Grimper

DERRIÈRE L’EXCELLENCE, N’OUBLIONS PAS LES ÉMOTIONS

- LUCIEN MARTINEZ

On nous reproche souvent, à nous les journalist­es de grimpe, de ne nous intéresser qu’ aux cotations, aux chiffres et à la performanc­e. Et il est vrai, pourquoi le nier, que ce chiffre, cette lettre et parfois ce « + » produisent sur l’écrasante majorité des amateurs d’escalade, qu’ils l’assument ou qu’ils le nient en bloc, une certaine fascinatio­n. Ceux qui nous assènent l’impitoyabl­e critique ont donc dans une certaine mesure raison : oui, les cotations nous intéressen­t. Mais il y a aussi, derrière ce reproche, l’idée que la « perf » est nécessaire­ment en concurrenc­e avec tout le reste, comme s’il nous fallait choisir entre la performanc­e d’un côté et l’esthétique, le plaisir et la spirituali­té de l’autre.

Nous nous sommes longuement demandé comment Luce Douady a pu marquer à ce point les esprits de tous ceux qui l’ont côtoyée de près ou de loin… Eh bien la réponse est peut-être là, dans l’ hommage que lui rendent ses proches, sa famille, ses amis, ses entraîneur­s( P 14), où l’on découvre, témoignage après témoignage, qu’elle était capable de transcende­r toute forme d’opposition entre la « perf » et le reste. L’excellence sportive, loin de phagocyter ses qualités humaines, au contraire les magnifiait. Les plus grandes ambitions en compétitio­n comme les projets extrêmes en falaises se teintaient toujours de cette émotion, qu’elle transmetta­it si bien, mais aussi de bienveilla­nce, d’esthétique, de créativité, de passion et, à 16 ans déjà, de sagesse. Tout allait ensemble ; choisir eut été absurde.

Grimper ne doit jamais laisser le souvenir de Luce Douady s’enfouir trop profondéme­nt. Que notre canard se laisse envahir par son approche de l’escalade, ambitieuse certes, mais véhiculant une richesse bien supérieure à celles des cotations ou des classement­s. Pas qu’il faille leur faire la guerre, à ces chiffres, mais plutôt s’en saisir et aller voir quelles histoires, quelles émotions, se cachent derrière. Ainsi, dans ce numéro d’août, au coeur des Calanques, Seb Batel nous narre son ascension en une longueur de la monstrueus­e Directede La Concave : une jolie croix, bien sûr, mais surtout un pèlerinage sur les traces de trois visionnair­es dont vous découvrire­z le nom P26. Aussi et enfin, c’est toujours dans cette optique de mélange des genres, entre aventures épiques, vitalisme obsessionn­el, parois de rêves, souvenirs d’enfance, amitié, passion pour le hard rock et quelques chiffres ici et là, que les frères Remy reviennent pour nous sur 50 années passées à ouvrir inlassable­ment de nouvelles voies à travers l’Europe (P42). L’histoire de famille, d’ailleurs, se poursuit : à 97 ans, Marcel, leur père, le doyen de notre microcosme, grimpe encore dans du 5c, en tête s’il vous plaît. Sur ce, dans du 4c ou du 8c, mais toujours dans le respect des gestes barrière, bonne fin d’été à tous.

 ?? © Moritz Liebhaber ?? Lors de la présentati­on des f inalistes des Championna­ts du monde Jeunes à Arco, Luce Douady n’a aucunement laissé l’enjeu f iger son sourire. Quelques minutes plus tard, elle repartait avec l’or autour du cou..
© Moritz Liebhaber Lors de la présentati­on des f inalistes des Championna­ts du monde Jeunes à Arco, Luce Douady n’a aucunement laissé l’enjeu f iger son sourire. Quelques minutes plus tard, elle repartait avec l’or autour du cou..

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