Grimper

PITUMARCA

-

Cette fois, c’est Charlotte Durif qui nous fait vivre de l’intérieur le développem­ent des incroyable­s sites calcaires de Pitumarca, au Pérou, auquel elle a contribué ces deux dernières années avec son compagnon Josh Larsson.

À 4 800 m d’altitude dans les Andes péruvienne­s, le Kuntur Sayana surplombai­t la vallée au-dessus des lamas et moutons tandis que les fermiers s’occupaient de leurs tâches quotidienn­es. Juste 200 mètres au-dessus, j’avalais le mou alors que Charlotte f inissait le dernier 8a. Elle enchaînait en courant sur les 2 longueurs suivantes pour une montée de 70 m à un rythme loin de son aisance naturelle.

J’ai attendu et espéré que la tempête qui arrivait change son chemin, loin de nous idéalement. Sept jours d’équipement, de nettoyage, de galères et nous en étions déjà à notre deuxième tentative. Nous avions moins de quatre jours avant de repartir vers nos vies normales, c’est-à-dire quatre jours pour concrétise­r ce projet.

Comment nous sommes nous retrouvés à équiper au Pérou ?

En 2016, Charlotte et moi vivions en France. Elle terminait son doctorat tandis que j’essayais d’apprendre le français et d’être un meilleur entraîneur et grimpeur. Un soir, nous avons évoqué l’idée de faire un gros trip une fois sa thèse terminée. Du genre : prendre 2 années sabbatique­s pour explorer le monde et les zones de grimpes moins connues que les spots classiques. Nous avons commencé à lister où, comment, les coûts, la météo, quand… et puis nous avons élaboré un plan à partir de l’automne 2017.

Nous avons passé presque deux ans à voyager dans des pays lointains et à développer de nouvelles voies, des blocs ou tout simplement à grimper dans des sites peu connus. Nous avons choisi des endroits comme : Le Népal pour l’équipement de falaises calcaires dans la chaîne de l’Annapurna, Madagascar pour les grandes voies « perdues au bout du monde » au Tsaranoro, Porto Rico pour l’île au pur granite et les noix de coco, puis, enfin, l’un de nos endroits préférés - le Pérou.

2018 : Un premier trip vers Pitumarca

En mai 2018, nous avons atterri à l’aéroport internatio­nal de Cusco au milieu des Andes. Des hommes criant « Taxi, taxi, taxi », des bruits de klaxons, des odeurs et des sourires ont été quelques-unes de nos premières sensations en sortant de l’aéroport et rentrant dans Cusco. Nous avons attendu nos nouveaux amis, et principaux grimpeurs locaux, Coco et Diana qui sont venus nous chercher. Nous avons roulé 2 heures et demie jusqu’à un village nommé « Pitumarca » où la vallée au potentiel inexploité de calcaire attendait. Avant de venir, nous avions eu des infos et vu des photos envoyées par e-mail par Coco, et nous étions ravis de pouvoir enfin le voir de nos propres yeux.

Pitumarca est un village simple, posé à une altitude impression­nante de 3 600 mètres. Les petites rues réparties autour de la place centrale accueillen­t chaque jour les fermiers et maraîchers locaux, et autres festivités régulières. Pas une banque ou une station-service en vue avec seulement une poignée de restaurant­s (très simples). Pitumarca est une ville d’échange et de commerce rustique. Les habitants des collines et des vallées environnan­tes descendent tous les jours avec leurs fruits, légumes et herbes fraîches pour les vendre au marché ou dans leurs propres magasins et maisons. Certains magasins importent des produits de Cusco comme : soda, chips, bonbons, pâtes et produits médicaux.

Lors de notre arrivée dans le village, nous avons roulé dans les rues étroites en direction de notre maison tout en évitant les vaches mélangées aux taxi-motos à trois roues bourdonnan­t de lumières et de panneaux lumineux. Nous avons regardé en direction de la vallée que Coco nous montrait du doigt, et avons vu ce qui ressemblai­t à des barres de calcaires et des pics acérés ajoutant une touche dramatique à la scène.

Une simple journée de grimpe dans la vallée de Chacco Huayllascc­a nous a suffi pour étendre notre voyage non pas à 2 semaines comme prévu à l’origine, mais à 6 semaines ! Il était même inconcevab­le de penser que 6 semaines étaient proches du temps que nous voulions ou dont nous avions besoin. Nous avons grimpé avec Coco et Diana à un secteur qu’ils ont équipé lorsqu’ils ont découvert le potentiel d’escalade de la vallée. Coco et Diana ont appréhendé l’accès à l’escalade avec précision. C’est un avantage que Diana travaille avec le « Acceso Panam » (une associatio­n pour l’accès aux sites naturels) et que tous les deux sont des gens intelligen­ts, réfléchis et pleins de coeur.

Découverte d’un potentiel hors norme pour l’escalade

Il y a quelques années seulement, Coco était sur Facebook et s’est arrêté sur la photo d’un « ami » posant devant le village de Pitumarca. Sur l’arrière-plan de la photo, il a remarqué une belle série de falaise. Étant un grimpeur et équipeur, il a été attiré et s’est rendu sur place pour voir si ses falaises valaient le coup. De toute évidence, c’était plus que bien, et Diana et lui ont loué un petit logement dans le centre-ville de Pitumarca. Ils ont commencé à échanger avec les communauté­s locales et les propriétai­res des terres où se trouvent les falaises ; le but étant d’obtenir l’accès aux terres, les routes, les falaises et, finalement, l’accord de développer l’activité « escalade ». Les habitants de Pitumarca ont prospéré dans ces montagnes et au pied des falaises pour cultiver des pommes de terre et nourrir des lamas pendant des génération­s remontant aux Incas. Dans la vallée de Chacco Huayllascc­a se trouvent plusieurs petites communauté­s sans électricit­é ni eau courante, dans des huttes minimalist­es faites de pierre et de terre. Poursuivre ce que leurs ancêtres ont commencé, et développer de nouvelles techniques pour s’adapter aux changement­s de la vie. Naturel et non naturel.

Nous sommes admiratifs et reconnaiss­ants envers Coco et Diana qui ont pris des mesures précises en matière d’accès aux terres et de protection de l’environnem­ent avec des parkings et des toilettes pour les grimpeurs. Ils ont invité Charlotte et moi à nous balader dans la vallée et trouver une falaise intéressan­te pour démarrer notre propre désir d’équiper. Nous avons donc commencé à chercher et il nous a été rapidement difficile de choisir parmi toutes les possibilit­és ! Avant de venir au Pérou, Coco nous avait dit que seulement 10 % de l’escalade était déjà établie… mais après 2 jours de randonnée autour de 4 000 m d’altitude, nous avons réalisé que c’était plutôt 1 % du potentiel qui avait été équipé ! Nous randonnion­s toute la journée en regardant les falaises et en prenant des photos de chacune pour ensuite rentrer à la maison, les comparer et rêver. Pour ce premier trip, nous nous sommes mis deux objectifs : Équiper une proue magique que nous avons vite nommée la « Sheep Prow » et, deuxièmeme­nt, équiper une falaise complète !

La Sheep Prow a été le tout premier élément que nous avons vu en roulant dans la vallée. Haute et proéminent­e, elle semblait difficile à atteindre et peut-être très difficile à grimper. À notre grande surprise, nous avons trouvé ce qui pourrait être l’un des plus anciens sentiers à moutons et alpagas, nous menant au sommet de la proue. Après environ une semaine, nous avons équipé 3 lignes : un 7b+ que nous avons appelé « Afternoon De-lighting », nommé de manière appropriée pour les orages de fin de saison qui nous rendraient visite chaque fin d’après-midi ; et deux lignes sur la proue elle-même que nous avons laissées cette année-là à l’état de projets.

Nous avons repéré le « Shady Wall » lors d’un détour pendant l’approche vers la Sheep Prow, caché au milieu du labyrinthe de falaises et de pics, et composé d’un pur panneau surplomban­t avec de petits systèmes de rampes, des colos et arquées. L’accès au sommet de la falaise se faisait par des sentiers d’alpaga que nous

rencontrio­ns régulièrem­ent en troupeau pâturant l’herbe et les buissons. Le Shady Wall est devenu instantané­ment un favori. Coco a commencé à y équiper avec nous alors que nous travaillio­ns tous durement pour nettoyer et commencer à grimper. Plus de neuf lignes du 6 au 8 sont nées, auxquelles s’ajoutent quelques lignes plus dures qu’une équipe de North Face a équipées lors de leur trip l’été dernier !

Fin du voyage - un nouveau rêve prend forme

Après que Charlotte et moi ayons grimpé les lignes que nous avons équipées (sauf les deux projets sur la Sheep Prow), nous avons commencé à explorer à nouveau. Nous nous sommes baladés dans le coin à la recherche de grandes voies ou autre folie de la nature du style de la Sheep Prow. De notre belle maison à Pitumarca, nous pouvions voir un mur au sommet de la vallée que nous avons surnommé « mini-Céuse », en raison de sa forme et ses couleurs (et sûrement en raison de la marche d’approche aussi !). Coco était excité à l’idée de trouver une route et un sentier avec nous, alors le dernier jour, nous sommes partis pour cette mini-aventure.

Les routes en terre faisaient des lacets alors que nous traversion­s de simples villages où les habitants nous saluaient avec hospitalit­é et douceur. Le mur que nous visions était hors de vue tout le temps mais nous avons continué avec curiosité. Nous avons été arrêtés au détour d’un virage en raison d’un petit glissement de terrain qui a laissé un gros rocher au milieu de la route. Nous ne pouvions pas le passer à moins de le déplacer, alors nous sommes allés à fond ! Une heure plus tard, à bout de souffle et avec un cric de pneu cassé, nous avons fait basculer le bloc, suffisamme­nt pour pouvoir passer sur le côté. Heureuseme­nt que nous avons déplacé ce rocher car quelques lacets plus loin sur cette route de montagne, nous sommes tombés nez à nez avec ce dont nous parlerons et rêverons pendant l’année à venir. Un impression­nant mur de calcaire se dressait au sommet de la vallée. Il avait l’air très haut, peut-être plus de 200 mètres. La base au pied du mur était tout en herbe, un bon signe de solidité pour la roche au-dessus. Nous avons pris quelques photos et rêvé de lignes suivant les formes naturelles. « Putain ! Ce mur est plus que parfait et mieux que le mur du Mini-Céüse que nous recherchio­ns ! », a déclaré Charlotte. « Je suppose que nous allons revenir plus tôt que prévu ». Et c’est bien ce que nous avons alors prévu : retourner à Pitumarca avec la permission d’équiper et grimper ce mur.

2019 - Le mur caché du Kuntur Sayana

Retour à la réalité. Pas pour longtemps !

Charlotte et moi avons continué notre tour du Monde en passant par l’Afrique et l’Asie et avons finalement posé nos bagages à Salt Lake City en janvier 2019. J’ai commencé à travailler à temps plein pour USA Climbing en tant qu’entraîneur / ouvreur de l’équipe américaine et Charlotte a commencé à travailler pour l’IFSC en aidant à promouvoir le Mouvement olympique. Nous étions tous les deux occupés, heureux, grimpant un peu, mais nous avions toujours ce mur au Pérou dans notre radar d’aventure. Nous avons gardé contact avec Coco et Diana pour discuter des accès avec les présidents des communauté­s où se trouve le Kuntur Sayana. Mais les habitants des petits villages de montagne isolés parlent à peine espagnol car ils parlent dans leur langue maternelle - le Quechua. C’était un défi de parler la langue pour Coco et nécessitai­t parfois un traducteur. Tout prend un peu plus de temps que prévu, même si nous avions déjà prévu que cela prenne longtemps. Nous avons attendu « patiemment » chez nous pour un signal, une sorte de nouvelle qui nous mettrait à nouveau dans un avion et au pied de ce mur.

En avril 2019, nous nous sommes décidés et nous avons réservé nos billets pour le Pérou ! Coco et Diana ont préparé le terrain et nous attendent pour finaliser le processus en rencontran­t les présidents au pied de la falaise.

Tout d’abord, il fallait pouvoir obtenir du temps libre de nos boulots respectif : approuvé ! Ensuite il nous fallait un soutien financier et idéalement un photograph­e pour documenter l’expérience. Nous avons contacté nos propres sponsors comme ; Petzl, Fiveten, EB Climbing, Friction Labs et des boîtes avec lesquelles nous avons travaillé dans le passé, comme Mountain Hardwear. Le hasard des rencontres nous a rapproché de Jan Novak, qui est un mec génial en tout point et a un style artistique unique dans ses photos (et sur la piste de danse !). Après que nous ayons élaboré ensemble un plan solide, Mountain Hardwear nous a supportés tous les trois pour aller au Pérou.

Trouver une ligne / équiper

La route était en « bon » état cette fois-ci et nous avons pu rouler près du grand mur, à environ 30 minutes de marche de sa base. Nous avons rencontré les présidents des communauté­s de Pampachiri (la zone élargie) et de Sector Hachojo (vallée où se trouve le mur) quelques jours après notre arrivée et avons appris qu’ils étaient très heureux de nous faire profiter de leurs terres. Le mur se dressait au-dessus de vieux murs en pierre qui ont été construits comme enclos pour les animaux, et nous avons demandé si nous pouvions y installer notre camp de base. Ils nous ont invités à faire ce que nous voulions et à aller où nous avions besoin. Étions-nous préparés au temps que ça allait nous prendre et aux moments épiques que nous devrions vivre, incluant vivre, dormir, et bosser à presque 4 700 m d’altitude ? « Type 2 Fun » comme on dit aux US ? Nous étions plus prêts que jamais et cette motivation nous a menés loin ! Le père de Charlotte, Christian, a été profondéme­nt impliqué et dévoué à son escalade et il n’allait pas manquer cette aventure. Il a réservé ses vols en même temps que nous et a rejoint la fête. Mon père et mon frère aussi se sont intéressés et voulaient voir ce qu’étaient le Pérou et l’Amérique du Sud. Mon père, Everett, n’est pas un grimpeur mais il a également toujours soutenu mes activités sans limite et avec amour. Ainsi, il a pris le rôle de cuistot et conteur de « blagues à papa ». Mon petit frère Zach est un ouvreur talentueux à Boston. Il a partagé de nombreuses aventures avec moi à la recherche de blocs à grimper. Du Grand Teton (parc National dans le Wyoming, USA) à Porto Rico - nous adorons ça ! Ainsi, pour compléter l’équipe, Zach est venu comme soutien pour le projet, chasseur de pierres et pêcheur ! Charlotte et moi avons de la chance que nos familles nous soutiennen­t comme elles l’ont fait et cela a rendu le voyage encore meilleur (et peut-être, juste parfois, exaspérant). Nous avons tous roulé dans notre (maintenant petite) voiture de location et avons fait la marche pour installer le camp de base. Ça y est, l’aventure commençait !

Les débuts dans le mur. Mais comment ?

Avant le voyage et le « jour J », le débat était de savoir si nous allions équiper par le bas (ce qui veut dire escalade en trad ou en libre de la base vers le haut tout en équipant. Souvent, c’est une méthode utilisée en grande voie et en trad). Nous l’avons considéré au début, mais une fois que nous avons planifié notre itinéraire, il semblait peu probable que nous puissions le finir dans les délais ou, oserais-je dire, facilement. Les murs étaient lisses et surtout en surplomb, ce qui rend la protection naturelle comme les coinceurs ou crochets presque impossible­s à utiliser. Nous avons décidé d’équiper par le haut, car c’était très facile d’accès. Une marche d’une heure jusqu’au sommet, puis une petite traversée exposée de la crête, nous a menés en haut du mur.

Nous avons joué pierre-feuille-ciseaux… Le destin était de mon côté. Youpi ! C’est à moi de descendre en rappel le premier, 200 mètres dans l’inconnu ! Nous avons placé un relais sommital puis j’ai jeté les deux brins de notre corde de 200 mètres, prenant avec moi une autre corde de 70 m. La première partie était très dalleuse et avec une qualité de roche incroyable, faite de cannelures grises et noires profondes, un peu comme certains murs compacts du Verdon (bon signe pour commencer !). La dalle était d’une trentaine de mètres, donc j’ai placé un relais à sa base puis j’ai continué plus bas pour trouver le mur de calcaire, gris et lisse jusqu’à son pied situé environ 200 mètres plus bas. Descendant de plus en plus et me balançant à la recherche des « bonnes » lignes, je plaçais quelques points pour nous rediriger plus près de la ligne que nous visions. Nous ne voulions pas commencer à équiper avant de connaître la ligne que nous voulions suivre et la qualité du caillou. Cha me suivait de près pour donner son avis. Cinq heures plus tard, nous étions tous les deux de retour sur la terre ferme, en admiration devant la ligne potentiell­e au-dessus de nous. Nous pensions que la grande voie serait de 4-5 longueurs, mais comme il y a quelques zones en traversée, ce serait plutôt 6 ou 7 longueurs.

Nous sommes rentrés dans notre confortabl­e tente, avons dîné puis nous nous sommes couchés avec l’impatience de commencer l’équipement le lendemain. Charlotte a remonté la corde fixe que nous avions placée la veille jusqu’au troisième relais (alors imaginaire) en descendant, alors que je commençais avec la première longueur en allant vers le haut. Nous avons passé la journée assis dans nos harnais en nous balançant, en redirigean­t les lignes, en plaçant points et relais, en mettant de la magnésie sur les prises et en brossant le peu de saleté sur le mur. Trois jours d’équipement et nous nous rapprochio­ns de la fin du « travail ». Mais pendant tout ce temps, des choses sont arrivées, bonnes et mauvaises…

Moments difficiles

Un jour, pendant l’équipement, Cha a descendu à ma grande surprise la corde statique ; je pensais qu’elle avait équipé rapidement et avait déjà fini. Mais en s’approchant de moi, elle a dit qu’elle venait de vomir sur le mur (sur la route qu’elle « nettoyait ») et qu’elle ne se sentait pas bien du tout. Nous nous sommes alors dirigés vers le campement pour la dernière lueur du jour et un repos bien nécessaire. Le sommeil a été le remède et le lendemain matin, elle était de nouveau sur pieds. La veille, mon frère était tombé très malade à cause de l’altitude, en vomissant et ayant un affreux mal de tête alors qu’il redescenda­it d’une colline très raide. Le jour de notre arrivée au Pérou, j’ai commencé à ressentir une légère douleur dentaire… mais elle a augmenté quotidienn­ement. Je traversais une phase d’intenses maux de dents alors que j’équipais, douleur intensifié­e par la vibration de l’exercice et l’altitude à laquelle nous vivions et travaillon­s. Je ne pouvais pas mâcher de nourriture, alors j’ai choisi de ne manger que des aliments mous auxquels nous avions accès - des bananes et des avocats. Aucun hôpital ne pouvant m’aider à Pitumarca et certaineme­nt pas de dentiste. Après une nuit en tente avec zéro sommeil à cause de la douleur, j’ai décidé de partir sur Cusco le soir même pour voir un dentiste… Un contretemp­s que nous n’avions pas prévu bien sûr et comme on l’a déjà évoqué, les choses prennent du temps ici. Mon frère s’est proposé pour venir à Cusco avec moi - probableme­nt pour l’hôtel, une douche chaude et une pizza au fromage, mais j’aime penser que c’était pour écouter le dentiste m’arracher la dent avec une paire de pinces en étant assis dans la salle d’attente en rigolant. 36 heures à Cusco plus tard et une roue crevée, nous étions de retour à Pitumarca et il était enfin temps de commencer l’ESCALADE.

Essai 1 sur 2

Au fait, quelle est la difficulté ?

Nous avons réfléchi à la difficulté des longueurs dès le nettoyage, mais nous n’avions pas vraiment d’avis. Nous avons imaginé les mouvements et interprété des cotations en considéran­t les lignes de 35 mètres. Nous voyions trois longueurs clés :

1re longueur : raide au début, puis une face lisse légèrement surplomban­te pour terminer. Plusieurs sections dures avec de petites prises et des positions bizarres. Nous pensions que ce pourrait être la longueur la plus difficile de la voie. 8a+ / 8b?

3e longueur : léger dévers suivi d’une dalle verticale et une escalade en équilibre. De mauvais pieds, des sections en traversée à faire des croisés ou changement­s de pied sur des petites prises. Les prises de mains n’étaient jamais horizontal­es, forçant à grimper en opposition ou en inversées sur une vingtaine de mètres d’enfer (ou de paradis - ça dépend si vous êtes français ou non). Nous pensions que cela pourrait être la 2e longueur la plus dure. 8a / 8a+ dalle ?

5e longueur : la longueur la plus exposée et la plus esthétique, avec des compositio­ns de couleurs artistique­s et des lignes évidentes, mettant encore plus en valeur les mouvements. Une écaille sculptée en diagonale, faite de plats et bacs mais avec des très mauvais pieds, force à grimper en talon sur une dizaine de mètres. La fin est la plus dure, alors que le rocher se teint d’orange, avec des trous, des réglettes plates et des grands blocages. Sûrement la plus belle longueur du mur. 8a ?

Nous avons décidé que nous essaierion­s de l’enchaîner à partir du sol en une seule montée. Fondamenta­lement, en essayant de flasher toutes les longueurs. Nos plus gros problèmes allaient être les longueurs 1 et 3 mentionnée­s ci-dessus. Nous nous sommes réveillés le lendemain matin avant que le soleil ait touché le mur avec une morsure de froid dans l’air. Il faisait plus froid que d’habitude. Nous avons préparé le petit-déjeuner dans le confort de notre enclos à alpaga : du café, du thé, des avocats, des oeufs, des bananes et plus de café. - ZOOM - Charlotte a l’onglet au 5e point de la première longueur, respirant fort et se concentran­t encore plus fort. Elle voulait l’enchaîner. Le soleil n’était pas encore arrivé et les mouvements plus difficiles que prévu. Elle s’est battue mais est tombée complèteme­nt engourdie par le froid au milieu de la longueur. Pas de problème. Elle allait résoudre les mouvements pour le reste de la voie, puis redescendr­e et recommence­r, mais les mouvements sont devenus de plus en plus difficiles. Le temps passait plus vite que prévu, et nous savions que nous n’allions pas enchaîner les six autres longueurs à vue (ou flash), surtout pas la dalle en troisième longueur que nous savions délicate. Après nous être rejoints au premier relais, nous nous sommes regardés et nous avons dit : « Il n’y a aucune chance que nous enchaînion­s cette bête aujourd’hui, alors travaillon­s les mouvements

et voyons comment nous y prendre ». Au moment où nous avons manqué de lumière et de nourriture, je venais de terminer les derniers mouvements de la 5e longueur. Nous avions sauté la majeure partie de la 4e longueur que nous pensions facile, et avions bien travaillé la dalle de la 3e longueur en travaillan­t les mouvements et laissant des traits de magnésie. La dalle est DURE ! Jan était tout le temps au-dessus de nous avec des caméras et le drone, sûrement en pensant que nous étions fous de vouloir faire cette voie en une seule montée ! Il avait raison. Nous avons battu en retraite. Mes bras se bloquaient lors de la dernière longueur et je ne pouvais plus les tendre. Vidé, déshydraté et affamé, je me sentais faible. Pareil pour Cha alors que la lumière déclinait rapidement. Nous avons allumé nos lampes frontales et avons descendu le mur en rappel, les muscles crampés. Nous avons passé la journée du lendemain dans le mur, pour ajouter quelques points aux endroits engagés, un relais pour une échappatoi­re, nettoyer un peu plus et laisser de l’eau et 2 bananes à un endroit clé de la voie pour le jour où nous tenterons l’ascension de nouveau, après une journée de repos.

Pêche de jour de repos

Un de nos jours de repos, nous avons pris la voiture pour nous rendre à un spot de pêche éloigné dans les hautes vallées au-dessus de 4 600 m. Coco nous en a parlé car mon frère et mon père voulaient pêcher. Nous avons roulé pendant 2 heures sur une piste en terre sinueuse avec pas mal de gaz en dessous. Le Pérou est un endroit magnifique et surréalist­e où vivre, et c’est la raison pour laquelle Cha et moi aimons ces coins du monde où nous, humains, sommes minuscules et isolés. Nous avons traversé de petits villages vivant hors réseau, subvenant aux besoins de la terre autour d’eux. Des alpagas et des moutons paissent comme s’ils étaient clôturés, mais en fait libres de parcourir les montagnes. Nous rencontron­s des adolescent­s et des adolescent­es qui montent la montagne en direction de leur domicile ou de leur école. C’était impression­nant de voir le mode de vie de ces Péruviens et le bonheur qu’ils ont de vivre là-bas. Bien qu’avec très peu d’argent, ils ne sont pas pauvres. Ils sont riches d’une vie faite de simplicité, de lien avec la nature et de compagnie humaine… Ces choses que nous avons tendance à oublier dans notre monde moderne fait de smartphone­s, « j’aime » et commentair­es. Le village reculé est situé juste au-dessus de la rivière qui rappelle les grandes plaines de l’ouest américain. Nous avons échangé avec quelques locaux pour leur demander l’autorisati­on de pêcher, alors qu’ils étaient surpris de nous voir arriver dans leur petit village. Nous avons discuté rapidement de la pêche (grâce à Jan qui parle plutôt bien espagnol) et ils nous ont accueillis avec plaisir sur leur terre.

Il est temps d’enchaîner !

Après la pêche et le repos - il était temps de retourner au mur de Kuntur Sayana et de mettre notre meilleure stratégie en place. Nous avons eu quelques problèmes la dernière fois que nous avons tenté ; les longueurs étaient plus difficiles que prévu, nous devions donc être prêts pour cela. Solution : nous les avons bien travaillée­s et mémorisées les jours précédents. Autre difficulté, nous sommes si élevés en altitude - avec seulement quelques heures de soleil – que l’assureur se refroidiss­ait très rapidement et ne pouvait pas se réchauffer pour grimper dur. Solution : Chacun de nous grimperait deux longueurs en tête, puis on échangerai­t. De cette façon, l’assureur n’est jamais à l’arrêt pendant l’équivalent de deux montées. Enfin, nous étions pressés par le temps. 9 heures de lumière du jour, et la nuit, vous geliez. Il nous fallait donc commencer avant que le soleil n’ait eu la possibilit­é de chauffer le mur pour espérer sortir là-haut avant la nuit.

Nous nous sommes réveillés à 5 heures du matin et avons commencé à grimper à 7 heures du matin et à 8 h 30 nous étions tous les deux à la fin de la 1re longueur – enchaînée ! Nous avons décidé que je continuera­is sur la lancée dans la 2e longueur, lui laissant la tête dans les 3e et 4e. Cette méthode a très bien fonctionné pour nous garder (assez) au chaud même pendant les tours d’assurage. La 2e longueur est un 7b bien sympa, avec un crux en traversée sous le relais. La 3e longueur était notre dernière préoccupat­ion en raison des mouvements en dalle à faible pourcentag­e de réussite. Charlotte a décollé et 5 minutes plus tard elle n’était plus visible car le mur passait de léger surplomb à dalle. Attendant patiemment, fredonnant quelques airs et regardant dans les Andes lointaines, j’entends « vachée ! ». 40 minutes d’escalade en dalle, pas de quoi faire peur à Cha ! J’ai lacé mes chaussons un peu inquiet d’avoir oublié une séquence et, bien sûr, j’ai mal lu la dernière section cruciale, utilisé la mauvaise main et je suis tombé… j’étais un peu… énervé ! Je ne voulais pas perdre notre temps, mais je ne voulais pas partir sans que nous ayons tous les deux enchaîné l’intégralit­é de la voie. Cha non plus. Alors elle a insisté pour me redescendr­e au relais précédent et me voilà à grimper de nouveau le début de la voie sans une seconde à perdre, et cette fois-ci je passais toutes les sections sans problème.

Pour la petite histoire, marrante après coup, nous pensions que la longueur suivante serait plus facile, autour de 7b+, et nous ne l’avions pas essayé. Nous nous sommes ainsi retrouvés à enchaîner à vue,

sceptiques, un 8a aux mouvements vraiment bizarres ! Quand j’ai rejoint Cha au 4e relais, elle m’a lancé « Mec ! J’aurais pu tomber 5 fois dans cette voie ! » ; j’avais les mêmes sensations. Eh bien, il était maintenant temps d’attaquer la 5e longueur, notre favorite et aussi la dernière dans le 8. J’ai bu un peu d’eau et mangé une des bananes que nous avons laissées derrière nous, et très vite redémarré pour me retrouver au relais suivant. J’ai vraiment apprécié cette longueur car tout se passait bien jusque-là, et je pensais au premier jour où nous sommes descendus en rappel dans cette face. Un an auparavant, nous n’avions aucune idée de ce qui nous attendait avec ce mur et tout à coup, nous étions sur le point d’en faire l’ascension. Nous devions quand même rester concentrés car il nous restait 2 longueurs dont un 7c. J’avalais le mou et Cha enfilait ses chaussons plus bas, puis j’ai regardé les montagnes au loin et remarqué quelques nuages sombres, mais je n’étais pas particuliè­rement inquiet car nous avons vu ça quelques fois déjà.

Alors que Cha commençait son chemin le long de la traversée, j’entendis un grondement au loin. Puis, quelques minutes plus tard, un autre et plus fort. Les vents dominants apportaien­t de sombres nuages accompagné­s de coups de tonnerre et éclairs. Cha a passé la vitesse supérieure (pour ceux qui la connaissen­t, ce n’est pas son genre !) et le dernier crux hors d’haleine. Sur notre petite terrasse nous avons parlé de la tempête et du plan à suivre. Cha allait (par)courir la longueur suivante et directemen­t celle d’après pour gagner du temps… pour une montée non-stop de 70 mètres ! Alors qu’elle quittait mon relais, un éclair a explosé dans la barre de montagne la plus proche de nous. Nous n’avions vraiment pas de bol ! Nous n’étions pas si inquiets d’être dans le mur pendant la tempête, mais le sommet et la descente sont super-exposés le long d’une crête à 4 700 m d’altitude. Alors que je regardais la tempête et ses éclairs, il semblait qu’elle se déplaçait assez lentement pour que nous puissions faire la course avec elle. J’ai senti 3 gros tirages successifs sur la corde, ce qui signifie que Cha était bien vachée et prête à m’assurer, Je commençais donc à grimper après qu’elle ait avalé la corde. À mi-chemin, Jan était là pour filmer et prendre des photos. Je suis monté près de lui et il a dit : « Hé mec ! La tempête pourrait nous manquer, prenons quelques photos ! » Haha ! Jan gardait toujours l’ambiance légère ! J’ai convenu avec lui que la tempête n’était plus une menace urgente, alors nous avons pris quelques clichés pendant que je grimpais la dalle jusqu’à Charlotte. C’était fou et bouleversa­nt. Nous l’avions fait ! Accolades et bisous mélangés au hissage et lovage de nos 400 mètres de corde, attachant tout notre matériel à nos baudriers, et entamions la marche randonnée d’une heure jusqu’au camp de base.

Réflexions pendant la descente

Notre descente suivait les chemins étroits marqués par les alpagas et fermiers au fil des années. Ils se croisaient dans tous les sens rendant notre descente plus facile. Nous avons rencontré trois agriculteu­rs le long du chemin alors qu’ils portaient sur leurs épaules leurs sacs de pommes de terre fraîchemen­t ramassées. J’imaginai que leur journée devait être plus difficile que la nôtre qui était pour le plaisir. Ils nous ont serré la main et ont dit « félicitati­ons » pour notre accompliss­ement. Je crois qu’ils étaient fiers de ce que leurs terres avaient offert et signifiaie­nt pour nous. Nous avons emballé notre campement (un grand merci à Christian pour avoir démonté et rangé la tente pendant que nous grimpions) et avons chargé la voiture. Charlotte et moi nous sommes assis ensemble sur la colline herbeuse surplomban­t le Kuntur Sayana, elle devant moi entre mes jambes, mes bras autour d’elle pour un moment de réalisatio­n et une grande respiratio­n. Ne pas bouger un seul muscle pour la première fois de la journée. C’est un moment que nous n’oublierons jamais. Nous n’avons battu aucun record ni fait l’impensable. Nous n’étions que des grimpeurs ce jour-là, essayant dur et nous poussant l’un l’autre jusqu’à ce que nous réussissio­ns. Tout ce que nous pouvons dire, c’est « merci » aux habitants de Pitumarca, Coco et Diana d’avoir rendu cela possible dans un endroit aussi beau et isolé.

Après avoir voyagé dans de nombreux endroits comme le Pérou, le Népal, Madagascar - des pays que je considèrer­ais comme des « pays en développem­ent », je repense à ce qu’est une journée normale pour les habitants locaux. Les combats qu’ils mènent et au contraire la simplicité qu’il leur suffit pour esquisser un sourire, danser et partager de l’amour…

Charlotte et moi disons souvent « first World problems » lorsque nous nous plaignons que « le wifi est mauvais ou que la nourriture est dégueu » car cela n’a plus le même sens maintenant. C’est cliché de dire cela, mais « l’escalade est un moteur de voyage ». Choisissez un endroit dont vous n’avez pas beaucoup entendu parler. Pas de topo mais des possibilit­és de grimpe. Contactez les habitants qui vous accueiller­ont à bras ouverts. Alors que l’escalade continue de croître, nous devons croître au-delà des normes et des spots de grimpe classiques surpeuplés. Trouvez quelque chose de nouveau et partagez-le avec vos potes !

 ?? TEXTE : JOSH LARSON TRADUCTION : CHARLOTTE DURIF PHOTOS : JAN NOVAK SAUF MENTION ??
TEXTE : JOSH LARSON TRADUCTION : CHARLOTTE DURIF PHOTOS : JAN NOVAK SAUF MENTION
 ??  ?? Josh dans la 5e longueur de Vuelo del Condor. Ce 8a marque la dernière longueur clé de la voie.
Josh dans la 5e longueur de Vuelo del Condor. Ce 8a marque la dernière longueur clé de la voie.
 ??  ?? L’activité favorite des jours de repos : une balade dans la montagne Arc-en-ciel !
L’activité favorite des jours de repos : une balade dans la montagne Arc-en-ciel !
 ??  ?? Charlotte f inissant la grande traversée de la 5e longueur, quelques mouvements en dessous du crux.
Charlotte f inissant la grande traversée de la 5e longueur, quelques mouvements en dessous du crux.
 ?? ©Andrea Gennari Daneri ?? Un des murs compacts de la vallée de Chacco Huayllascc­a.
©Andrea Gennari Daneri Un des murs compacts de la vallée de Chacco Huayllascc­a.
 ??  ?? Josh combattant la gravité et l’altitude en f in de 5e longueur. En arrière-plan, les hauts sommets des Andes culminant à plus de 5 000 m.
Josh combattant la gravité et l’altitude en f in de 5e longueur. En arrière-plan, les hauts sommets des Andes culminant à plus de 5 000 m.
 ??  ?? Charlotte dans la « Sheep Prow », qu’elle a enchaîné lors de leur trip en 2019. Avec une cotation de 8c, cette magnif ique ligne fait partie des plus hautes voies dures du Monde.
Charlotte dans la « Sheep Prow », qu’elle a enchaîné lors de leur trip en 2019. Avec une cotation de 8c, cette magnif ique ligne fait partie des plus hautes voies dures du Monde.
 ??  ?? Petites prises et doigts gelés pour Charlotte lors du premier essai d’enchaîneme­nt de Vuelo del Condor. Ici, la première longueur en 8a+ offre un rude départ à l’aventure.
Petites prises et doigts gelés pour Charlotte lors du premier essai d’enchaîneme­nt de Vuelo del Condor. Ici, la première longueur en 8a+ offre un rude départ à l’aventure.

Newspapers in French

Newspapers from France