LE GMHM OUVRE UNE VOIE DE RÊVE SUR LES PAROIS DE MADAGASCAR
RÉCIT D’UNE OUVERTURE SUR LES IMMENSES PAROIS MALGACHES
Cet article, le Groupe Militaire de Haute Montagne (GMHM) l’a voulu celui d’un homme, Max Bonniot, qui, alors qu’il avait déjà écrit le texte de ce sujet, a trouvé la mort lors d’une course de mixte dans le massif du Mont Blanc. En accord avec le GMHM, Grimper a pensé qu’il s’inscrivait dans un hommage digne que de préserver ces quelques lignes relatant l’ouverture d’une somptueuse grande voie de 450 m à Madagascar. Elles permettront au lecteur d’apprécier la plume d’un alpiniste grimpeur qui, non content de son aisance sur les montagnes, avait aussi un véritable talent pour l’écriture.
Le sergent Max BONNIOT s’est envolé en Montagne le 20 novembre 2019 avec son compagnon de cordée, Pierre LABBRE, alors qu’ils tentaient l’ascension de la Bonington en face Nord-ouest de l’Aiguille du Plan. Âgé de 31 ans, Max avait intégré le GMHM en 2013 et obtenu son diplôme de guide en 2017.
Parmi une liste impressionnante de réalisations, on peut citer l’ascension du Shishapangma, premier 8 000 en style alpin au Groupe, l’ascension hivernale de la voie Harlin en face Nord de l’Eiger, la première répétition de la cascade de glace Fosslimonster en Norvège, une répétition de la voie du Compresseur au Cerro Torre en Patagonie, ou encore l’enchaînement de son premier 8C chez lui à Briançon en 2018. Mais au-delà de ce palmarès, c’est son état d’esprit et ses qualités humaines que nous garderons à jamais dans nos mémoires. Amoureux de la montagne, il avait à coeur de transmettre sa passion. Maniant avec autant de dextérité la plume que le piolet, la preuve avec les quelques lignes qui suivent, il savait retranscrire avec poésie son esprit d’aventure et sa volonté de confrontation avec l’inconnu. Max, avec Pierre vous avez maintenant rejoint les alpinistes et grimpeurs qui veillent sur nous tous. Continuez à bien défourailler là-haut !
Le perfo vient tirer la savane de sa torpeur exotique. Le crissement de la machine dénote et détonne. Crispé au Festool, le grimpeur s’arcboute. En écho au murmure de la brousse, quelques râles puis une plainte poussive, presque désespérée. La proximité sonore avec celle de son proche cousin, le lémurien de Madagascar, est intrigante. Une famille de ces singes aux queues rayées se fige dans la palmeraie. Leur inquiétant regard jaune se lève vers le mur. Pour un instant les rôles du Safari s’inversent brusquement… En réponse à cet appel lancé a qui veut l’entendre, quelques encouragements des étages inférieurs, bien humains ceux-là. À sept dans la face, tout le monde assiste au spectacle. Les quelques prises verticales qui l’entourent n’autorisant aucune pose de crochet, Jacques Olivier doit tenir cette vilaine arquée verticale de la main gauche. Le futur chef du GMHM s’impatiente de voir la mèche s’enfoncer de la bonne profondeur dans le granit massif. Au terme d’un ‘run out’ douteux, bloqué dans son ascension par un passage trop hardi, dans l’impossibilité de désescalader la poussée de pied précaire qu’il venait de réaliser, il lui faut se débrouiller pour poser un spit, et vite ! Ses doigts se font moites, le perfo martèle par intermittence. Le rocher noir est agressif et compact ; il découpe un peu plus sa peau à chaque instant. À mesure qu’il délaye ses avants bras gorgés d’acide, son gainage se détend. Une petite perte d’équilibre le sanctionne immédiatement. Enrayée de justesse, l’hypothèse de la chute fait son effet ! La frénésie d’adrénaline qui s’ensuit s’envole dans un nuage de pof. Son avant-bras gauche s’ouvre lentement, son corps est tendu pour forcer sur la machine. Dans un râle le crissement cesse enfin, il clippe le perfo au baudrier puis il saisit un goujon et l’enfonce au marteau. La mèche brûlante lui picote les mollets. Enfin vaché dans la plaquette,
c’est un soulagement guttural, victoire de l’inarrachable goujon de 12. Ouf… Dans la brise chaude et régulière, l’odeur de la brousse inonde la vallée du Tsaranoro. Le vent sec emporte avec lui les cris lointains d’un gardien de zébu et le beuglement de ses bêtes. Plus au nord des villageois consolident avec soin leurs rizières avant l’arrivée de la pluie. L’ambiance sonore classique de la brousse reprend ses droits et la famille de lémuriens s’éloigne, jusqu’à la prochaine envolée. Toute l’équipe se relaie depuis quelques jours dans la face pour ouvrir une ligne, projet que nous avons voulu commun. Équiper, hisser, fixer les cordes statiques, peaufiner un détail qui rendra la voie plus agréable pour une répétition future devient un leitmotiv. Ces tâches se permutant au fil des jours, nous découvrons progressivement toutes les facettes de l’ouverture en grande voie. C’est une expérience nouvelle pour chacun, un voyage, certes imposé par notre hiérarchie, mais qui nous fédère. Afin de communiquer sur le franchis
sement vertical au sein des armées, notre général nous a proposé l’Afrique. Deux projets ont émergé alors, motivés par les grimpeurs du Groupe. Le calcaire marocain contre les grands murs malgaches. Une programmation décalée nous permet finalement de partir à Madagascar au début de l’été austral. En tant que grimpeur, il faut donc trouver une parade, car qui n’a pas déjà éprouvé le sentiment, disons mitigé, de l’escalade plein cagnard en été ? Qui n’a pas fait l’erreur de s’engager dans l’Escalès pour une journée trop chaude en fin de printemps ? Les pieds qui brûlent dans les chaussons, la peau des doigts qui roule, pâteuse et grand soleil. Dans la vallée du Tsaranoro comme ailleurs en été dans cette partie du monde il fait chaud, et viser les parois a l’ombre nous permet de réduire notre choix pour l’ouverture. Hémisphère austral oblige, il faut viser une face sud, ce sera celle du Tsaranoro Atsimo. Ce voyage, comme nous l’abordons, est d’abord le moyen d’aller chercher nos limites, d’un spit à l’autre, sur les dalles raides du coin. Mais ouvrir a sept, c’est en premier lieu s’accorder sur une éthique commune, à défaut de savoir ce que nous rencontrerons in fine. Après discussion avec le référent local, Gilles Gauthier, et la recherche d’informations sur le style adopté ici pour l’ouverture, nous tombons d’accord. Équiper du bas nous attire bien que nous n’en connaissions encore pas les subtilités. Doser l’engagement voire l’exposition dans chaque longueur, trouver la ligne logique, placer les points aux bons endroits, utiliser quelques rudiments d’escalade artificielle. Des interrogations qui restent encore en suspens mais une excitation qui grandit à mesure que le mur se raidit. Nous décidons ensemble que forer un trou pour y placer un crochet serait une entorse. D’une part cela signifierait certainement ouvrir une section qui ne passe pas en libre, donc moins intéressante pour les répétiteurs. D’autre part nous sommes 7 et si l’un d’entre nous ne passe pas, peut être que les autres le pourront. La logique de groupe prend ici son sens devant la réalisation individuelle. Le profil du mur est très hétérogène, tant par le style que par les difficultés probables, ce qui permet a chacun de trouver sa place. Une première partie facile puis des dalles qui se redressent en un beau mur légèrement déversant. Plus haut du rocher travaillé en gros volumes et finalement une inclinaison qui décroît jusqu’au sommet. Mais c’est avant tout la chance qui dicte une ascension comme celle-ci. Trouver une ligne logique qui passe en libre dans un mur inspirant, voilà l’objectif. On comprend vite, au vu de la compacité du caillou, que ce rêve peut rapidement devenir inaccessible. Les journées s’enchaînent, rythmées par le perforateur et les takés. Parfois l’orage s’invite en torrents impressionnants. Prenant refuge dans une grotte ou fuyant rapidement sur les cordes fixes, nous rentrons finalement tous les soirs au camp, où nous retrouvons l’énergie sans faille de Fali, jeune grimpeur travaillant comme serveur là où nous avons le plaisir de séjourner. Il nous inspire chaque jour par son énergie et sa motivation extrême pour la grimpe. L’énergétique « c’est bon ça ! » qu’il profère a chaque détour de phrase, du matin au soir se traduit en malgache par « Tsara » ou « Soa ». Une double dose qui nous suit au quotidien, des marches d’approche aux cris de soulagement qui suivent la pose d’un spit. Le tout au grand dam de notre admirative famille de primates, toujours plus angoissée par nos agitations diurnes. Nous nous fourvoyons une journée pour une longueur dans une impasse lisse, puis découvrons finalement une incroyable fissure bouchée comme issue. On y grimperait presque comme au Yosemite, la chance nous soutient, malgré deux petites entorses à notre éthique. Le septième jour nous nous retrouvons finalement au sommet tous ensemble, avec la satisfaction de voir l’horizon s’élargir. Il nous reste le meilleur, pouvoir enfin s’activer à la libération de notre voie. Nous la préparons par section, brossant les bossettes de leur lichen pour découvrir les mouvements ou un picot salvateur. Toutes les sections sont enchaînées, il reste une ascension à la journée pour transformer l’essai. Quatre grimpeurs du groupe rentrent en France pour d’autres objectifs, nous restons avec Jako et Léo pour une semaine supplémentaire. J’accompagne Léo pour la cerise, qu’il réalise sans anicroche. Pas l’ombre d’une chute ne viendra le taquiner pendant les 450 mètres d’escalade que propose notre ligne. La satisfaction de voir sa belle démonstration d’escalade toute en finesse me motive. Je m’y risquerai quelques jours plus tard, laissant dans ma tentative une longueur non enchaînée, le crux de notre voie, et pas mal de peau sur les prises. Qu’à cela ne tienne, avoir participé à l’ouverture et pris plaisir dans l’exigence de cette escalade résolument technique m’aura porté dans le plus pur style malgache : les doigts broutés et les pieds secoués. Une double dose somme toute classique dans le coin. « C’est bon ça » crié deux fois dans la savane, notre belle aventure de groupe dans « Tsarasoa » !