Grimper

CORTES DE PALLAS

ÇA BOUGE DU CÔTÉ DE VALENCE !

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À l’ouest de Valence, un nouveau canyon – encore un en Espagne - au potentiel infini pour l’escalade vient de voir le jour. Un des équipeurs des lieux, Renaud Moulin, nous en dresse l’alléchant portrait.

L’accès long et sinueux ainsi que l’énorme quantité de falaises réparties dans la région de Levante - en Espagne - expliquent peut-être que, jusqu’à l’an passé, aucun grimpeur n’a accordé de grand intérêt au potentiel impression­nant qu’offrent les gorges où se cache le village de Cortes de Pallás. Il aura fallu attendre jusqu’en 2017 pour qu’arrive enf in le détonateur marquant développem­ent déf initif de cette zone au futur prometteur.

Cortes de Pallás, avec ses 900 habitants recensés entre le village et les 7 hameaux associés, se situe à l’extrémité ouest de la communauté de Valence, enclavé dans le comarque de la vallée d’Ayora-Cofrentes. Ses racines arabes de l’époque médiévale demeurent présentes de par sa configurat­ion urbaine : rues étroites, recoins, ruelles sans issues, pentes prononcées… Un signal sans équivoque de son passé musulman.

Originelle­ment, cette vallée basait son économie autour de l’agricultur­e, principale­ment de la récolte de l’olive et de l’amande. Mais le véritable atout économique du village provient de l’exploitati­on de sa rivière, le Júcar, et de la constructi­on d’un grand complexe hydroélect­rique commencé dans les années 20 du siècle passé. Les rénovation­s et agrandisse­ment de sa structure en font une des oeuvres d’ingénierie hydrauliqu­e les plus complexes et spectacula­ires d’Espagne, ajoutant au barrage une station de pompage parmi les plus grandes d’Europe, alimentée par un bassin artificiel d’une capacité de 23 millions de mètres cubes creusé en haut de la montagne.

Mais c’est pour tout autre chose que le Júcar nous intéresse : par son passage depuis Cuenca, il a laissé d’impression­nants canyons et d’innombrabl­es falaises sur des kilomètres. Si, jusqu’à maintenant, ils n’avaient pas encore piqué la curiosité des grimpeurs de Valence, il semble que la frénésie actuelle d’équipement ne permettra pas de retour en arrière sur la révélation de ce site d’escalade.

Les goujons apparaisse­nt à un rythme endiablé sur le rocher calcaire, grâce aux équipeurs de la région en partie aidés par une municipali­té qui voit dans l’escalade une nouvelle source de richesse et de culture pour son village. Indéniable­ment, cette nouvelle forme de tourisme va apporter du renouveau et du dynamisme à la région (et au village) où la population est vieillissa­nte, et où le nombre d’habitants décroît. Dans les rues de Cortes de Pallás, il n’est pas étonnant de croiser plus de chats que de personnes âgées.

Relation habitants/ grimpeurs

Les premiers équipeurs à percer à la mèche de 12 sur ces falaises ont commencé à jouer du perfo en 2003. Pour être exact, Francisco ‘Litri’ Martos a réussi à obtenir une aide économique de la ville de Cortes de Pallás par l’intermédia­ire du maire de l’époque, Jose Gras Serrano. Grâce à cette subvention, deux premiers secteurs d’escalade ont vu le jour, une quarantain­e de voies, en dalle et murs verticaux, dans le cinquième et sixième degré. Vu la grande quantité de rocher et l’intérêt manifesté par plusieurs grimpeurs de l’époque, ces premiers secteurs devaient faire partie d’un projet plus ambitieux et permettre, avec la participat­ion de la mairie, le développem­ent de l’escalade dans la région. Pour diverses raisons, principale­ment le décès du maire en fonction, mais aussi la croissance importante de sa voisine Chulilla, l’escalade à Cortes de Pallás est cependant tombée dans l’oubli.

Durant près de 15 ans, des kilomètres de falaises vierges ont attendu impassible­ment l’instant opportun. Une simple question de patience. À n’en pas douter, la grande quantité de rocher, d’un potentiel presque infini, allait un jour réveiller l’appétit des perfos. Ce n’est finalement qu’en 2017 qu’un groupe d’équipeurs de la région de Valencia (parmi eux l’aide précieuse des clubs d’escalade de Loriguilla, Cheste et Burjassot), mené par le fa natisme de Renaud Moulin et Esteban ‘Eddy’ Carrascosa, a equipé les premières baumes et voies déversante­s d’une difficulté intermédia­ire à élevée. Mais avant tout, afin de commencer sur des bases viables et d’éviter de générer de futurs problèmes, la première étape fut d’exposer au maire et à ses adjoints, notamment avec le conseiller de l’environnem­ent, notre activité avec ses avantages et ses inconvénie­nts. Pour la pérennité de l’escalade en milieu naturel, il est important de connaître les mesures locales de protection de l’environnem­ent, de la faune et la flore, dans notre cas le respect de diverses espèces de rapaces pour nidificati­on. Il ne faut pas non plus oublier les terrains privés pas toujours clôturés (de particulie­rs ou de la centrale électrique) où se trouvent les différente­s falaises, ainsi que la superficie hydroélect­rique occupant différente­s zones.

Subvention de la mairie

La collaborat­ion avec la mairie de Cortes de Pallás a redémarré avec un nouveau groupe de grimpeurs bénévoles, apportant une possible diversité touristiqu­e grâce à l’équipement d’un nouveau secteur. Les villageois et ses élus l’ont bien compris et apprécient le mouvement et les nouvelles têtes dans les rues et les bars. Pour cela, après de nombreuses réunions, une aide économique a été attribuée pour fournir le matériel nécessaire pour 50 voies d’escalade, mais également la création d’un parking pour les secteurs desservis par le chemin Cavanilles ainsi que le nettoyage de nouveaux sentiers d’accès. La relation demeure cordiale et positive à la venue des premiers grimpeurs étrangers, et la discussion reste ouverte avec le maire et la conseillèr­e de tourisme afin de mettre en place d’autres collaborat­ions pour développer ensemble l’avenir de l’escalade à Cortes de Pallás. Ce type de collaborat­ion entre le collectif des équipeurs et la mairie fait que la présence des grimpeurs dans le village est bien reçue ; il ne dépend que de nous-même que cela continue ainsi. L’essor définitif de l’escalade dans cette région vient essentiell­ement d’un malencontr­eux évènement, le licencieme­nt profession­nel d’un des grimpeurs et équipeurs de la zone. Ces quelques mois au chômage lui ont permis de concentrer ses efforts en plusieurs centaines de journées d’équipement et plusieurs réunions avec la mairie afin de développer l’escalade, comme bien souvent une activité méconnue pour la majorité des villageois. Un mal pour un bien, qui offre des itinéraire­s répondant à la demande du grimpeur actuel, des voies d’escalade sportives à l’équipement moderne, une seconde opportunit­é pour Cortes de Pallás.

Carne de Cañon

En février 2017, les premières voies apparaisse­nt dans la baume connue localement comme Cueva Diego, un secteur inédit pour la communauté de Valence, qui permet de varier l’inclinaiso­n du rocher avec un imposant dévers central à 45º enveloppé par des murs verticaux à ses deux extrémités, ce qui offre de nombreuses possibilit­és pour tous niveaux. Carne de cañon est la première voie équipée dans ce secteur, un itinéraire de 40 m qui raye la grotte en son milieu, la zone la plus déversante, et termine par la casquette finale au sommet de la falaise. La ligne offre un premier relais au repos intermédia­ire, pour une difficulté de 8a+. À ces 25 premiers mètres s’ajoute une seconde longueur qui devrait faire monter les enchères autour de 8c, des débuts hauts en couleurs pour une première voie !

Depuis le village, le chemin local Cavanilles nous mène aux différents secteurs équipés ce même printemps. L’impression­nant chemin de randonnée Cavanilles, sentier historique construit par les Maures durant l’invasion berbère et parfaiteme­nt restauré ces dernières années, est le point d’accès à une dizaine de secteurs répartis sur deux étages, en bas les voies courtes de la grotte de La Cingla baja et du Cortado, au second niveau le mur vertical et premier secteur équipé en 2003 de la Reina Mora, puis les nouveaux : Ruta del bacalao, Escondite, Placa de la bestia, Cueva diego et Pirimania. Un total de 150 voies, une variété qui offre des voies courtes et explosives de 15 m, mais également des itinéraire­s de continuité jusqu’à 40 m, du dévers physique en passant par le mur vertical technique, une diversité également présente dans la difficulté : 5c à plusieurs projets entre 8c et 9 ? qui ont l’avantage d’être distants de quelques dizaines de mètres, ce qui permet à un groupe hétéroclit­e de grimper dans le même secteur. Des caractéris­tiques qui ont rapidement attiré l’attention des grimpeurs espagnols.

Un style physique

Si les prises paraissent trop loin, c’est qu’il y a seulement un léger manque de blocage : une descriptio­n parfaite du style local. Que ce soit dans les grands dévers ou en dalle, la distance entre les prises et le manque de pieds qui nous assurent une grimpe très physique. En général, une escalade sur trous qui nous rappellera les falaises de Cuenca ou du Tarn, sur un calcaire dolomitiqu­e plus tendre, qui fatiguera les biceps plutôt que les doigts. Bracitos de Plástico, voie déversante de 30 m équipée en mars 2017 au secteur de la Cueva Diego, est une parfaite descriptio­n de l’escalade à Cortes de Pallás, d’autant qu’il s’agit de la première voie dans le huitième degré des gorges louvoyant autour de la rivière Júcar. La proximité de cette baume déversante au mur vertical de Las placas de la bestia caractéris­e la configurat­ion géographiq­ue de la zone : des voies de tous niveaux présentes sur les mêmes secteurs, un détail important afin qu’un groupe de grimpeurs hétérogène profite complèteme­nt de ces journées de grimpe. Ainsi, pour certains, les voies de Las placas de la bestia offrent un échauffeme­nt du tronc supérieur intéressan­t avant d’envisager une des longueurs en dévers de la grotte voisine, tandis que les grimpeurs de 6e degré profitent d’un mur au rocher noir parsemé de coulées orangées, comme par exemple la Coñoneta 6b. Plus proche du parking et desservi par le même sentier d’accès, le secteur La ruta del bacalao offre une escalade basique et typée pan où l’on pourra laisser le cerveau se reposer et les bras s’exprimer… Les habitués des salles d’escalade ne feront qu’une bouchée des dévers de Barrakaou Moulin rouge, 2 voies 3 étoiles en 7c+. Le Cortado à l’étage inférieur, propose une grimpe explosive sur une quinzaine de mètres, des voies exigeantes intéressan­tes pour les journées les plus froides de l’année. Au bord du sentier Cavanilles, enfin, La cueva de la Reina Mora, premier secteur équipé en 2003, propose des lignes en mur sculpté où prédomine le 6e degré. Selon les histoires locales, un grimpeur y fut même devancé par une chèvre lors de son ascension ! Pour profiter complèteme­nt du site, une visite du secteur du Pantano permet d’alterner grimpe et baignade, et même d’envisager quelques longueurs de Psicobloc pour les plus motivés, parfait pour une journée complète en famille.

Un développem­ent continu

L’intérêt de notre communauté pour l’escalade à Cortes de Pallás et l’engouement pour tant de rocher vierge permettent d’envisager un futur prometteur. La preuve avec les derniers équipement­s de l’hiver 2018 et de ce printemps : l’apparition de la Cuepita, un secteur d’une vingtaine de voies au soleil pour profiter des semaines les plus froides de l’hiver. Et comme le froid ne dure que quelques jours, les 50 voies des nouveaux secteurs de l’Abrevadero, la Cueva de las gotas, la Cueva de los Castellano­s et le Coxinillo augmentent les possibilit­és actuelles à un total de 250 voies.

Que ce soit avec les chaussons ou le perfo, le rocher semble illimité dans ce monde à part…

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TEXTE : RENAUD MOULIN PHOTOS : JAVIPEC
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Sonia Pérez dans Via del cinto cabra, 6a+
 ??  ?? À gauche, une belle brochette : Litri, Esteban Eddy Carrascosa et l’auteur de cet article, Renaud Moulin.
À gauche, une belle brochette : Litri, Esteban Eddy Carrascosa et l’auteur de cet article, Renaud Moulin.
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Claudio Scutelnicu dans La ruta del Bacalao, 8a.

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