Grimper

ÉLITISTE, CÉÜSE ?

VOUS PLAISANTEZ !

-

Élitiste, Céüse le fut, mais les décennies 2000 et 2010 ont vu fleurir des secteurs entiers, sur du rocher typiquemen­t céüsien, sculpté de cannelures et de gouttes d’eau, offrant une foule de voies parfaiteme­nt équipées dans le 4e, le 5e et le 6e degré. Laurent Girousse, aujourd’hui responsabl­e du topo, fut l’un des principaux artisans de cette « ouverture » de la falaise. À travers le prisme de son histoire personnell­e, il nous raconte.

Début des années 80, avec Fred, on comprend qu’il faut faire un choix : soit on continue à écumer les fêtes de village et leurs bals, soit on se couche plus tôt afin de pouvoir aller grimper. En mobylette, un 103 SP pour lui, une Motobécane EV 50 pour moi, on arpente les bouts de rocher de la vallée du Buëch : Sigottier, Agnielles, la clue de Serres…

On ose aller jusqu’aux blocs de Céüse sans pour autant monter à la falaise qui nous impression­ne. Elle est haute, on a des bouts de corde sans doute bien trop courts, et Fred a une ceinture militaire en guise de harnais. On regarde de loin cette falaise qui fera un jour partie de ma vie, mais je ne le sais pas encore.

En passant et en montant aux blocs, on remarque une vieille grange que l’on « squatte » discrèteme­nt certains soirs. Un « forest » en pierre sur deux étages, le haut pour y déposer le foin, le bas pour les chèvres. Trentecinq ans plus tard ce sera ma maison, et c’est de là que j’écrirai le topo de Céüse.

Début des années 90, je grimpe un peu plus, mais toujours aussi mal. Les grandes pages de Céüse sont en train de s’écrire. Les secteurs de La Cascade et de Berlin sont en train d’être équipés…

Edlinger achète une ruine au pied. Je suis encore loin de Céüse. L’escalade passe pour moi par l’ouverture et l’équipement de voies. Je commence d’ailleurs dans le Buëch… Sigottier et ailleurs. Un jour, au pied d’une falaise que je suis en train d’équiper, je rencontre Éric Fossard. LE Éric Fossard de Céüse ! Celui qui a osé imaginer que les dévers de La Cascade pouvaient se grimper, et le premier à avoir jeté sa corde dans le mur de Berlin alors vierge de toute voie, si ce n’est quelques essais du Blond. J’ai même vu sa photo dans un Vertical ! Éric habite à Sigoyer, c’est lui le gardien du temple. Je prends l’artiste avec des pincettes. Récemment il a démonté une voie qu’un gars a équipée… trop proche, à son goût, de l’une des siennes.

Nous sommes en 1994, les équipeurs sont les « maîtres » des falaises, Natura 2000 n’existe pas et les problémati­ques des sites naturels n’ont pas encore atteint leur apothéose juridique. On équipe sur ses deniers et naturellem­ent on se sent investi par les lieux, ce que tout le monde respecte. Les topos sont locaux, financent l’équipement et participen­t à la reconnaiss­ance sociale des équipeurs qui seront un jour les liens entre les administra­tions et les falaises.

Bref, je demande au « proprio » si je peux équiper à Céüse. Réponse facile : « Aucun souci, mais à gauche de La Cascade, à droite c’est nous… » Après quelques jours de réflexion et de prospectio­n, je me rends compte que tout le potentiel est à droite. Même si la partie gauche de la falaise et ses secteurs Dalles du CAPEPS ou Golots à gogo recèlent de magnifique­s dalles à cannelures, le potentiel a bien été exploité par P. Borel et Poudoux ainsi que par le club de Gap géré en son temps par Badaroux.

En 1996, j’équipe ma première voie quelques mètres à… droite de La Cascade. Non pas pour contredire Éric, mais tout le potentiel est vers l’ouest. Quatre longueurs longeant le bord droit de La Cascade sur un rocher qui me laisse présager le potentiel de la falaise. Doucement, je file à droite, laissant les secteurs Berlin et Biographie qui me semblent bien trop durs et déjà fort exploités. En 1998, je commence par remonter tous les relais des voies abordables de Demi-Lune qui s’arrêtent alors 5 à 10 m sous leur emplacemen­t actuel. Le standard des cordes à l’époque d’ouverture est plutôt de 40 m. Pareil pour Un Pont où, profitant d’un rééquipeme­nt orchestré par Rolland Marie, je reprends de nombreuses voies, pas vraiment engagées ni expo, mais équipées avec tous les pas obligatoir­es, un style de l’époque. Éric et Pierrot lâchent la perceuse, la place de concierge se libère doucement. C’est la fin des années 90, l’an 2000 approche avec ses incertitud­es. On tourne un peu en rond à Céüse, ce qui aujourd’hui peut paraître un blasphème. On sature. Je grimpe énormément avec Bruno Ravanat, moi j’ai fait ce que je pouvais faire, et lui a fait tout ce qu’il pouvait faire… en solo (!). Point d’orgue de sa pratique très personnell­e mais décontract­ée : une journée entière en solo. Bruno enchaîne ainsi dans la journée sept longueurs en solo intégral entre 6c et 7c+ (Berlin). Bref, on sature… La marche nous saoule et d’autres falaises nous font de l’oeil. J’assouvis mes envies d’équipement sur d’autres bouts de caillou et mes pulsions de liberté en montagne en préparant le guide.

Lors de brefs retours à la falaise, nous prenons l’habitude de nous échauffer à la Grande Face dans les

 ??  ?? Ci-dessous, Demi-Lune et ses magnif iques 6a, parfois victimes de leur succès lors des journées d’affluence où les grimpeurs se voient obligés de faire la queue pour en tâter les prises.
Page de droite, Laura Gattini dans “Diamond of the Inside”, un de ces 6a+ aux allures de 7c des secteurs Nitshapa/Papillon.
Ci-dessous, Demi-Lune et ses magnif iques 6a, parfois victimes de leur succès lors des journées d’affluence où les grimpeurs se voient obligés de faire la queue pour en tâter les prises. Page de droite, Laura Gattini dans “Diamond of the Inside”, un de ces 6a+ aux allures de 7c des secteurs Nitshapa/Papillon.

Newspapers in French

Newspapers from France