EN ROUE ET EN CORDÉE
VÉLO, GRIMPE ET SLACKLINE À TRAVERS L’EUROPE
Ils sont partis de Venise pour rallier Léonidio à bicyclette : Maxime Poirier et Clément Brillault nous racontent leur voyage de grimpe, vélo et slackline à travers l’Adriatique et le Péloponnèse.
En f in d’été 2018, Maxime Poirier et Clément Brillault ont décidé d’enfourcher leur bicyclette pour traverser l’Europe en quête d’escalade ; en route pour l’aventure !
L’escalade invite au voyage et à la fréquentation de sites naturels exceptionnels. Mais il est paradoxal pour des passionnés de grands espaces d’aller dans ces endroits par des moyens de déplacement participant à leur destruction. La solution est simple, pédaler et grimper, réduire son impact à une empreinte de pneu sur un chemin poussiéreux et quelques traces de magnésie sur le rocher. S’extirper de notre cocon d’acier et vivre dans le dehors, à la rencontre des gens et des lieux.
Le voyage débute le 9 septembre 2018 lorsque nous débarquons à l’aéroport de Venise. Nous prenons la direction du Nord, vers la ville de Trieste. Les bornes s’enchaînent, dans une lagune très plate, parfaite pour apprivoiser nos vélos, Joshua et Livingston. L’envie de grimper nous démange, alors nous traçons notre route à vive allure. C’est notre première aventure à vélo pour tous les deux et il faut un peu de temps pour rentrer dans l’état d’esprit stoïque et persévérant propre aux voyages à mobilité douce. Dès le deuxième jour nous rejoignons la côte Adriatique du Nord, fini les lagunes, le paysage change et du rocher apparaît, alléluia. Mais il fait très chaud, plus de 30 degrés à partir de 10 heures du matin. Alors nous nous réfugions au sein des terres et des forêts de la province de Trieste. Un retour à notre tribalité primaire dans la Grota Caterina qui nous héberge le soir même. Enfin du rocher, de quoi fixer une slackline et de beaux projets pour les jours à suivre. De voyageurs horizontaux nous devenons explorateurs de la verticalité. Nous sommes impressionnés et parfois intimidés par le rocher que nous trouvons face à nous, d’abord dans la Grota Caterina, puis sur les falaises du village slovène d’Osp, et enfin, depuis hier non loin du village croate de Buzet, dans le joli Buzeti Kanjon. Mention spéciale pour cette dernière destination, parfaite pour l’été, au frais, peu fréquentée, et comprenant des voies magnifiques dans le sixième et septième degré.
À Buzet, nous tournons le regard vers les hauteurs des falaises, gardant un oeil attentif pour repérer d’éventuelles lignes à tendre. Une rupture dans la continuité de la falaise et quelques arbres qui ont l’air costauds attirent notre attention. Après un rapide repérage, nous nous lançons dans l’installation de la première highline du voyage, peut-être aussi la première de ce canyon ! Deux heures plus tard, Clem pose le pied sur 45 mètres de bonheur et de sensations. Notre corde d’escalade fait office de back-up et nous utilisons nos serviettes, sac à corde, pantalons pour protéger nos sangles statiques qui font office d’élingues. Au loin nous voyons la vieille ville fortifiée de Buzet, nichée au sommet d’une colline. Somptueux. La complicité se crée entre nous deux, les manipulations se fluidifient et la confiance se noue, solide comme un double huit avec noeud d’arrêt. Pendant ce temps, Joshua et Livingston sont dissimulés dans un sous-bois avec le reste de nos affaires. Malgré les lieux peu fréquentés, nous sommes très prudents et préférons dissimuler nos vélos et nos affaires. Plus le voyage avancera, plus nous serons détendus quant à la crainte de se faire dépouiller lorsque nos compagnons sont hors de notre vue.
Après notre premier vrai col culminant à 922 mètres, six kilomètres de montée à 10 % de moyenne, une folle descente s’étire devant nous. Et c’est en trombe que nous déboulons dans Rijecka. Nos lourdes sacoches, ennemies de nos montées, deviennent des alliées pour prendre de la vitesse tout en stabilisant le vélo. Au programme de la soirée, coucher de soleil et baignade dans l’eau salée de l’Adriatique ! Deux cents kilomètres salvateurs pour le repos de nos doigts nous séparent de notre prochaine destination de grimpe.
En deux étapes, nous rejoignons Starigrad, la ville croate située juste à l’entrée du parc national de Paklenica. Nous découvrons un site d’escalade majeur du pays, composé d’un rocher calcaire qui tient définitivement
toutes ses promesses. La face nord d’Anica Kuk, gravie par les voies Jenjavi et Klinaura, aura réellement marqué nos esprits pendant ce séjour. De gigantesques rampes déversantes et positives se croisent et façonnent un aspect déroutant. Proche du sommet des cannelures parfaites d’un gris profond, ciselées par le travail d’orfèvre de l’érosion, coiffent cette masse de calcaire tels des draps de soie.
Nous reprenons les vélos sous de fortes rafales de vents qui ne viennent pas entamer notre bonne humeur. Notre cordée faite de fibre textile en nylon devient alors aérienne, créée des flux d’air et d’aspiration. Joshua et Livingston roulent côte à côte et nous controns à tour de rôle le vent, protégeant l’autre des rafales. L’arrivée à Split nous déplaît. De gros buildings, des camions et des usines pour seuls décors. Sur un coup de tête nous décidons alors de filer dans les hauteurs pour rejoindre une belle falaise à 7 kilomètres de l’entrée de Split : Markezina Greda. Magnifique barre rocheuse qui rappelle Ceüse en France, elle domine le village de Klis et son château médiéval. Adam Ondra y était le jour précédant notre arrivée pour grimper dans des niveaux qui dépassent l’entendement. Le calcaire est pur et nous restons deux nuits au pied de ce site. Lorsqu’un orage éclate, l’inclinaison de la paroi est telle que les gouttes tombent à dix mètres de notre campement. Nous dormons à poings fermés sur nos matelas à même le sol, protégés du ciel par la Terre.
Le jour suivant, nous pédalons jusqu’à la péninsule de Marjan qui est seulement à quelques kilomètres du centre historique. À cet endroit, un mur vertical, voir déversant par endroits se jette dans la mer et nous pouvons pratiquer du psychobloc. C’est absolument génial, nous en profitons à fond, et grimpons jusqu’à s’écorcher les doigts et se péter les avant-bras. Le fond semble très proche tellement l’eau est claire mais il y a souvent trois à quatre mètres de profondeur, donc aucun risque lors des chutes. Au loin les innombrables îles dalmates ne semblent pas perturbées par le ballet incessant des voiliers, des ferrys et des bateaux touristiques.
Omis est une destination d’escalade que nous attendons avec impatience. Sur le topo, il y a beaucoup de secteurs souvent très faciles d’accès, donc idéals pour nos approches vélocipédiques. La ville est située à l’embouchure de la rivière Cetina, coincée entre des pics rocheux qui se dressent de toutes parts. Malheureusement, la météo qui nous avait relativement épargnés depuis le début de notre voyage se détériore dès le deuxième jour, nous obligeant à chercher refuge dans un camping. Nous en profitons ainsi pour planifier l’itinéraire qui nous mènera à travers les Balkans. Pour ceci, Komoot est une application géniale qui nous permet de savoir avec précision les dénivelés d’un trajet avec les degrés de pente que nous aurons à franchir, ainsi que le type de route (asphalte, chemin… etc.). La version payante permet d’avoir les fonds de cartes hors ligne. Donc en complément nous utilisons Maps.me, application bien connue de tous les voyageurs grâce à ses cartes gratuites et son interface efficace.
Au détour d’un virage nous découvrons les sommets du massif de Biokovo qui culminent à plus de 1 200 mètres. Ils sont en partie dissimulés par d’épais nuages orageux qui confèrent immédiatement un caractère alpin et mystique à nos futurs objectifs. Le premier est le mont Bukovac, que nous souhaitons atteindre par Dalmatinski San, une voie de 600 mètres de long, difficulté maximum 6b. Écureuils de l’aube, nous dissimulons soigneusement nos précieuses sacoches dans un fourré aux abords du hameau de Topici, non loin des vélos aussi solidement encordés l’un à l’autre que le seront leurs propriétaires pendant la journée. L’approche est avalée à toute vitesse et très vite nous nous lançons dans les premières longueurs. L’escalade est grandiose, le rocher est excellent et l’équipement impeccable. Les longueurs filent à toute vitesse dans un niveau assez abordable. C’est incroyable, à chaque fois que nous nous retournons, un panorama somptueux s’étend derrière nous dont l’étendue s’amplifie au fur et à mesure que nous nous rapprochons du sommet de Bukovac. L’infinie beauté de l’Adriatique vue du ciel.
Au pied du Mont Mali Borovac, réveil aussi tôt que la veille avec cette fois une longue approche à vélo. Six kilomètres et 700 mètres de dénivelé positif, dont les trois derniers kilomètres sur une piste affreuse aux galets roulants qui déstabilisent Joshua et Livingston. Nous pestons pendant une heure trente avant d’arriver au départ du sentier. Et nous continuons de monter, cette fois à pied en remontant les pierriers instables. La voie à laquelle nous nous attaquons promet un véritable voyage. Borntolive remonte au milieu de la
face sud de Mali Borovac. Longueur 400 mètres et difficulté maximum 7b. Le crux de la voie consiste à passer un petit toit et toute la difficulté réside dans le rétablissement car les seules prises à disposition sont une petite épaule main droite, bien franche mais complètement verticale et une atroce main gauche inversée qui permet de sortir les pieds et d’atteindre très haut une autre inversée tranchante cette fois pour la main droite. Après quelques tentatives infructueuses je suis tout proche d’enchaîner la longueur, mais je dois finalement m’avouer vaincu. Il reste encore 330 mètres d’escalade, il faut avancer ! Autour de nous les paysages sont aussi splendides que la veille et nous avons l’impression d’être infiniment hauts, en lévitation au-dessus de la ville de Makarska.
En redescendant, nous sommes fatigués, mais bien fiers de ce doublé dalmate qui marque un point final au chapitre escalade de la Croatie.
De longues étapes de vélo nous attendent alors pour traverser les Balkans. Nous avons la chance d’être à deux, de condition physique similaire et capable chacun de se caler sur le même rythme. Nous nous appuyons souvent l’un sur l’autre lorsqu’une baisse de rythme se fait sentir, ce qui nous permet peut-être de faire plus de distances qu’en solitaire. Alors que les heures passent, une lutte acharnée s’opère au sein de notre corps, une guerre de tranchées qui oppose notre motivation et la lassitude inexorable qui gagne nos jambes. Il faut faire preuve de résilience, accepter et tirer parti des arrêts imprévus pour se reposer : casse, crevaison, recherche d’itinéraire… etc. Nous parvenons à bien récupérer aussi dans les longues descentes de plusieurs kilomètres. C’est au niveau de la ville de Bar au Monténégro que nous tirons notre révérence à Mademoiselle Adriatique, et filons vers l’intérieur des terres en direction de l’Albanie. Toujours entourés d’oliviers centenaires, nous réalisons que nous sommes maintenant dans les Balkans. Le passage de la frontière entre le Monténégro et l’Albanie se fait sans encombre et cet ancien pays communiste nous accueille à bras ouverts. Fini le tourisme de masse et les villes-camping mortes des côtes Dalmates. L’Albanie grouille de vie, le son du Muezzin résonne pendant notre pause-déjeuner, des enfants nombreux et tapageurs apparaissent soudainement et nous lancent de vives salutations sur notre passage. Des troupeaux de moutons ou de dindons croisent d’antiques charrettes tirées par des mules désoeuvrées, tandis que des Mercedes de toutes les générations vrombissent sur le macadam.
Parfois les routes deviennent cabossées et l’inévitable se produit : une chute pour Joshua qui entraîne un porte-bagages à réparer, une fixation de sacoche qui casse pour Livingston. À chaque fois les Albanais nous aident en nous prêtant des outils pour remettre nos vélos en état. Et nous repartons de plus belle, avec l’énergie de la solidarité, cap vers l’est, droit vers les montagnes.
Nous voguons efficacement sur de belles routes albanaises, peu fréquentées, ouvrant grands les yeux face au spectacle d’une ruralité dépaysante. Un pont effondré nous oblige à traverser une rivière à gué et soudainement la route devient une piste striée d’ornières aux galets roulants. La douce musique lubrifiée de nos roulements nettoyés devient un tintamarre de sons déchirants. Tout s’entrechoque dans les sacoches, la chaîne claque sur le cadre et des galets viennent cogner lourdement sur nos manivelles. Et nous, pauvres ères, espérons à chaque virage retrouver une surface praticable. Afin de sauvegarder au maximum l’intégrité de Joshua et Livingston nous réduisons la voilure, posons le pied à terre et poussons laborieusement nos barcasses durant les 20 kilomètres que dure le calvaire. Je m’interroge intérieurement sur cette obstination têtue qui nous emmène naviguer au près, dans de tels vents contraires. Puis, inévitablement la tempête se calme les vents s’apaisent et en fin de journée nous retrouvons les alizés parfaits d’une route en asphalte, moelleuse et douce sous nos roues comme la moquette d’un hôtel de luxe.
Le soir nous nous arrêtons dans une auberge chaleureuse de bord de route. Affamé, je fais une entorse à mon régime végétarien pour goûter le tavë kosi spécialité locale de la région d’Elbasan, de l’agneau mijoté dans une sauce au safran et au yaourt caillé. La salade de crudités, agrémentée d’huile d’olive et de fromage de brebis qui accompagne le plat est exquise. Puis, nous
posons notre tente dans le jardin du restaurant, avec la bénédiction de notre hôte, stratégie de bivouac efficace qui sera répétée les nuits suivantes.
Les vélos font preuve d’une résistance remarquable et la frontière grecque se dresse enfin devant nous. De nouveau dans l’UE, petite sensation de retour chez soi, monnayant à nouveau avec ces bons vieux euros, et sans frais de roaming sur le téléphone.
Doupiani, Sourloti, Pixari, Helliger Geist, Bantovas, Alpha Spur… Il existe d’innombrables sommets aux Météores. Ils ont tous leur forme propre et leurs particularités bien différentes. L’un se dresse tel un aileron de requin titanesque, un autre ressemble à un gruyère fondu tellement il est parsemé de grottes et de trous… Tous offrent le même rocher, conglomérat hallucinant composé de galets liés par un ciment sableux. Chaque ascension nous invite à la contemplation face aux monastères érigés depuis plusieurs siècles.
Pour se hisser sur ces pics, il faut puiser dans nos ressources mentales. Ce poudingue si particulier est aussi extrêmement fragile. La progression est délicate, certains galets font la taille d’un ongle, et d’autres sont plus gros que des pastèques, souvent de forme ovoïde. Ainsi, nous grimpons sur des oeufs au sens propre comme au figuré. Les points d’assurage sont souvent espacés et il faut parfois s’élever plusieurs mètres au-dessus de la dernière dégaine avant de pouvoir clipper la suivante, ce qui rajoute une dimension psychologique éprouvante. Et l’assureur n’est pas en reste. À chaque mètre gagné sur la paroi, la tension augmente imperceptiblement jusqu’à la pause salvatrice d’une protection qui provoque un soupir de soulagement d’un bout à l’autre de la cordée… puis ça recommence.
Malgré toute la beauté du lieu, nous restons fidèles à notre slogan favori : « le mouvement c’est la vie et la vie c’est le mouvement », et reprenons la route vers le sud. D’autant plus qu’un secteur réputé nous attend à 50 kilomètres des Météores, juste à côté du petit village de Mouzaki. Cette belle falaise nous offre de superbes couennes sur un calcaire compact. C’est tellement différent du conglomérat de ces dernières semaines, et il faut se réhabituer ! Au pied du mur, les grimpeurs locaux ont construit un refuge qu’ils rendent accessible et gratuit pour tout le monde. Le style d’escalade est très classe, assez physique, les cotations sèches, et la peau de nos doigts se retrouve rapidement dans la zone rouge. Il faut nous reposer, se refaire tranquillement en pédalant et quittons ainsi, à regret, cette petite pépite de la Grèce centrale.
Au cours d’une longue descente nous explosons notre record de vitesse pour le pousser à 85 km/h ! Joshua et Livingston roulent mieux que jamais et volent à travers la Grèce. Nous déboulons vers Athènes, effleurons sa banlieue et l’esquivons sans s’attarder pour reprendre un cap au sud. La mer est cette fois sur notre flanc gauche, nous sommes au sud du Pirée, droit devant nous les portes du Péloponnèse, territoire de nos prochaines destinations d’escalade.
On ne présente plus Leonidio tant le site est devenu incontournable depuis quelques années. Pas loin de 2000 longueurs au total, le rocher est souvent d’un rouge pur qui prend des nuances sanguines hallucinantes. En ce mois de novembre, les rues, les supermarchés et les terrasses des petits troquets grecs sont fréquentés par de nombreuses personnes portant des doudounes colorées, des chaussures d’approche aux pieds… Bref, on ne croise que des grimpeurs venant des quatre coins du globe. Chaque soir, au-dessus de la ville, la formidable falaise de calcaire rouge de Kokonivrachos luit tel un dragon de légende sous les rayons du coucher de soleil. Dans les rues de Leonidio, les scooters sont garés la clé sur le contact, tout le monde semble se connaître, il y règne une atmosphère paisible qui pousse à la confiance et nous nous inquiétons très peu de vols éventuels. Nous optons ainsi pour une itinérance locale, rôdeurs-cyclo-grimpeurs autour de la ville posant nos sacoches dans les champs d’oliviers ou les terrains vagues à proximité des marches d’approche, rarement longues, qui amènent aux falaises.
Ce qui fait l’intérêt de Leonidio, c’est la variété des styles de rocher : de longues couennes de 40 mètres sur des trous, des voies typées bloc courtes et intenses, et bien sûr ces dévers très inclinés boursouflés d’interminables colonnettes qui remontent jusqu’au relais. Tout ceci est d’une telle qualité que les sites majeurs sont victimes de leur succès : des secteurs d’escalade comme Mars, ou Elona sont si beaux que certains jours il y a plus de grimpeurs au pied du mur que de voies disponibles. Alors nous n’hésitons pas à nous éloigner vers des secteurs plus reculés comme La Maison des chèvres ou vers Kyparissi.
Nous faisons de belles rencontres parmi les passionnés qui fréquentent les lieux. Beaucoup viennent en van, d’autres avec des emplois du temps plus resserrés débarquent en avion et louent une voiture à l’aéroport d’Athènes. Une douce monotonie s’installe entre les journées de grimpe et celles de repos, dans laquelle la pluie et l’humidité viennent s’immiscer, bousculant parfois les plans du jour ou du lendemain.
Philippe Mussato est venu à Leonidio pour y laisser son itinéraire : Helonas (la voie des tortues). Située sur la grande face de Kokkinovrachos, sa ligne remonte un pilier gris qui nous amène dans une grande grotte à flanc de falaise pour nous faire repartir dans des toits monstrueux et du crépi rouge piquant. Le tout fait 200 mètres de long dans une difficulté soutenue autour du 6c/7a. C’est un vrai bonheur de retrouver la grande voie, les dernières datant du mois précédent dans les Météores ! Et quelle délectation aussi de rechercher son cheminement sans suivre des prises toutes blanchies de magnésie, comme c’est le cas sur
les couennes très fréquenté es de la vallée. Mentalement, c’est assez dur à gérer car le rocher neuf à tendance à se casser et nous ne souhaitons surtout pas faire tomber des rochers car des dizaines de personnes sont une centaine de mètres en contrebas, en train de profiter des couennes de cette même face, sans casque. La sortie de la grotte, ultra-aérienne et déversante, nous laisse un souvenir impérissable. La magie opérée par les falaises lunaires de Leonidio créé un curieux souffle sur nos coeurs qui éteint la flamme du voyage. Et finalement le voyage en roue et en cordée arrive à son terme à l’approche des 3 000 km à vélo. Chacun de notre côté, nous rentrons en France, en van, avec des amis formidables rencontrés sur place. Il y a plusieurs façons d’appréhender les derniers jours d’une aventure : tenter d’en tirer le maximum jusqu’au bout quitte à affronter la fatigue et risquer la blessure, ou alors se détacher du moment présent, se laisser doucement happer par les projets futurs et éteindre peu à peu la flamme du voyage comme on réduit celle d’un réchaud.
Au-delà des souvenirs grandioses de ces mois de grimpe et de vélo, de l’expérience accumulée dans les disciplines pratiquées, nous en avons appris énormément sur ce qui nous affecte négativement et sur ce qui nous rend heureux. Ainsi, le corps et l’esprit fortifié, nous nous sentons capables de nager quelques brassées supplémentaires dans le fleuve de l’existence pour se positionner plus loin des tumultes, plus proches du bonheur. N’est-ce pas là, le sentiment ultime d’une expérience réussie ?