LA SAGA “BIOGRAPHIE”
1988. Je n’ai pas la berlue. Alors que je suis en train d’éplucher le topo, tout absorbé dans la confection de ce magazine spécial Céüse, c’est bien ce nombre que je lis. Année d’ouverture de “Biographie” : 1988. Son ouvreur ? Jean-Christophe Lafaille ; nouvelle preuve que sa gloire himalayenne nous a fait oublier l’incroyable grimpeur qu’il fut…
En 1988, donc, quand Jean-Christophe Lafaille se lance dans l’équipement de celle qui se nommera un peu plus tard “Biographie”, l’entreprise, pour jouer de l’oxymore, est une évidence saugrenue. Une évidence parce que cette coulée d’encre bleutée de 40 m appelle l’escalade ; les scientifiques briseurs de rêve diront qu’elle résulte du ruissellement de l’eau, mais on croirait qu’elle se dresse telle une piste divine déroulée spécialement pour l’escalade. Saugrenue, parce que le premier 8c de l’histoire, “Wall Street”, vient alors tout juste d’être grimpé par Wolfgang Güllich dans le Frankenjura, et que celle-ci, à l’évidence, sera beaucoup plus dure. Or il n’est pas courant, à l’époque, d’équiper « pour le futur ». Les salles de grimpe n’existant pas encore, d’innombrables exemples nous montrent que la mode est plutôt à la taille des voies sur mesure qu’à l’équipement pour les générations à venir.
Les anciens de Céüse, d’ailleurs, rapportent une scène des plus significatives dans l’histoire de “Biographie”. Après être allé tâter les prises, essayer les mouvements et s’être aperçu que la voie serait probablement trop dure pour lui, la tentation de bricoler la ligne pour la rendre plus effleura paraît-il l’esprit de Jean-Christophe Lafaille. Il fit part de ces envies à ses camarades d’équipement, qui surent trouver les arguments pour faire pencher ses états d’âme et hésitations du côté de la pureté. La voie demeura intacte.
On aurait pu croire ce pari perdant : trop dure, la voie est en effet délaissée pendant plusieurs années, mais un certain Arnaud Petit, alors au sommet de son art en compétition, décide de s’y intéresser. Il défriche les mouvements et y place, au niveau d’une décontraction, un relais intermédiaire pour une première partie en 8c+, qu’il enchaîne en 1996, plaçant par la même occasion la voie sous le feu des projecteurs. Ce relais, Sylvain Millet se chargera de l’enlever vingt ans plus tard, avec l’aval d’Arnaud Petit, pour restituer la configuration d’origine. À la fin des années 90, l’intégrale de “Biographie”, toujours invaincue, commence à vaciller quand un jeune prodige américain accompagné de cameramen s’y attaque. Chris Sharma, car c’est évidemment de lui dont on parle, viendra à Céüse quatre étés de suite pour finalement clipper la chaîne en 2001. Il a 20 ans et vient de libérer la voie la plus dure du monde (toute réflexion sur “Akira” gardée). En réalité, il a fait beaucoup plus que ça. Grâce notamment au film culte qui relatera cette ascension (« Dosage »), il posera les fondements du concept de King Line, qu’il déclinera tout au long de son immense carrière : désormais, beauté et difficulté ne sont plus deux composantes séparées, elles s’entremêlent pour donner une dimension supplémentaire, magique, à l’escalade.
En 2004, alors que “Biographie” est encore la voie la plus dure du monde, Sylvain Millet, un jeune et talentueux