Grimper

SAINT-LOUP

- VoieduDièd­re, IVAN CHERPILLOD

« D’emblée Yves démontre des qualités hors du commun. Quel que soit le terrain, les conditions, les diff icultés ou le matériel, il progresse toujours très vite. Aucune f issure, aucun mur ne lui résiste. »

Au début de 1974, il n’existe aucun itinéraire sur la longue falaise située face à l’hôpital de SaintLoup (au nord de Lausanne) dont la base était défendue par un épais maquis. Ceux qui la longeaient n’imaginaien­t pas qu’il serait possible de gravir de tels murs verticaux et lisses, alors que les faiblesses, fissures, dièdres ou couloirs, étaient encombrés de végétation et de roches branlantes.

En 1974, Claude Lévy et Michel Ziegenhage­n réalisent la première ascension de la falaise par la en grosses chaussures et en artif. Ils nous laissent ensuite ce terrain de jeu qui deviendra l’un de nos meilleurs lieux d’entraîneme­nt. Nous revenons d’un séjour d’escalade en Grande-Bretagne avec des chaussures souples, les fameuses EB (qui succèdent aux étroites et rigides Terray-Saussois, qui sont alors le must pour grattoner et pour l’artif), le baudrier Whillans, des coinceurs Stopper et Hexcentric, de nouveaux pitons en acier dur et d’autres engins bizarres tels que des crochets à gouttes d’eau (sky hooks) qui deviennent le matériel universel du grimpeur. Ce voyage nous a fait comprendre que nous devons intensifie­r notre entraîneme­nt en libre même si planter des pitons et l’artif reste très important pour ouvrir des voies ou répéter les plus difficiles itinéraire­s. Yves, qui le pousse plus loin, s’impose quotidienn­ement toute une série d’exercices, dont des centaines de tractions sur ses deux bras par séries de vingt, puis plusieurs sur un bras, ainsi que des blocages d’un doigt pour se tenir seulement aux mousqueton­s ou directemen­t dans l’oeil d’un piton afin de gravir des voies d’artif sans étriers, y compris des toits. À Saint-Loup, nous développon­s notre rapidité en éliminant les gestes superflus, chaque mouvement devant être fait de manière précise et sans hésiter afin d’enchaîner immédiatem­ent le suivant selon une technique simple essentiell­ement en force pure. Nous améliorons également l’emploi du matériel pour que tout devienne automatiqu­e comme par exemple s’encorder, s’assurer, s’autoassure­r, donner de la corde, se passer du matériel, faire les rappels et même s’arrêter sans perdre du temps (!) ni devoir se contrôler ou se parler. Oui, même les mots sont superflus. Nous allons perfection­ner sans cesse l’équipement et cette efficacité au sein de notre cordée où chacun a sa place et sait toujours exactement quoi faire immédiatem­ent.

Entraîneme­nts

En deux saisons, nous ouvrons à Saint-Loup une cinquantai­ne de nouvelles voies. Hé oui ! À peine une voie de gravie, nouvelle ou pas, nous avons déjà envie de passer à la suivante. Pour distinguer nos nouveautés, nous les baptisons d’un nom original, chose peu courante à l’époque (1). Il y a des clins d’oeil au hard rock, musique encore peu populaire, voire détestée, ce qui suscite passableme­nt d’incompréhe­nsion chez nos amis. En même temps, l’escalade sur rocher fascine de plus en plus, malgré le grand engagement qui est de rigueur et le danger que présentent certaines voies très exposées, tandis que celles en artif alignent des pitons successifs à la tenue parfois aléatoire.

Les itinéraire­s de Saint-Loup se gravissent en deux longueurs. Une fois au sommet, nous redescendo­ns à pied en évitant les rappels (2). À la fin de 1975, Michel Ziegenhage­n, grimpeur clairvoyan­t et généreux, propose de remplacer les pitons par du matériel plus solide et de favoriser ainsi le libre (3). Une vingtaine de voies en libre et deux ou trois en artif sont équipées de gollots M8 (4) à l’aide de sa perceuse reliée à un groupe électrogèn­e posé au sommet de la falaise. En décembre 1975, nous publions le premier topo des lieux, Saint-Loup, Vallorbe, Covatanne, avec la librairie Bauer, alors spécialisé­e en

ouvrages alpins. Les années suivantes, différents styles d’escalade se côtoient à Saint-Loup, à savoir le solo autoassuré (avec corde) ou intégral (sans corde) et les montées et descentes successive­s pour enchaîner des voies. Certaines cordées en cumulent plus de vingt. Yves Remy, le plus rapide, effectue en solo cinquante-sept voies (vingt-neuf gravies et vingt-huit désescalad­ées) en une demi-journée ! Évoquons aussi celles gravies sur coinceurs uniquement, dont et, la plus délicate, celle des On disait que c’était du « clean climbing » ou de l’escalade propre qui devenait un peu en vogue (5). S’entraîner par n’importe quel temps, même sous la pluie ou en hiver, par grand froid avec un sac lourd n’était pas rare. Pour passer le plus vite d’une voie à l’autre, on se tire à des mousqueton­s en cas de besoin. L’évaluation des difficulté­s est encore floue, on ne travaille ni les voies ni les passages, mais le libre devient l’obsession grandissan­te. Après les 6b, Yves réussit sans travail, dès 1978, les premiers 6c et 7a, comme et qu’il fait dès 1981 en solo intégral, premier 7a de Suisse gravi de cette manière. La magnésie commence à blanchir certaines prises et les longues sangles nouées sont remplacées par des dégaines cousues. Par la suite, nous sommes moins actifs à Saint-Loup afin de porter nos efforts sur de longs itinéraire­s surtout rocheux. Mais nous y retournons néanmoins encore. En 1982, le tessinois Marco Pedrini, alors étudiant à Lausanne, auteur d’impression­nants sauts à partir de ponts afin de s’entraîner à chuter (6) innove : il équipe du haut et travaille la voie premier 7b à Saint-Loup, qu’Yves enchaîne peu après. En 1984, Fred Nicole réalise, à quatorze ans, une performanc­e hors normes, la première longueur de Grand-père (qui est alors une voie d’artif) en libre, 7c ! Fred et son frère François, qui deviendron­t des grimpeurs parmi les meilleurs au monde, considèren­t Saint-Loup et le bloc comme un but en soi. Ils vont y multiplier les voies les plus difficiles et établir de nouvelles références en Suisse et au-delà. En 1993, Fred réussit la première de 9a, la troisième voie au monde de ce niveau.

Un mot encore sur Saint-Loup, qui doit son nom à l’hôpital situé en face de la falaise. Il a été créé en 1852, par l’Institutio­n des Diaconesse­s, dans l’ancien Hôtel des Bains. Les Soeurs reçoivent des patients, peu après ce lieu devient l’hôpital de Saint-Loup.

En ce qui concerne le Nozon (nouvelle eau) qui coule dans un vallon discret et paisible, il passe près de la base de la falaise pour se séparer juste après : une partie va au nord par l’Orbe rejoindre le Rhin et se jeter dans la Mer du Nord, et l’autre continue au sud, via la Venoge et le Rhône, pour alimenter la Méditerran­ée. Ce qui explique, à Pompaples, le village en aval de la falaise, le panneau « Au Milieu du Monde. »

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Page de droite, en haut : Francois Nicole, Marcel Remy, Michel Ziegenhage­n, et des Soeurs de Saint-Loup.
Page de droite, en bas : La falaise et l’hôpital de Saint-Loup se font face.
CI-dessous : Yves Remy dans L’impossible (7a) à Saint-Loup. Page de droite, en haut : Francois Nicole, Marcel Remy, Michel Ziegenhage­n, et des Soeurs de Saint-Loup. Page de droite, en bas : La falaise et l’hôpital de Saint-Loup se font face.
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 ?? Deux mousqueton­s normaux). Si différents freins existent déjà depuis longtemps (le Allain, la plaque Charlet…), c’est le Huit qui devient le plus apprécié ainsi que pour assurer le premier de cordée. Dès 1977, au Verdon, on commence à accéder à certaines  ??
Deux mousqueton­s normaux). Si différents freins existent déjà depuis longtemps (le Allain, la plaque Charlet…), c’est le Huit qui devient le plus apprécié ainsi que pour assurer le premier de cordée. Dès 1977, au Verdon, on commence à accéder à certaines

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