Stratégie
L’ergonomie, un trait d’union indispensable entre bien-être et productivité
+ LOSBERGER FRANCE, Maison Fourrier,
2axes, ERGOFFICE.
Selon une étude publiée en février dernier sur « la vie des français au bureau » réalisée conjointement par TNS Sofres et ce leader des fournitures et mobilier de bureau BtoB qu’est Bruneau, 68% des français se déclarent plutôt satisfaits de leur vie quotidienne au sein de leur entreprise. Pourtant, derrière ce « tout va très bien monsieur le directeur », se profile une impressionnante dimension de « je t’aime moi non plus » pour reprendre le titre d’une fameuse ritournelle de Serge Gainsbourg. Plusieurs autres études montrent en effet que si un grand nombre de nos concitoyens sont très attachés à la notion de travail, ils n’aiment pas souvent le leur. Un paradoxe que les spécialistes expliquent en majeure partie par des conditions de management et d’organisation qui se dégradent amenant à des sentiments d’insécurité et de pression constante. Une mauvaise qualité des relations sociales finissant par pénaliser les objectifs de productivité et de rentabilité indispensables à la pérennité de l’entreprise en raison du stress engendré et des conséquences fâcheuses du type arrêts maladie, dépression et autres maux physiques et psychiques qui en découlent. Parmi les pistes aujourd’hui intéressantes à explorer en matière de prévention des maladies professionnelles, celle de l’ergonomie pourrait bien se révéler la réponse adaptée à cet indispensable besoin de (ré)concilier économie et bien- être.
Dans le langage de la médecine du travail, les uns sont appelés TMS et les autres RPS. Autrement dit, troubles musculo-squelettiques pour le premiers, risques psycho-sociaux pour les seconds. Largement reconnus aujourd’hui par les Directions des Ressources Humaines, la médecine du travail et l’Assurance Maladie, ces troubles que l’on rencontre dans les bureaux comme dans les ateliers et qui, sur le plan physique, affectent les muscles, les tendons et les nerfs des membres supérieurs et inférieurs (épaules, coudes, genoux, cou et dos) sont à eux seuls responsables de 85% des arrêts maladie. « Soit chaque année 8 millions de journées non productives coûtant très cher non seulement aux entreprises, mais également à la collectivité dans son ensemble » souligne Philippe Pajot, fondateur et dirigeant d’ergon 360, une société spécialisée dans l’ergonomie, l’innovation et la santé au travail. Des TMS curieusement méconnus par les dirigeants d’entreprise puisqu’à l’heure actuelle une infime partie d’entre eux font appel à des ergonomes à titre tant préventif que curatif. Les RPS, à savoir le stress, le harcèlement, le burn out (traduisez par syndrome d’épuisement professionnel), bref toute cette
souffrance morale aux conséquences graves, voire parfois dramatiques, pour la santé physique et mentale des salariés, même si celleci se retrouve depuis quelques années sous les feux des médias lors d’évènements aussi désolants que des suicides en série, ne se retrouvent cependant pas mieux lotis sur le plan de leur prise en compte. Alors qu’aux EtatsUnis est mis en oeuvre depuis 2001 et à l’initiative du service de santé mentale du Henry Ford Health System le programme « Perfect Depression Care Initiative » dans le cadre d’une entreprise de refonte de l’organisation des soins de la dépression afin de parvenir à un taux de zéro suicide chez les salariés, sous nos cieux hexagonaux toute cette démarche de prévention, en dépit des efforts des pouvoirs publics en ce sens de sensibilisation, continue à être mal évaluée par la plupart de nos entreprises. Pourtant, sur ce chapitre des RPS, l’ergonomie peut s’avérer un précieux outil dans sa manière d’appréhension et de compréhension de l’organisation et du management de l’entreprise. En octobre 2012 d’ailleurs, s’était déroulée la première édition d’Ergora Paris, forum de l’innovation entièrement dédié à l’ergonomie au travail visant à mobiliser les dirigeants des PME/PMI, la médecine du travail, les DRH, les designers, les architectes d’intérieur, les universitaires, les chercheurs, les sociologues et les industriels pour améliorer l’efficacité globale des
entreprises et le bien-être des salariés. Une première session qui, malheureusement et d’après nos informations, a constitué aussi la dernière …
>> Une pratique pluridisciplinaire
Condensé des mots grecs ergon (travail) et nomos (lois, règles), l’ergonomie puise ses fondements dans les diverses sciences ayant trait au comportement humain (physiologie, médecine, psychologie, sociologie, linguistique, anthropologie, économie, management) afin de les mettre au service de l’homme au travail. Autant d’éléments permettant de définir l’ergonomie comme l’étude scientifique de la relation entre l’homme et ses moyens, les méthodes et les milieux de travail et l’application de ces connaissances à la conception de systèmes pouvant être utilisés avec le maximum de confort, de sécurité et d’efficacité par le plus grand nombre. Si une diversité de concepts et de méthodes forment un socle de connaissances communes à tous les praticiens de l’ergonomie, il est intéressant de savoir qu’au XIXe siècle, celle-ci comptait déjà deux
grands apôtres : le polonais Wojciech Jastrzebowski, auteur du premier « Précis d’ergonomie » publié en 1857 et le français Jean-Gustave Courcelle-Seneuil dont le « Traité théorique et pratique d’économie politique » paru en 1858 accorde une large place à l’influence de l’ergonomie sur les rouages industriels. « L’ergonomie est une pratique totalement pluridisciplinaire et se définit, à mon sens, par l’objectif à atteindre et non par une seule méthode. Elle utilise des connaissances et des méthodes issues à la fois de la physiologie du travail, de la psychologie cognitive qui touche à la mémoire, à l’attention, à la perception, à l’apprentissage, de la psychophysiologie via l’observation de la vigilance, des postures, des conditions de travail, ainsi que de la sociologie des organisations » ajoute Philippe Pajot. Est-ce en raison de son caractère multi-facettes et multi-actions permettant à l’ergonomie de s’immiscer au coeur même de ses rouages organisationnels qui la fait trop souvent encore tenir à distance par l’entreprise ? Une apnée dont les risques de remise en question dans ses us et coutumes de fonctionnement l’obligerait ainsi à devoir consacrer des investissements spécifiques ? Une crainte infondée lorsque l’on sait combien, si l’entreprise admet une adaptation de son process organisationnel à ses collaborateurs et non l’inverse comme cela demeure encore le cas, les bénéfices tant en termes sociaux qu’économiques lui paraîtront au final nettement plus fructueux que les coûts représentés par de nécessaires réajustements.
>> La défiance des entreprises
D’un strict point de vue économique, l’ergonomie peut en effet concourir à maintenir l’emploi et à limiter considérablement ce travers, reconnaissonsle, bien français à s’attaquer aux problèmes une fois seulement « l’incendie déclaré ». Quant au prisme social, l’objet de l’ergonomie étant d’apporter une adaptation dans une organisation de travail tout en apportant un confort à la fois physique et psychologique, celle-ci s’inscrit naturellement dans le domaine de la sécurité. Domaine, force est de le rappeler, pour lequel chaque employeur peut avoir sa responsabilité engagée en cas de problème ! « En principe, une entreprise se doit d’admettre et d’appliquer le concept d’ergonomie dans ses trois volets, à savoir l’aspect physique et la connaissance de l’homme en premier lieu, l’organisation du travail en second lieu, la psychologie en troisième point. Or, le plus compliqué pour les ergonomes est de faire accepter aux chefs d’entreprise de les laisser investiguer sur ces trois axes et non pas sur seulement l’un d’entre eux. Le coeur même de l’ergonomie consiste justement en cette analyse globale qui démarre d’abord de manière visuelle avec l’examen des postures adoptées par les collaborateurs à leur poste de travail, puis se poursuit avec une immersion dans l’organisation hiérarchique et managériale. Il est nécessaire pour l’ergonome d’accéder à ce spectre-à afin de lui permettre d’apporter des réponses, d’élaborer des préconisations et voir ensuite si cellesci sont mises en oeuvre » explique Philippe Pajot. Une intervention à la fois verticale et transversale due fréquemment moins à une démarche volontaire et en amont du dirigeant qu’à la demande de la médecine du travail alertée par des signalements. Là où le bât blesse et limite considérablement l’impact de l’ergonomie tient au fait que les préconisations faites en son nom ne dépassent pas la simple valeur de recommandation facultative. Si l’on prend l’exemple archétypal des open space dont une abondante littérature dénonce depuis des années et à juste titre les « dégâts » sur les collaborateurs, peu d’entreprises françaises encore affichent une volonté de les repenser et de mettre en place, à l’instar de grandes sociétés comme Google ou Microsoft, de véritables zones de vie destinées à faire corps avec les collaborateurs tout au long de la journée. « Le grand problème tient à ce que l’homme est devenu statique au fil du temps. S’il y a
encore certains métiers pénibles de manière purement physique, avec l’émergence du tertiaire et du tout Informatique, beaucoup de métiers sédentaires s’avèrent aussi épuisants en raison de l’obligation qu’ils imposent à demeurer des heures rivé devant un écran d’ordinateur avec certaines postures. Une source d’inconfort physique qui se conjugue au stress généré par un management au mode de fonctionnement désormais obsolète » déplore Philippe Pajot.
>> Un concept en constante reformulation
D’où l’apparition aux côtés de l’ergonomie cognitive de ce que les professionnels du genre appellent l’ergonomie logicielle. Ce, avec le but d’améliorer l’interaction homme- ordinateur et faire en sorte que toute application informatique livrée aux utilisateurs soit à la fois utile et facilement maniable. Autre facteur d’évolution désormais étroitement associé à l’ergonomie : le design. D’après un sondage réalisé par TNS Sofres pour Actineo en 2011, l’espace de travail et la manière dont il est configuré est perçu à 86% comme ayant un impact très important sur le bien- être, l’efficacité et la motivation. Evoquons d’ailleurs le tout nouveau siège spécifiquement conçu par Steelcase, numéro un mondial du mobilier de bureau et de l’aménagement des espaces tertiaires, d’enseignement et de formation, pour précisément accompagner les nouvelles technologies ayant aujourd’hui cours dans les entreprises. Baptisé Gesture, ce siège d’un nouveau type permet aux utilisateurs de pouvoir adapter les neuf positions revenant de manière systématique lorsque l’on se retrouve devant un écran d’ordinateur. Autant de postures mises en lumière par les chercheurs mandatés pour les besoins de la cause dans le cadre d’une étude d’observation menée au préalable dans 11 pays auprès de 2.000 personnes au sein d’une multitude d’environnements. « Encore faut- il que sur ces questions de design et de reconfiguration, les collaborateurs y soient associés très en amont afin que ce type de changement soit réellement adapté à leurs besoins dans l’organisation de leurs tâches. Mais il est vrai que si on est mal assis, si on a une mauvaise lumière, si on se trouve dans un espace dépourvu de fenêtre, il est évident que ce genre de carences constitue les premières sources de mal être au sein de l’entreprise. En tout état de cause, une bonne organisation du travail doit permettre aux collaborateurs d’avoir un réel lâcher- prise dans leur manière d’appréhender leurs missions » argumente Philippe Pajot. Et oui ! Au risque d’hérisser plus d’un manager, le poste de travail d’un collaborateur peut parfaitement s’ériger à la terrasse d’un café avec simplement sa tablette ou, tout simplement, à son domicile dans le cadre de ce que l’on connaît sous l’appellation de travail à distance. Bref, de privilégier cette configuration nomade dont les libres expressions qu’elle autorise font comprendre combien ce concept en perpétuelle réinvention qu’est l’ergonomie permettra à l’entreprise de pouvoir se reformuler dans une dimension en parfaite adéquation avec notre ère du troisième millénaire.