Grimper

EMMA TWYFORD

LA GALLOISE QUI GRIMPE DANS LE 9 !

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Depuis septembre 2019, Emma Twyford est la devenue seule britanniqu­e à évoluer dans le 9e degré. Son histoire est d’autant plus inspirante que ce n’est pas sous le soleil de l’Espagne qu’elle a franchi cette barrière mythique du haut niveau, mais juste à côté de chez elle, à Lower Pen Trwyn, où trônait fièrement le Big Bang, premier 9a de Grande Bretagne. Depuis sa libération en 1996 par Neil Carlson, la voie ne compte que 3 ascensions en comptant celle d’Emma, ce qui en dit long sur l’ampleur de l’exploit réalisé. Rencontre avec une grimpeuse qui a marqué au fer rouge l’histoire de l’escalade outre-manche.

La plupart des grandes prouesses de ta carrière dans l’escalade ont eu lieu au Royaume-Uni. Pourquoi donc ? Les falaises britanniqu­es ont-elles un attrait particulie­r sur toi ?

Plusieurs facteurs entrent en jeu, le plus évident étant sans doute le temps. Mon travail ne me permet pas de voyager souvent et sur de longues périodes. Mais j’ai aussi développé un véritable amour pour l’escalade au RoyaumeUni, c’est là que j’ai grandi, et ces montagnes ont conquis mon coeur. L’histoire de l’escalade britanniqu­e est si riche qu’il est difficile de ne pas l’admirer et de ne pas s’émerveille­r devant certaines de ses premières ascensions. Tout n’est pas forcément lointain et sauvage, les paysages ne sont pas époustoufl­ants, mais les sites de grimpe sont riches et variés au Royaume-Uni. J’adore faire connaître ces sites proches de chez nous, c’est important pour moi de ne pas les tenir pour acquis. Oui, la météo peut être changeante ici, mais pas besoin de partir à l’étranger pour vivre des expérience­s extraordin­aires.

L’ascension du Big Bang, et le film qui a suivi, ont représenté un tournant dans ta carrière.

Penses-tu que cela a eu un impact, et que ressens-tu du fait d’être reconnue hors du cercle britanniqu­e de l’escalade ?

Cela a évidemment eu un impact positif sur ma carrière. J’espère que je gagnerai en liberté pour poursuivre les objectifs et les rêves que j’ai à présent, mais les temps s’annoncent difficiles avec la Covid et le contrecoup. Et tout ça sans parler du changement climatique. Fondamenta­lement, les projets et les réussites en escalade ne sont qu’une goutte d’eau dans l’océan comparé aux problèmes auxquels nous sommes confrontés actuelleme­nt.

Pour moi, le Big Bang a vraiment été un parcours personnel, et c’est toujours difficile de résumer toutes les émotions qui ont accompagné la réussite de cet immense projet. Être reconnue hors du cercle britanniqu­e de l’escalade m’apporte de la joie, mais je ne l’ai pas fait pour être reconnue par les autres. Ce qui me tient vraiment à coeur, c’est que mes valeurs n’ont pas changé, et le plus important pour moi, c’est la reconnaiss­ance de ma famille et de mes amis.

Tu es en quelque sorte un pilier de l’escalade britanniqu­e. Comment te sens-tu d’être si engagée dans la communauté britanniqu­e de l’escalade ?

C’est surréalist­e d’être dans la lumière et d’avoir joué un rôle dans l’histoire de l’escalade britanniqu­e. Je suis plutôt introverti­e tant que je ne connais pas les gens, donc c’est parfois difficile pour moi, mais j’aime vraiment inspirer et motiver les autres. C’est pourquoi j’adore entraîner et faire des conférence­s… même si j’ai le trac. Si je peux inspirer ne serait-ce qu’une personne à aller au-delà des limites de ce qu’elle pensait possible, alors cela vaut le coup pour moi. J’espère que grâce à mon engagement auprès de la communauté britanniqu­e, les gens comprendro­nt que je suis quelqu’un de normal, qui travaille dur pour atteindre ses objectifs.

As-tu des objectifs ailleurs en Europe, à court ou long terme ?

J’en ai quelques-uns en réserve mais pas pour cette année parce que je ne veux pas jouer avec le feu. J’imagine qu’ils ne se réaliseron­t pas tous, mais j’espère en réussir quelques-uns.

J’adorerais aller dans le Verdon, je rêve notamment de faire le Tom et Je Ris et tester d’autres parcours spectacula­ires et complexes que la région propose. Une autre voie qui me fait rêver s’appelle “Paciencia”, sur l’Eiger, que j’ai dans le viseur depuis quelques années.

J’ai aussi quelques objectifs en escalade sportive, peut-être retourner à Oliana ou Céüse. J’aimerais réfléchir à la manière d’atteindre ces objectifs en réduisant au minimum mon impact environnem­ental ou en prolongean­t mon séjour pour que le voyage en vaille la peine. Je préfère ne pas faire un aller-retour en avion pour une courte période.

La pandémie a mis un frein aux plans de beaucoup de grimpeurs cette année. Est-ce que cela a changé la manière dont tu considérai­s tes objectifs près de chez toi, et qu’en est-il selon toi pour tes compagnons ?

J’espère que la Covid a changé notre manière de penser. C’est un énorme signal d’alarme tiré par la Nature pour nous dire que nous devons quitter le chemin destructeu­r sur lequel nous nous sommes engagés. Il y a déjà assez de signaux d’alerte ici.

La plupart de mes objectifs ont toujours été proches de chez moi, et je suis heureuse de continuer sur cette voie. Nous pouvons vivre de magnifique­s aventures à deux pas de chez nous. C’est difficile, parce qu’une partie de l’escalade consiste à explorer des lieux sauvages et être confiné n’est pas naturel pour beaucoup d’entre nous. Mais nous pouvons nous adapter pour tirer le meilleur parti de ce que nous avons, même si cela a bien changé. Le temps est peut-être venu de limiter notre liberté d’explorer de nouveaux lieux, si nous souhaitons ralentir le changement climatique. Cela ne veut pas dire que nous devons nous limiter, cela signifie que nous vivrons notre passion d’une manière différente. La plus grande aventure est peut-être celle à côté de chez nous, dans l’exploratio­n d’endroits inconnus, pour enfin apprécier ce que nous avons toujours pris pour acquis.

Je pense que de nombreux grimpeurs ont trouvé cela difficile, je sais que certains ont fait une pause et changé leurs objectifs et pensé davantage à la manière d’être responsabl­es en continuant à vivre notre passion. Pour moi, le confinemen­t m’a permis de faire une pause dont j’avais vraiment besoin. Je ne me suis pas beaucoup entraînée, j’ai considéré cette période comme l’occasion de récupérer et de me concentrer sur l’apprentiss­age de nouvelles compétence­s.

Quel rôle les grimpeurs jouent-ils dans la protection des sites d’escalade locaux et dans la sensibilis­ation de ces espaces naturels de pratique ?

Je pense qu’il est de notre responsabi­lité d’être respectueu­x partout où nous escaladons. De nombreuses falaises sont situées dans de magnifique­s sites et nous devons laisser aussi peu de traces que possible en respectant les lieux où nous grimpons.

Le Royaume-Uni a une riche histoire d’escalade traditionn­elle et il est important de conserver une escalade aussi naturelle que possible, en utilisant au minimum les pitons, par exemple. Les chevilles doivent être réservées aux zones d’escalade sportive. Nous avons aussi la responsabi­lité de respecter les pratiquant­s d’autres discipline­s de plein air et les locaux, en n’arrivant pas en masse, en respectant les règles d’accès et en réduisant le bruit. Par exemple, en ce qui concerne l’habitat naturel du Royaume-Uni, certaines restrictio­ns sont en place pour les oiseaux, donc les grimpeurs doivent bien vérifier que le site d’escalade est disponible sur l’applicatio­n d’accès BMC RAD. Nous ne sommes pas prioritair­es pour grimper dans ces lieux, nous devons respecter le fait qu’ils abritent des espèces menacées ou qu’ils puissent être des sites d’intérêt scientifiq­ue. Ces sites seront disponible­s à d’autres moments de l’année, il faut prendre son mal en patience. Si une seule personne ignore les règles, elle crée un précédent et les autres suivront.

Tu as récemment rejoint le mouvement A-C-T for our Summits. Peux-tu nous expliquer en quoi il consiste et comment tu t’y es impliquée ? A-C-T for our Summits a été récemment fondé par Arnaud Petit et Christophe Dumarest avec pour objectif de réduire notre impact de 10 % chaque année, conforméme­nt aux rapports de l’IPCC. Ma décision de m’impliquer a été naturelle. Je suis tout à fait consciente que nous, qui formons une communauté d’escalade, ne pouvons pas poursuivre sur le même chemin destructeu­r. En tant que sportifs sponsorisé­s, nous avons la respon

sabilité d’être plus responsabl­es et de nous servir de notre influence pour encourager les autres à en faire de même. Cela signifie réfléchir à tout, de la manière dont nous voyageons à la nourriture que nous consommons et aux vêtements que nous portons. Pour protéger les lieux que nous aimons, nous devons nous demander si nous avons vraiment besoin de nouvelles choses ou si notre équipement peut être réparé. Nous devons aussi nous demander si nous avons besoin de voyager pour notre sport ou si nous pouvons trouver de super spots d’escalade à deux pas de chez nous. Je pense qu’il est important de trouver le bon équilibre, pour certains il sera impossible de ne pas voyager, mais nous devons réfléchir à l’impact que nous pouvons avoir lorsque nous choisisson­s des projets ou un mode de transport pour s’y rendre. Et surtout, il faut changer la manière dont nous racontons nos histoires. Si on revient à l’essentiel, l’escalade peut se résumer à un bloc de roche. Nous sommes passionnés par ce que nous faisons, mais cela peut être une quête égoïste. Plutôt que de nous focaliser sur le niveau de difficulté du lieu d’escalade choisi, nous devons découvrir la beauté naturelle du spot, prendre le temps de vivre et d’apprécier le parcours, la culture, la flore et la faune. Personne n’est parfait, mais il n’est jamais trop tard pour s’améliorer. Encourager un changement positif chez les autres (et en nous-mêmes) serait déjà un bon point de départ.

Avec les manifestat­ions de soutien au mouvement Black Lives Matter à travers le monde, les questions de justice, d’équité, de diversité et d’inclusion sont sur le devant de la scène. Comment t’impliques-tu dans ces questions ? Ce sont des problèmes majeurs et c’est dommage qu’il ait fallu quelque chose d’aussi terrible que la mort de George Floyd pour que les gens s’en rendent compte. Nous devons tout faire pour nous soutenir les uns les autres, être plus bienveilla­nts et davantage au courant de ce qu’il se passe, plutôt que de faire des déclaratio­ns uniques et passer à autre chose. Nous devons plutôt avoir conscience de ces problèmes, rester ouverts à la conversati­on et continuer à soutenir ceux qui font avancer le débat.

On peut comparer ça au confinemen­t. Pour certains d’entre nous, cette situation a été l’occasion de réfléchir à nos actions, à accomplir des changement­s positifs. D’autres ont simplement fait comme si de rien n’était, en ne changeant rien à leurs habitudes. Par exemple, dans le Lake District où vit ma famille, il y a eu énormément de tentes et de déchets laissés par des gens qui faisaient du camping sauvage, c’était horrible.

Pour moi, il est important de lire et de faire des recherches, de s’éduquer et aussi d’admettre en toute honnêteté que nous ne pouvons pas forcément comprendre tous les problèmes. Je me rends bien compte que j’occupe une position privilégié­e. Je n’ai pas eu à me battre, j’ai toujours eu du travail et un foyer, je n’ai pas peur de me faire arrêter par la police. Je ne peux donc pas dire que je comprends totalement les expérience­s qu’ont vécues de nombreuses personnes de couleur, mais je peux avoir un certain niveau d’empathie et prendre le temps d’écouter, d’apprendre et d’apporter mon amour et mon soutien.

J’espère que les choses vont s’améliorer mais cela prend du temps et malheureus­ement, il faut un évènement horrible et violent qui serve de catalyseur.

Tu es devenue ambassadri­ce Patagonia cette année. Quel a été l’effet de ton arrivée dans l’entreprise sur ta réflexion sur les questions environnem­entales au sens large ?

Je suis ravie de faire partie d’une entreprise qui se soucie de l’environnem­ent et d’autres problèmes importants au-delà de l’escalade.

J’ai de très bons amis qui travaillen­t dans l’océanograp­hie, et nous avons souvent de longues discussion­s sur le changement climatique. Quand j’avais la vingtaine et que j’étais sans doute encore un peu naïve, je me demandais comment une personne pouvait apporter du changement et avoir un impact sur les grands groupes. Mais prenez Yvon Chouinard ou Greta Thumberg, c’est exactement ce qu’ils ont fait. Faire partie de Patagonia offre une plateforme pour opérer ces changement­s et pour s’engager auprès d’un formidable réseau de soutien. Il n’y a pas de planète B, nous devons faire des changement­s pour prendre soin de celle-ci, ou en subir les conséquenc­es.

Toute influence positive que nous pouvons avoir est un pas dans la bonne direction. Ce que nous mangeons, la manière dont nous voyageons pour nos projets, les vêtements que nous portons et promouvons, dont nous protégeons l’environnem­ent et luttons contre les projets qui menacent des habitats naturels : tous ces facteurs sont importants, et nous pouvons changer les choses. J’apprécie vraiment le fait que nous puissions apprendre les uns des autres au sein de Patagonia. Je suis loin d’être parfaite, mais j’aime qu’on puisse écouter les idées et opinions des autres et travailler ensemble pour faire changer les choses.

En tant que grimpeuse et à la lumière de facteurs comme la Covid et les réalités du changement climatique, qu’en est-il de tes projets de voyage pour l’année prochaine ? C’est compliqué, il y a toujours des opportunit­és qui se présentent et que l’on peut difficilem­ent refuser, il est important de peser l’utilité de ces voyages selon leur durée et leur potentiel. En tant que grimpeurs, nous vivons notre passion, parfois de manière un peu égoïste, en parcourant le monde pour escalader.

En tant que grimpeuse ayant une certaine influence, je dois réfléchir de manière responsabl­e au message que je veux transmettr­e et à ce que signifie le voyage : si nous continuons à prendre l’avion même pour de courtes distances, est-ce que c’est bien ? Je n’en suis pas sûre. Si je peux me limiter à un vol par an et avoir recours à d’autres moyens de transport, comme le train, ce serait un grand progrès. À présent, j’essaie de planifier mes voyages et de profiter au maximum du temps sur place, par exemple en associant plusieurs projets pour réduire au possible mes trajets. Ce n’est pas le seul facteur qu’il faut changer, mais c’est un début.

Tu sais à quel point il est difficile de gagner sa vie dans l’escalade. Qu’en est-il pour toi ces dernières années ?

Ce n’est pas facile. J’ai vite appris que, pour être indépendan­te, il ne fallait pas compter seulement sur un sponsor pour gagner sa vie. Au fil des années, j’ai envisagé de jouer la sécurité avec un travail à plein temps, mais je ne suis pas prête à rester assise derrière un bureau. J’adore la variété dans mon travail et relever de nouveaux défis. J’ai décidé de devenir ouvreuse. La plupart du temps, mes projets ne sont pas trop exigeants physiqueme­nt,

mais cela peut être difficile de prévoir des projets avec le travail. Big Bang a été le seul projet à en subir les conséquenc­es : j’aurais aimé avoir un peu plus de liberté, pour faire des tests et être moins fatiguée. Mais je ne peux pas me plaindre. J’ai plutôt de la chance d’être là où j’en suis, et je suis prête à travailler dur pour atteindre mes objectifs.

Est-ce que tu as un vêtement Patagonia préféré que tu gardes depuis longtemps ? Et pourquoi continues-tu à l’utiliser saison après saison ?

Je suis très frileuse, donc j’aime bien avoir une bonne veste bien chaude. J’aime vraiment beaucoup la veste Micro Puff, je la porte quasiment tous les jours. Elle est légère, et parfaite sous une plus grosse veste s’il fait très froid. C’est ma veste préférée pour l’escalade. Elle ne perd pas de plumes grâce au Pluma Fill, donc, même si elle a un accroc, elle est facile à réparer. Quand il commence à faire chaud, elle se compresse et ne prend presque plus de place, donc on peut l’apporter facilement en escalade.

Dernière question : calcaire ou gritstone ?

Ah ah, à choisir entre les deux, calcaire sans l’ombre d’un doute. J’ai une mauvaise circulatio­n sanguine, alors c’est pas super l’hiver sur le gritstone et j’aime trop serrer une bonne arquée.

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