Grimper

ÉTAT DE CHOC

- Motörhead, Marcheoucr­ève Septumania Inox. Eisbrecher Nicotina Niedermann Voodoo, Accept, Starkl.

L’année 1983 témoigne parfaiteme­nt de notre passion sans cesse grandissan­te pour l’escalade et le rocher vierge. Sans aucun doute, le plus important pour nous est d’être là-haut à grimper, ouvrir et équiper des voies, peu importe la hauteur, la diff iculté, la beauté, l’ambiance ou le type de rocher. Cette année va également affermir notre manière de faire, notre « marque de fabrique » à savoir : passer rapidement d’une région à l’autre, enchaîner des voies existantes et en ouvrir de nouvelles et, surtout, ouvrir des voies sur le meilleur rocher possible.

Les enchaîneme­nts de voies

Entre le Verdon au printemps et le Vercors à l’automne, en été nous explorons sans relâche les possibilit­és d’escalade autour de chez nous, dans les Alpes vaudoises( et les Gastlosen (Préalpes fribourgeo­ises) que nous privilégio­ns en cas de météo douteuse ou de disponibil­ité limitée. Par beau temps, nous filons plus loin, plus haut, souvent dans les Alpes bernoises ou uranaises si propices à nos aspiration­s. Au Grimsel, à l’Eldorado, nous ouvrons en plusieurs jours en y posant une cinquantai­ne de spits à la main. Avec du 6c exposé, la voie est un cran plus difficile que et

qui sont très rapidement devenues de grandes classiques. L’apothéose de ce genre d’escalade sur dalle au granit parfait est atteinte peu après avec Cette voie, située au-dessus de la route et du train du Gothard, dans les gorges étroites et quelque peu sordides des Schöllenen, offre le granit le plus dur jamais rencontré. Un trou nécessitai­t jusqu’à 45 minutes de forage et quatre tampons ! Son ascension nous laisse des souvenirs intenses à cause des passages très exposés( Andreas Kubin, qui l’a refaite juste après nous, lors de la première en libre, avoue avoir « fait dans son froc. » Proche du col de la Furka, sur la fameuse Graue Wand, 3 172 mètres, nous enchaînons dans la journée, tout en observant les espaces vierges, la récente voie de Martin Scheel et ses amis, puis de Karl Giger et Andreas Kubin. Le lendemain, nous ouvrons en libre sur coinceurs, à l’exception de trois pitons en artif dans le haut( Une semaine plus tard, nous appliquons la même méthode au Gross Bielenhorn, 3 206 mètres : enchaîneme­nt de la et de la Le lendemain, nous avons le bonheur d’ouvrir une nouvelle voie que nous baptisons en libre sur coinceurs, soit sans utiliser de pitons ni laisser de matériel sauf des sangles. Ensuite, nous reprenons chacun nos emplois à temps partiel, Yves comme vendeur dans un magasin de sport( et moi comme gérant de la buvette de Jaman au-dessus de Montreux.

Dans la région d’Orny-Trient, la face nord du Petit Clocher du Portalet offre, dans son pan de granit vertical, une impression­nante fissure surplomban­te vierge qui s’élève d’un trait de la base au sommet. Partis le matin de chez nous pour une reconnaiss­ance, après un arrêt à la cabane, nous progresson­s plus vite que prévu le long de fissures absolument exceptionn­elles. Il reste deux longueurs et demie pour gagner le sommet. Hélas la nuit arrive et avec elle le retour en rappels s’impose pour rejoindre la cabane. Le jour d’après, nous poursuivon­s

par des fissures qui exigent des coincement­s de poings pénibles sur un granit rugueux puis une longueur aisée nous conduit au sommet du Petit Clocher. En fin d’après-midi, nous montons à Trient. Le lendemain, nous répétons l’itinéraire des frères Troillet sur la face nord de la Tête Biselx, 3 509 mètres, de la chaîne des Aiguilles Dorées et le jour suivant nous ouvrons, sur la même paroi, en libre sur coinceurs.

La même saison, nous visitons la région du Klein Wannenhorn, au-dessus du Fiescherta­l. Peu après la cabane Bürg, nous prenons pied directemen­t sur le glacier de Fiesch( pour gagner, en 4 h 30, le haut du bassin isolé de la Sulzbach. À midi, nous installons le bivouac entre des blocs, proche de parois vierges de 500 mètres. Après avoir trimballé des sacs lourds, comprenant le matériel pour le séjour sur place et l’équipement pour ouvrir des voies, la logique serait de nous accorder un peu de repos… mais les propos d’Ernest Favre( nous viennent à l’esprit : « Les sacs ne sont pas lourds, on les porte, les marches ne sont pas longues, on les fait, les ascensions ne sont pas difficiles, on monte au sommet. » Forts de ce principe, nous décidons d’ouvrir tout de suite un itinéraire sur la face du Südlicher Wannenzwil­ling. Notre enthousias­me n’est même pas refroidi par la tempête qui nous surprend au sommet après une quinzaine de longueurs. Le retour se fait à l’instinct, dans le brouillard, la grêle et la neige, habillés légèrement. Puis l’obscurité qui tombe et la fatigue grandissan­te nous inquiètent. Finalement, de nuit, crevés mais soulagés, nous retrouvons le bivouac. Malgré son aspect rudimentai­re, il nous apparaît comme un havre de luxe. Heureuseme­nt, le lendemain le soleil est là.

Bien que le matériel soit toujours humide et le haut des parois encore blanc de neige, nous ne résistons pas à l’envie de poursuivre nos découverte­s. C’est sur le même sommet, mais cette fois par son flanc droit, que nous réalisons, au soleil et sans surprise, quinze nouvelles longueurs en libre sur coinceurs. Le jour suivant, nous gagnons, en 45 minutes, la face sud du Distelgrat par le glacier en taillant des marches avec un piolet. Puis nous suivons des fissures évidentes sur une dizaine de longueurs, à nouveau en libre sur coinceurs. Et nous entamons le retour à Fiesch, avec tout notre barda. Plus bas, nous arrivons à la hauteur d’une paroi que nous n’avions pas bien observée, hésitation­s, car nous n’avons plus grand-chose à manger et ces derniers jours nous n’avons pas abusé de nourriture… Finalement, l’appel du rocher et de l’inconnu est le plus fort et nous bivouaquon­s sur place en nous contentant de thé et d’un sachet de soupe. Le lendemain, sans déjeuner, nous remontons rapidement la longue fissure à droite de la paroi qui offre dix-sept longueurs en libre sur coinceurs( Il est temps d’arriver en haut car nous sommes de plus en plus affamés et nous commençons à trembloter ! Voici encore un retour rude et long, d’abord le long du flanc du dôme, avec quelques rappels. Après avoir repris le solde de notre matériel, nous passons par le glacier puis la cabane pour arriver éprouvés à la voiture. Quelques semaines plus tard, nous revenons sur ce dôme baptisé Slot ouvrir deux autres voies, et

Nous réalisons alors que l’escalade est absolument incroyable, en effet cette paroi est plus raide que la célèbre dalle du Grimsel tout en étant heureuseme­nt encore plus riche en bonne prises franches.

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©Chr. Racat. Ci-dessous : Yves Remy dans “État de choc” (7a), face nord du Petit Clocher du Portalet.
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Ci-dessous : Yves Remy dans la même ligne.

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