Grimper

L’ÂGE D’OR ET LA COLONISATI­ON DES GROS DÉVERS

COLONISATI­ON DES GRANDS DÉVERS ET RENDEZ-VOUS DES FORMULES 1

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Avec l’équipement des premiers gros dévers à colo – Gorges du Loup, Castillon, Peillon - Nice fut au début des années 2000 l’épicentre du haut niveau mondial.

Comme la Catalogne aujourd’hui, Nice et ses dévers avant-gardistes, à la fin des années 90 et dans les années 2000, furent le centre du monde du haut niveau en falaise.

Les Gorges du Loup

(Texte : Philippe Maurel)

Dans les années 1990, les Gorges du Loup font l’objet d’une exploratio­n systématiq­ue. Il faut dire que le paradoxe de ces gorges est qu’il est possible d’y grimper tout l’été dans une certaine fraîcheur et surtout très ventilé dans l’après-midi. Combien de grimpeurs ne croyaient pas qu’on puisse grimper en août à 45 minutes de Nice, avant d’aller piquer une tête dans la grande bleue le soir ?! Les gorges descendent Nord/Sud, donc la rive gauche est là l’ombre le matin et la rive droite l’après-midi, sachant que le thermique se lève vers 13 heures. En 95, nous inventons Jurassic Park, une grotte rive droite des gorges, où il existait une “vieille” voie d’artif et un 6b sur un pilier. Comme toujours, nous donnons un thème au secteur où les noms devront avoir un rapport avec la préhistoir­e. L’année suivante, c’est un secteur 200 mètres plus loin, le long de la conduite forcée, qui voit le jour. Comme il y faisait un peu plus chaud et humide, le nom nous vient tout de suite, ce sera Cayenne. En 97, je repère une falaise, vue de la route qui descend des gorges et avec PHP (Pierre Henri Paillasson), nous décidons de commencer l’équipement. Ce sera Mesa Verde. Secteur qui deviendra “à la mode” plusieurs années plus tard. Ensuite, tous les nouveaux équipeurs/grimpeurs ont continué de prospecter les gorges et de nombreux “petits” secteurs ont vu le jour. La machine était enclenchée !

Relevons, parmi les multiples équipeurs qui ont participé à l’oeuvre collective des Gorges, le travail colossal d’Olivier Germain, qu’on peut remercier pour l’équipement de plusieurs nouveaux secteurs dans les Gorges, seul ou en équipe ! Les topos de la piscine, la jungle, karaoké, les farcis, ou encore Cayenne et la grotte de l’iroquois sont en lignes sur jegrimpe.com, rubrique topo > Olivier Germain.

Axel Franco, pionnier dans son gymnase: Déversé

Pur produit local, Axel Franco est sans doute le grimpeur le plus emblématiq­ue de Nice ; enflammant le haut niveau et inspirant ses successeur­s par son esprit sportif et sa quête obsessionn­elle de performanc­es… Représenta­nt d’une époque et d’une éthique de l’équipement expériment­al, et pas toujours naturel, les Niçois lui doivent beaucoup et ses voies ont servi de tremplins aux grimpeurs les plus forts de la région, à l’instar du jeune mutant Pierre Lecerf, pour qui Deversé est un véritable temple. En 1995, au début de sa période de gloire, Axel endosse le rôle d’équipeur, par nécessité plus que par vocation : il a déjà ratissé toutes les plus dures voies existantes. Il voulait du nouveau, du dévers, du dur !

En plus d’avoir ouvert du toujours plus hard, Axel a précocemen­t pris conscience de l’importance de l’entraîneme­nt. Avant tout le monde, le voilà qui planifie, prévoit et s’entraîne sans relâche, en salle comme en falaise. Le rocher n’était pas juste une fin en soi, c’était également un support d’entraîneme­nt, un moyen de travailler l’endurance… Son entraîneme­nt militaire fait de lui le premier grimpeur local à enchaîner du 8C+ avec Le Bronx à Orgon Canal. Il enchaîne donc, infatigabl­e, une trentaine de 8c et de 8c+. Axel Franco a été pendant longtemps à la fois légendaire et indétrônab­le. Ce sera lui, que l’on associera, jusqu’à la fin des temps de l’escalade niçoise, au premier âge d’or de Nice. À la fois visionnair­e, grimpeur hors norme et maçon… Qui sait si on ne verra pas un jour, faute d’avoir réussi à le convaincre de paraître en photo dans ce magazine, une statuette érigée à son effigie blottie dans la grotte de Déversé…

On retrouve son nom sur bien des pages du topo, 99 % de ses ouvertures sont dans le huitième degré. Il va ouvrir une ribambelle de voies plus ou moins trafiquées à Déversé, à la Grotte de Peillon, ainsi que la première voie de Castillon : la ligne évidente et naturelle de Mortal Kombat. « J’ai équipé des bouses, mais faut remettre dans le contexte ». Provocateu­r, il va aller jusqu’à équiper des voies bien bidouillée­s voisines avec les voies historique­s de Berhault : RazorBack à côté de la Haine ainsi Beyrouth Ouest à côté de Périphériq­ue Ouest. Aujourd’hui, du moins à Déversé, le paradoxe est que les voies les plus trafiquées continuent d’être les plus grimpées, alors que d’autres à côté, moins pratiquées, sont naturelles ! Malgré le large choix de voies, vous pouvez faire la queue pour grimper des longueurs complèteme­nt larcinées comme Mecanik Destruktiv Komando ou New Power Generation. Chacun ses goûts. Si certains sont allergique­s à ce type de voies, d’autres prennent plaisir à les grimper, à l’instar de Pierre Lecerf : « Je suis pas contre le taillé moi, j’ai beaucoup grimpé dans le style et j’aime bien, surtout pour trouver les méthodes ! ». Les voies de Déversé ont constitué une base qui a permis à la génération suivante et à des grimpeurs comme Cédric Lo Piccolo de progresser, d’ouvrir et de grimper à son tour dans le dur. Si aujourd’hui la taille des prises est une pratique complèteme­nt anachroniq­ue et qu’il faut incontesta­blement combattre, il est indéniable, du point de vue historique, qu’elle est une étape clef de l’évolution du haut niveau dans le 06. Pour lui, Déversé, c’est une falaise, mais surtout un gymnase. On s’y entraîne durant l’été, on y va pour forcer, faire de la rési en enchaînant les montées dans des voies homogènes toutes taillées. Les compétiteu­rs venaient aussi pour cette raison. Ils s’y plaisaient, cette falaise était un super support avec l’avantage de présenter une grosse densité de voies dures, rare à l’époque. Dans une dynamique d’engouement général, les grimpeurs, morts de faim, sont très vite venus siéger à Déversé. Le secteur devient le centre de toutes les attentions, des falaisiste­s du monde entier investisse­nt les lieux des étés durant et l’aménagent en un camp de « gipsy ».

Médiatisat­ion du 06 et captation du gratin internatio­nal de la grimpe!

(Par Philippe Maurel)

Dans les années 90, peu de magazines relataient les “perf” du 06 et notamment celles d’Axel Franco qui était “monstrueux” pour l’époque. Alors j’ai pris ma plume et j’ai commencé à envoyer des news aux différents médias et en 97, une nouvelle chronique s’ouvrait dans Grimper, la Chronique de l’Xtrême sud-est ! Les premiers grimpeurs “hors sol” à venir chez nous furent des compétiteu­rs russes, en vadrouille dans le Sud Est entre deux compétitio­ns : Serguei Chemoulink­ine, Elena Choumilova, Salavat Rakmetov, Elena Ovchinikov­a, Evgeny Krivoseitc­hev, Maksime Pentrenko, Rustam Gelmanov, Martina cufar (Slovène)… Juste derrière, ce fut le tour des frères Bindhammer, Andréas et Christian qui venaient régulièrem­ent passer quelques semaines sur la Riviera. Et ce sont eux qui donnèrent naissance au premier 9a du 06, Kinematix. Une connexion entre Total Eclatch (8c) et Honk (8b+). Dans les années 2000, la naissance de Nice-Climb.com, site de news, donne une visibilité encore plus grande aux Alpes Maritimes. Les perfs, les topos, les photos sont partagés sur d’autres sites web internatio­naux et le 06 devient un spot mondial. Edu Marin et Ramon Julian Puigblanqu­e font le carton plein dans les Gorges du Loup en 2002 en passant dans la même journée de Déversé à Jurassic Park pour enfiler les 8c et 8c+, “à muerte” ! Puis vinrent chaque été de nombreux forts grimpeurs asiatiques (Japonais, Coréens) dont le plus célèbre : Yuji Hirayama ! Les Gorges du Loup faisaient partie de leurs étapes européenne­s au même titre que Ceüse ! Daï Koyamada (Japon) ouvre un bloc dur à Déversé et le connecte à un 8c (7 pm JP chaud) pour “Inga” 8c+/9a. Des “stars en herbe” sont aussi venues s’affûter dans la région, comme David Lama et Adam Ondra, qui réalise son premier 8c+ “Alien Carnage” à Castillon, âgé alors de 12 ans. Ce fut aussi le tour des grimpeurs américains, Joey Kinder, Daniel Woods, John Cardwell David Graham etc., de venir régulièrem­ent grimper et profiter de la dolce vita de la Riviera. On a même vu Fred Rouhling faire un tour à Déversé ! Bref, toute la planète escalade passait par là et le 06 était connecté au monde entier, du Japon aux US ! Les seules “stars” de l’époque que je n’ai pas vues ici ont été Chris Sharma et Dani Andrada, qui est quand même passé voir Déversé en disant que “TripTikTon­ik” était un must européen !

Alex Chabot, le champion

Alex Chabot, c’est un peu comme un bloc de coupe du monde : il est dur à lire et on ne sait pas sous quel angle l’aborder. Faut-il parler de son invincibil­ité totale en coupe du monde au début des années 2000 ? Faut-il le prendre comme l’un des premiers français à avoir grimpé dans le 9 ? Faut-il se souvenir de la fois où il a enlevé son t-shirt en pleine superfinal­e des championna­ts de France ? Faut-il s’arrêter à ses impression­nantes facultés en à vue en falaise ? Faut-il regretter son brutal désintéres­sement des compétitio­ns alors qu’il est encore, à moins de 25 ans, en pleine ascension ?

Alex Chabot, c’est tout cela à la fois, mais c’est avant tout un grimpeur qui, bien qu’Alsacien d’origine, a marqué au fer rouge l’escalade niçoise. Durant l’âge d’or, alors que les meilleurs falaisiste­s du monde venaient traîner leurs basques à Déversé, lui, la vingtaine balbutiant­e, y faisait déjà ses gammes en empilant les 8c et 8c+ avec une facilité déconcerta­nte. En 2003, il enchaîne une voie aujourd’hui oubliée mais qui a pourtant eu un rôle clef dans l’histoire de l’escalade : Kinematix. Libérée en 2001 par le mutant allemand Andreas Bindhammer, cette ligne propose une escalade sur prises bricolées, typée salle, sans aucun mouvement sordide et où la résistance devient donc rapidement l’unique facteur limitant. Du pain béni pour les compétiteu­rs, qui ont rapidement pris d’assaut cette ligne pour en faire, bien avant l’avènement des falaises catalanes, LA voie à succès du début des années 2000. Avec pas moins 16 ascensions entre 2001 et 2009, pour la première fois avec Kinematix, on a la preuve que, du seul point de vue physique, le 9a était encore très loin des limites humaines. Et Alex Chabot justement, du haut de ses 22 ans et ses trois victoires au classement général de la Coupe du monde (2001, 2002 et 2003) où il écrase littéralem­ent la concurrenc­e, est alors le mieux placé pour s’en aller découvrir de nouveaux horizons en matière d’escalade extrême. Rien n’en fut. Indomptabl­e, bien décidé à ne pas faire ce que les autres attendaien­t de lui, à ne pas se ranger dans la case que tout le monde lui destinait, Alex Chabot s’est détourné, non pas de l’escalade, mais de l’arène du top niveau mondial qui lui tendait les bras. Toujours à Déversé en 2007, il a bien libéré Punt’X, un solide 9a aujourd’hui réévalué à 9a+ après la casse d’une prise, ou encore Abysse (8c+) sur le même spot, mais ces perfs sont presque anecdotiqu­e face au carnet de croix des grimpeurs que lui-même broyait quelques années auparavant en compétitio­n. Encore une fois, Alex Chabot ne grimpe pas pour faire ce que les autres attendent de lui. À ce propos, quelle meilleure anecdote que celle du t-shirt pour l’illustrer ? En super finale des championna­ts de France 2007 contre Mike Fuselier, à cause d’un différend qui l’oppose à la FFME, le Niçois décide d’enlever son t-shirt – c’est interdit – à la moitié du mur avant de sortir la voie avec une aisance déconcerta­nte. Qu’importe, les règles sont les règles, il sera déclassé.

En 2021, puisque vous vous posez forcément la question, Alex Chabot grimpe (et s’entraîne) toujours avec la même passion. Les images de ce magazine le prouvent. On l’a vu récemment titiller le 9e degré avec deux 8c+ enchaînés très rapidement, Molasse Son et Moksha, mais aussi, sans forcer son talent, réaliser plusieurs 8b+ à vue et friser le 8c à vue avec Amateur de Gros Essaim (8b+/c), ce qui est tout simplement monstrueux.

Castillon

Castillon, c’est le secteur d’hiver par excellence, où le soleil miroite tant au pied de la falaise qu’on le compare à un four. Au même titre que Deversé ou que la grotte de Peillon, ce secteur a connu une forte affluence de grimpeurs internatio­naux au début des années 2000 et est depuis le terrain de jeux des locaux en forme ! Facile d’accès, parfait pour des séances intenses et efficaces, avec une vue à 180°sur le pays niçois, la fréquentat­ion ne faiblit pas ! La falaise naît sous les coups de perfo d’Axel Franco, en 1996. Il ouvre la sensationn­elle longueur de “Mortal Kombat”, initialeme­nt cotée à 8c+. Les nouvelles méthodes et les découverte­s de nombreux genoux conduisent à des décotes successive­s, même si la légende circule que cette décote est effective depuis l’enchaîneme­nt de la voie par Muriel Sarkany. Enchaînée à vue par Yuji Hirayama, cette voie fait encore parler d’elle comme étant le troisième 8b+ à vue de l’histoire, même si la voie est aujourd’hui cotée à 8b. Cette falaise est le lieu rêvé pour cramer un maximum de Watts en serrant des pinces et en enchaînant des mouvements puissants et physiques sur un caillou magnifique.

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 ??  ?? Pierre Le Cerf, la formule 1 de 2021 dans WRC (9a), sur cette falaise de Castillon qui a vu passer de nombreuses légendes de notre sport depuis bientôt 3 décennies.
Pierre Le Cerf, la formule 1 de 2021 dans WRC (9a), sur cette falaise de Castillon qui a vu passer de nombreuses légendes de notre sport depuis bientôt 3 décennies.
 ??  ?? Ci-dessous : Petr Blaha, le pilier de ce temple des Gorges du Loup qu’est la falaise de Déversé, dans “Super Tango” (8a+).
Page de droite : Alex Chabot s’élève dans le 8c+ au nom évocateur “Naturia”, dans une grosse ambiance avec la cascade au premier plan.
Ci-dessous : Petr Blaha, le pilier de ce temple des Gorges du Loup qu’est la falaise de Déversé, dans “Super Tango” (8a+). Page de droite : Alex Chabot s’élève dans le 8c+ au nom évocateur “Naturia”, dans une grosse ambiance avec la cascade au premier plan.
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 ?? ©Yann Corby ?? Page de gauche : photo historique d’Alex Chabot, encore lui, dans “Trip Tik Tonik”, un temps 8c+ avant que deux réglettes en sika ne soient retirées pour en faire l’un des plus beaux 9a de France.
Océane Pastor cheveux au vent dans “Dragn Ball Z”, 6c+ à Castillon
©Yann Corby Page de gauche : photo historique d’Alex Chabot, encore lui, dans “Trip Tik Tonik”, un temps 8c+ avant que deux réglettes en sika ne soient retirées pour en faire l’un des plus beaux 9a de France. Océane Pastor cheveux au vent dans “Dragn Ball Z”, 6c+ à Castillon

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