DERRIÈRE L’EXCELLENCE, N’OUBLIONS PAS LES ÉMOTIONS
On nous reproche souvent, à nous les journalistes de grimpe, de ne nous intéresser qu’ aux cotations, aux chiffres et à la performance. Et il est vrai, pourquoi le nier, que ce chiffre, cette lettre et parfois ce « + » produisent sur l’écrasante majorité des amateurs d’escalade, qu’ils l’assument ou qu’ils le nient en bloc, une certaine fascination. Ceux qui nous assènent l’impitoyable critique ont donc dans une certaine mesure raison : oui, les cotations nous intéressent. Mais il y a aussi, derrière ce reproche, l’idée que la « perf » est nécessairement en concurrence avec tout le reste, comme s’il nous fallait choisir entre la performance d’un côté et l’esthétique, le plaisir et la spiritualité de l’autre.
Nous nous sommes longuement demandé comment Luce Douady a pu marquer à ce point les esprits de tous ceux qui l’ont côtoyée de près ou de loin… Eh bien la réponse est peut-être là, dans l’ hommage que lui rendent ses proches, sa famille, ses amis, ses entraîneurs( P 14), où l’on découvre, témoignage après témoignage, qu’elle était capable de transcender toute forme d’opposition entre la « perf » et le reste. L’excellence sportive, loin de phagocyter ses qualités humaines, au contraire les magnifiait. Les plus grandes ambitions en compétition comme les projets extrêmes en falaises se teintaient toujours de cette émotion, qu’elle transmettait si bien, mais aussi de bienveillance, d’esthétique, de créativité, de passion et, à 16 ans déjà, de sagesse. Tout allait ensemble ; choisir eut été absurde.
Grimper ne doit jamais laisser le souvenir de Luce Douady s’enfouir trop profondément. Que notre canard se laisse envahir par son approche de l’escalade, ambitieuse certes, mais véhiculant une richesse bien supérieure à celles des cotations ou des classements. Pas qu’il faille leur faire la guerre, à ces chiffres, mais plutôt s’en saisir et aller voir quelles histoires, quelles émotions, se cachent derrière. Ainsi, dans ce numéro d’août, au coeur des Calanques, Seb Batel nous narre son ascension en une longueur de la monstrueuse Directede La Concave : une jolie croix, bien sûr, mais surtout un pèlerinage sur les traces de trois visionnaires dont vous découvrirez le nom P26. Aussi et enfin, c’est toujours dans cette optique de mélange des genres, entre aventures épiques, vitalisme obsessionnel, parois de rêves, souvenirs d’enfance, amitié, passion pour le hard rock et quelques chiffres ici et là, que les frères Remy reviennent pour nous sur 50 années passées à ouvrir inlassablement de nouvelles voies à travers l’Europe (P42). L’histoire de famille, d’ailleurs, se poursuit : à 97 ans, Marcel, leur père, le doyen de notre microcosme, grimpe encore dans du 5c, en tête s’il vous plaît. Sur ce, dans du 4c ou du 8c, mais toujours dans le respect des gestes barrière, bonne fin d’été à tous.