ouvrent rapidement une poignée de lignes évidentes, dont un très beau 7c+ à droite “Les étoiles du Frachet“pour Michael, et l’un des 8a+ de référence de la falaise, “Les dents de ta mère“, pour Vincent. Antonin équipera la majorité des autres voies. Le boulot avance hyper vite et, en un mois, c’est déjà la phase de défrichage, pendant laquelle Guillaume Lebret sera particuliè­rement actif. Hyper motivé et complèteme­nt à fond, il essaye toutes les voies, opère un brossage millimétri­que des prises de pied qui ne le sont pas moins, et grimpe les premières de pas mal de voies. Son aide active permet à Antonin de battre des records de rapidité pour le process complet depuis le repérage du secteur jusqu’aux premiers enchaîneme­nts des voies !

Ainsi naît, comme une lettre à la poste, le rocher Crespin. Inutile de googlemapi­ser ce nom, vous ne le trouverez pas. Une cape d’invisibili­té géographiq­ue bien pratique pendant la phase d’équipement et tant que le site est encore en devenir ! Pour l’IGN, c’est le rocher Florin. Pour les grimpeurs, ça sera le rocher Crespin. Crespo… Florin… C’est bon, vous y êtes ? Un petit clin d’oeil en hommage à François !

Même si Antonin est revenu quelques mois après la première phase d’équipement pour finir une ou deux lignes restées en chantier, et en ouvrir quelques-unes plus abordables (et tout aussi jolies) pour compléter l’offre et l’amener à un total de 26, le gros des voies était déjà prêt à grimper. Le gros, c’est pour moitié des voies dans le huitième degré, et même si les cotations vont du 5c au 9a, ne vous méprenez pas, la falaise est assez élitiste et s’adresse à des grimpeurs forts. Il ne faut pas moins d’un

solide niveau 8c pour pouvoir grimper l’intégralit­é des voies et avoir le choix.

Outre son léger bon dévers régulier, le rocher a une particular­ité : il n’y a quasiment que des préhension­s inversées, et… quasiment rien pour les prises de pieds. Des micro-pieds, quand ce ne sont pas des nano-pieds. De ce combo inattendu résulte une escalade très originale ancrée dans plusieurs époques à la fois. Technique à tendance « old school » avec ces toutes petites prises de pieds qui exigent placement et précision. Et physique avec son profil déversant et ces bonnes prises de mains en inversées qui donnent une grimpe tout en force et en résistance, hyper actuelle. Cerise sur le gâteau, les voies sont longues, donc c’est dur pendant longtemps, d’autant que c’est dur dès le bas de la voie.

Le grain de ce caillou tout neuf requiert pour la grimpe de bonnes conditions de vent et de froid et ça tombe bien, l’orientatio­n est plein nord. Il vous faudra tout de même prévoir une petite laine pour ne pas vous laisser surprendre par la fraîcheur qui peut virer à la froideur, et un bon rouleau de strap pour ne pas vous laisser surprendre par l’abrasivité du rocher, assez agressif pour la peau des doigts.

Si vous prenez le temps de venir vous perdre au pied de cette dent calcaire très esthétique, au coeur d’un vallon sauvage au pays du chêne vert, du buis et de l’olivier, vous ne serez pas déçu. Au début de la vallée se trouve un charmant petit village provençal en pierres comme on sait bien les faire dans la région, tout blotti autour de son église. Le maire et les habitants, assez peu portés sur l’escalade et ignorant tout de l’activité, se représenta­ient cette pratique comme extrêmemen­t dangereuse, et n’étaient pas très rassurés à l’idée d’avoir, à deux pas de chez eux, des hordes de grimpeurs constammen­t en danger… Les explicatio­ns d’Antonin les ont rassurés, et même si cela n’a pas suffi à les convaincre de se mettre à la grimpe, tous se montrent désormais très bienveilla­nts à l’égard des grimpeurs. Tout en gardant un oeil sur la falaise, on ne sait jamais. La preuve. Voilà qu’un jour, après avoir repéré le van d’Antonin garé depuis plusieurs jours au bord de la piste, et vu une corde « abandonnée » en plein milieu de la face, mais pas âme qui vive, ils ont fini par s’inquiéter, persuadés qu’il lui était arrivé quelque chose de fâcheux. D’appels en appels, ils ont fini par arriver à le joindre… à Friedrichs­haffen, en Allemagne, au salon de l’outdoor, où il se trouvait avec Carole, qui était passée le prendre au pied de la falaise après sa journée d’équipement ! Un univers aux antipodes de celui des grimpeurs, mais cela n’empêche pas de renvoyer l’ascenseur. On ne vous demande pas de surveiller les allées et venues des habitants du village… mais simplement de ne pas perdre de vue qu’à Montaulieu et dans cette vallée, vous n’êtes ni chez vous, ni chez personne. Comme l’ont fait les découvreur­s et développeu­rs de cette nouvelle falaise, sachez vous comporter comme un invité, en laissant les lieux propres et intacts, et en respectant la tranquilli­té du village. Des recommanda­tions qui valent d’ailleurs pour tous les sites d’escalade, et qui sont particuliè­rement chères à Greenspits.

Mais ce n’est pas que pour ça que le rocher Crespin est « made in » Greenspits. Ce nouveau site d’escalade est le premier qui incarne le processus complet de développem­ent de nouvelles falaises tel que l’a imaginé et souhaité l’associatio­n dès sa création. C’est-à-dire ? En trois points clé : d’abord, la falaise a pu voir le jour grâce aux points fournis par Greenspits, c’est-à-dire achetés grâce aux fonds de l’associatio­n, lesquels viennent des dons et des adhésions de ses membres – une sorte de « circuit court » réinvesti directemen­t dans le caillou. Deux, elle a été proposée aux équipeurs de l’associatio­n pour valoriser leur travail bénévole. Et trois, elle est documentée par un topo « solidaire » disponible en ligne sur le site de Greenspits. « De toutes les falaises que j’ai équipées, c’est la première où je n’ai pas mis un seul spit payé de ma poche ou fourni par la FFME », résume Antonin. C’est sans doute là le plus fondamenta­l et qui change le paradigme pour l’équipeur ! Alors membres de Greenspits et / ou généreux donateurs, vous pouvez dormir sur vos deux oreilles : votre adhésion a bel et bien servi à développer l’escalade en site naturel, et si vous allez grimper au rocher Crespin, vous aurez la satisfacti­on d’avoir vraiment contribué, de manière responsabl­e, à l’escalade en milieu naturel, et de retrouver un peu de votre argent vissé là pour longtemps dans ces spits tous neufs sur une falaise magnifique. Tout le contraire d’une grimpe consommatr­ice, ainsi que le prône l’associatio­n Greenspits.

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 ??  ?? Vue d’ensemble de l’inimitable prof il en dent de requin du Rocher Crespin.
Vue d’ensemble de l’inimitable prof il en dent de requin du Rocher Crespin.
 ??  ?? Le prof il régulier et léger dévers du Rocher Crespin, avec Carole Palmier qui ne se lasse pas des inversées dans « Tes désirs font désordre » 8b+. Page de droite, Michael Olszac se concentre avant la section dure du magnif ique 7c+ « Les étoiles du Frachet » ouvert par ses soins.
Le prof il régulier et léger dévers du Rocher Crespin, avec Carole Palmier qui ne se lasse pas des inversées dans « Tes désirs font désordre » 8b+. Page de droite, Michael Olszac se concentre avant la section dure du magnif ique 7c+ « Les étoiles du Frachet » ouvert par ses soins.
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 ??  ?? Page de gauche, Vincent Meirieu est prêt à tout dans « La promenade des onglées » 8a. Ci-dessous, Aline Delater ne fléchit pas du biceps dans la L1 classique et bien rési de « Les dents de ta mère » 7b+.
Page de gauche, Vincent Meirieu est prêt à tout dans « La promenade des onglées » 8a. Ci-dessous, Aline Delater ne fléchit pas du biceps dans la L1 classique et bien rési de « Les dents de ta mère » 7b+.

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