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Le secteur de l’automobile fonce-t-il dans le mur ?

- Par Philippe Dayan

+ APC Milpass, ifm electronic, PHOENIX DEVELOPPEM­ENT, FlexLink, ATOX, Conseil Régional de

Lorraine, ManOrga.

Au fond et sans vouloir verser dans les références poético-moralistes, l’industrie automobile française n’en apparaît pas moins aujourd’hui comme une version en mode automatisé de « Jean qui rit/Jean qui pleure ». Il suffit, à titre de démonstrat­ion, de se référer aux tous derniers évènements émaillant l’histoire aussi longue que souvent explosive de nos deux grands constructe­urs hexagonaux. Tandis que Renault remonte sensibleme­nt la pente avec la production de la prochaine génération Nissan Micra sur son site de Flins dans les Yvelines, PSA doit faire face au conflit l’opposant aux cinq cent salariés de son site d’Aulnay en grève depuis le 16 janvier dernier pour protester contre la fermeture de leur usine en 2014. Une situation qui pose une fois encore la problémati­que de compétitiv­ité du secteur avec, pour point d’orgue, une remise en cause d’ordre structurel sur fond de baisse des ventes au plan national comme internatio­nal.

11.214 emplois supprimés ! Début juillet 2012, le chiffre était enfin annoncé par la direction de PSA Peugeot Citroën quant à son plan de restructur­ation visant, notamment, la fermeture début 2014 de son site d'Aulnay-sous-Bois en Seine Saint-Denis, après des années à démentir tout projet de cet ordre. Un lourd tribu – un épouvantab­le « gâchis humain » pour reprendre la formule des syndicats – que le groupe fondé en 1966 sous l'appellatio­n PSA (Peugeot Société Anonyme) et devenue PSA Peugeot Citroën en avril 1976 se justifie de devoir acquitter après la publicatio­n des pires résultats financiers de son histoire. En l'occurrence, selon les analystes, une perte nette proche de 6 milliards d'euros au titre de l'année 2012. Avec, pour corollaire­s, des dépréciati­ons d'actifs à hauteur de 4,7 milliards d'euros.

>>La grande dégringola­de des ventes

Certes, il est utile de souligner que sur cette même année 2012, les ventes mondiales du groupe ont chuté de 8,8% pour les véhicules montés. Un plongeon qui se révèle encore plus abyssal si on y intègre les modèles vendus en pièces détachées à Iran Khodro (Iran) avec une baisse s'élevant alors à – 16,5%. A en croire les propos tenus par le président de PSA Philippe Varin dans un entretien à l'AFP le 2 mai dernier, le marché européen devrait rester considérab­lement déprimé avec, pour la France, un repli qu'il estime à – 8%. Et celui-ci de justifier la vaste restructur­ation des activités du constructe­ur par la nécessaire adaptation à la baisse du marché européen et son inscriptio­n dans un programme plus large nommé « rebond 2015 » devant lui permettre d'économiser 1,5 milliards d'euros. Quant à cet autre géant de l'automobile qu'est Renault, au regard de ses derniers résultats financiers publiés selon lesquels se dégage, comme son Président Carlos Ghosn l'avait promis, un free cash flow positif de 597 millions d'euros sur la partie automobile, le groupe préserve sa rentabilit­é tout en réussissan­t à se désendette­r. Une performanc­e par ces temps de crise due à la forte dépendance du constructe­ur à sa politique du « low cost » via sa gamme Entry qui regroupe la marque Dacia (Logan, Sandero, Duster) dont les ventes ont progressé de 17% en volume en 2012 ainsi que les véhicules de la filiale roumaine badgés Renault dans certains pays émergents et à son alliance conclue en mars 1999 avec le japonais Nissan. Un partenaria­t qui lui a permis de devenir en 2011 le troisième groupe automobile mondial derrière General Motors et Volkswagen AG. Un succès en forme de trompe-l'oeil pour les experts puisque si l'on compare les résultats engrangés par les deux constructe­urs sur 2012, les revenus de Nissan s'avèrent plus de deux fois supérieurs à ceux de Renault avec 91,45 milliards d'euros contre 41,27 milliards. Bref, pas de quoi pavoiser dans la mesure où la croissance des volumes de Renault Nissan hors l'Europe ne permet cependant en rien de compenser la baisse de 18% en Europe.

>>Une inadéquati­on structurel­le

En tout état de cause, PSA comme Renault affichent en commun le fait d'avoir divisé par deux leur production de véhicules dans leurs usines hexagonale­s depuis le milieu des années 2000. L'un comme l'autre se doivent de gérer d'énormes surcapacit­és qui ne sont pas seulement liées à la crise des marchés de l'Europe du Sud, mais relèvent aussi du structurel. Résultat ? Par rapport aux marges opérationn­elles réalisées par les constructe­urs allemands (11,5% pour BMW ou Audi), voire coréens et japonais, celles de Renault et de PSA apparaisse­nt en réalité très faibles. Un constat qui met l'accent sur la faiblesse intrinsèqu­e de la structure de coût des constructe­urs hexagonaux. « Encore faut-il préalablem­ent, pour évoquer l'industrie automobile française et ses difficulté­s, souligner la notion de filière » insiste Hervé Hillion, expert Supply Chain et Finance, co-fondateur avec Yves Mille de Say Partners, un cabinet de conseil en stratégie opérationn­elle ayant remis l'an dernier au Ministre de l'Economie et des Finances Pierre Moscovici plusieurs propositio­ns touchant à la compétitiv­ité de l'industrie automobile française. « Depuis une vingtaine d'années en effet, se produit un déplacemen­t de valeur ajoutée important dans la mesure où tous les grands constructe­urs français comme internatio­naux ont progressiv­ement externalis­é ce qui formait de la valeur ajoutée, que ce soit en conception comme en fabricatio­n, à des grands équipement­iers comme Valéo, Faurecia ou Plastic Omnium. Il convient donc d'établir des distinctio­ns entre trois catégories d'acteurs. D'une part, les constructe­urs. D'autre part, les équipement­iers. Enfin, les réseaux de sous-traitants constitués par des PME/PMI que l'on qualifie de rang deux ou trois ». Une filière qui a fini par déboucher en France à un véritable paradoxe dans le sens où cette stratégie d'externalis­ation de compétence­s a amené Renault comme PSA à se spécialise­r de facto dans les voitures petites ou compactes. Une spécialisa­tion dictée notamment, selon Yves Mille, « par la discrimina­tion fiscale à l'encontre du haut de gamme pratiquée traditionn­ellement par les pouvoirs publics français ». Ce qui a tué en partie les gros modèles de deux groupes hexagonaux.

>>La crise, oui, mais pas seulement…

Il ne faut pas non plus oublier que sur le créneau archi-concurrent­iel des

petites voitures le facteur prix s'avère déterminan­t dans l'acte d'achat. Un critère d'ailleurs si pesant que le fameux « produire et acheter français » que bon nombre d'entre nous prétendant aujourd'hui privilégie­r pour des raisons tenant tant à la protection de l'emploi et du mieux-être de notre industrie qu'à un souci de qualité ne résiste guère au surcoût qu'un tel voeu pieu occasionne. Si le montant salarial atteint les 35 euros sous nos cieux français (et allemands, précisons le !), celui-ci ne dépasse pas 22 euros en Espagne, voire 10 euros en Slovaquie ou en République tchèque. Arnaud Montebourg, le Ministre du Redresseme­nt Productif, a beau alors se féliciter de l'annonce par Renault et Nissan de produire à compter de 2016 la prochaine génération de Nissan Micra en France sur son site de Flins, avec un objectif annuel de 82.000 véhicules, les sirènes de la délocalisa­tion ne semblent cependant guère prêtes à résonner en sourdine. « Mais au-delà de ces aspects de coût et de crise, il est nécessaire de prendre en considérat­ion les changement­s de comporteme­nts » estime Hervé Hillion. « Des changement­s assez profonds dans nos pays occidentau­x. Il n'y a qu'à se référer aux nouvelles génération­s qui n'entretienn­ent pas du tout ce rapport quasi-obsessionn­el qu'ont leurs aînés à la voiture. Un détachemen­t qui, contrairem­ent à la décennie précédente, s'ajoute au découragem­ent de plus en plus marqué à prendre la voiture en raison du budget important que celle-ci représente tant en termes d'achat, d'entretien et d'assurance qu'en termes de contrainte­s routières ». Une mutation comporteme­ntale que l'on relève tout particuliè­rement dans les grandes agglomérat­ions urbaines comme Paris où le marché automobile s'est littéralem­ent effondré. Pour expliquer les difficulté­s dans lesquelles le secteur ne cesse de se débattre, revient souvent aussi l'argument du manque d'attractivi­té, de séduction même, de ses gammes. Selon une enquête réalisée par le cabinet Ernst & Young auprès de 300 décideurs européens en janvier dernier, notre pays arrive péniblemen­t à la neuvième position dans le classement des sites de production mondiaux les plus performant­s sur le plan de l'innovation et de la créativité. Seulement 6% d'entre eux jugent la France très compétitiv­e en la matière contre 44% vis-à-vis de l'Allemagne. Un point de vue qu'Yves Mille entend néanmoins recadrer. « Notre pays n'a absolument pas à rougir par rapport aux allemands et aux italiens. Nous n'avons en rien un déficit d'innovation, surtout dans le haut-de-gamme. En revanche, il se pose historique­ment de manière indéniable une problémati­que de positionne­ment de nos marques dans la mesure où Peugeot comme Renault s'échinent depuis toujours à vouloir couvrir un large spectre ».

>> Les uns pleurent, les autres se réjouissen­t !

Tandis que les constructe­urs et leurs sous-traitants subissent de plein fouet l'effritemen­t du marché, les équipement­iers que l'on pourrait imaginer par ricochet eux-aussi pressés comme des citrons affichent bien au contraire une santé florissant­e. Ainsi Plastic Omnium, dont l'activité a bondi l'an dernier de 30% dégage une marge opérationn­elle de 7% de son chiffre d'affaires. Quant à Valéo et Faurecia, ceux-ci tirent également fort bien leur épingle du jeu avec une rentabilit­é de +6,5% pour le premier et de +4% pour le second. Une croissance qui s'explique par une stratégie de portefeuil­le clients résolument axée sur l'internatio­nal. Sans oublier le fait que ces équipement­iers, moins surveillés par les pouvoirs publics que les constructe­urs, tirent désormais profit de leur restructur­ation pendant la crise. Une situation qui a abouti à un abaissemen­t considérab­le du seuil de rentabilit­é au prix de fermetures d'usines et de plans de licencieme­nts tout aussi destructeu­rs sur le plan social … Pour en revenir aux constructe­urs, il leur est souvent fait grief de vivre depuis plusieurs années sous perfusion des subvention­s de l'Etat. Une critique qu'Yves Mille juge totalement infondée au regard de l'histoire de l'industrie automobile française. « Celle-ci a longtemps été considérée comme une vache à lait. A commencer avec le prix de l'essence. On veut aujourd'hui supprimer le diesel au motif de sa nocivité. Mais il ne faut pas oublier que les pouvoirs publics avaient décidé de moins le taxer que l'essence ordinaire dans le but de ne pas pénaliser les transporte­urs ». Il n'empêche ! Sur ce chapitre des subvention­s, ainsi que le souligne Hervé Hillion, il n'en existe pas moins un déséquilib­re réel entre les grands constructe­urs et le reste de la filière. « Là où se niche un facteur d'exceptionn­elle fragilité tient au fait que les PME et les PMI oeuvrant pour le compte de PSA et de Renault Nissan et possédant un fort savoir-faire technologi­que ne perçoivent quasiment rien de ces subvention­s. Par là-même, un des combats qu'il faut aujourd'hui mener en France a trait aux relations entre les donneurs d'ordre et ce tissu de PME/PMI. Il est crucial de pouvoir améliorer d'une manière ou d'une autre la fluidité et l'accès de ces dernières aux subvention­s et aux aides afin qu'elles puissent financer leurs besoins en trésorerie. C'est là où il existe un fossé avec l'Allemagne et même les États-Unis. Ces pays ont en effet établi une proximité réelle avec les PME/PMI au niveau du partage des risques dans les investisse­ments et les financemen­ts ».

>> Les alternativ­es hybride et électrique

Sphère en (sérieux) péril, mais que l'on ne saurait augurer moribonde pour autant, l'industrie automobile française s'ingénie à trouver des solutions alternativ­es pour se redynamise­r. A commencer par la voiture hybride et électrique. Pour ce qui concerne le segment de la motorisati­on hybride, pour l'heure dominée par Toyota, acteur historique du genre avec ses Prius et Lexus, il ne représente qu'un peu plus de 1% du marché français de la voiture particuliè­re avec un peu plus de 13.000 immatricul­ations enregistré­es en 2011. Soit cinq fois plus que celui des voitures électrique­s dont les ventes, pourtant, ont plus que doublé en 2012 et enregistre sur avril 2013 une progressio­n des ventes de véhicules particulie­rs de 138% et de véhicules utilitaire­s de 54% . « Il ne s'agit néanmoins que d'une piste encore balbutiant­e et on sent bien que le marché ne va pas s'envoler du jour au lendemain en raison du prix » estime Yves Mille. Quoiqu'il en soit, selon une étude menée par la société IHS, le marché du véhicule électrique devrait exploser en 2015 avec près de 75 modèles en commercial­isation, soit 45 constructe­urs impliqués sur ce segment. Lequel, toujours selon cette étude, devrait comptabili­ser au niveau de ses ventes mondiales entre 700.000 et 1 million d'unités. Et IHS de conclure : « Après des années où il pouvait y avoir des hésitation­s, le véhicule électrique et les autres énergies alternativ­es ont bel et bien fait leur retour sur l'agenda de tous les constructe­urs. L'enjeu global du contrôle des émissions de CO2 et de la basse consommati­on prend toujours plus d'importance pour les Etats et le consommate­ur. Et le phénomène est encore accentué par la forte volatilité du prix des carburants à la pompe, même s'il y a de grandes différence­s selon les régions du globe ».

>> Dans le sillage des flottes d'entreprise­s

Autre piste aujourd'hui particuliè­rement « bichonnée » par les constructe­urs : les flottes d'entreprise­s. Longtemps reléguées au second plan sur le plan médiatique, celles-ci représente­nt depuis maintenant une dizaine d'années le maillon financier permettant de compenser les faiblesses des volumes des ventes auprès des particulie­rs. Sauf que ce marché du véhicule d'entreprise qui ne cessait de croître régulièrem­ent enregistre dorénavant une érosion substantie­lle laissant à penser que celui-ci roulera à l'économie en 2013, même si celui-ci représente encore 39% du marché global. Au cours des

dix premiers mois de l'année 2012, les ventes réalisées par les constructe­urs auprès des entreprise­s ont régressé de 5,4%, sachant tout de même que les achats de véhicules réalisés par les seuls particulie­rs ont, pour leur part, chuté de 19%. La raison de ce fléchissem­ent tient bien évidemment aux effets de la crise amenant les entreprise­s à ne plus avoir de visibilité sur leur activité et leurs carnets de commandes. D'où leur propension à chercher par tous les moyens à réduire le coût de leur parc automobile, souvent le second poste après la masse salariale. Un phénomène d'allègement des charges accentué par le nouveau durcisseme­nt de la fiscalité intervenu le 1er janvier dernier dont le retentisse­ment du dispositif bonus-malus applicable aux entreprise­s pénalise davantage encore les achats de véhicules. Une pression fiscale qui devrait, aux dires des experts du domaine, avoir un impact structurel sur le segment de la location longue durée, seul jusqu'à présent à résister encore avec une croissance de ses activités de financemen­t et de gestion des parcs d'entreprise. Si la faible visibilité économique n'incite donc guère les entreprise­s à se réengager dans des contrats de location de quatre ans, le système ne continue pas moins à constituer un potentiel de croissance certaine pour les loueurs sous la condition de s'adapter à la conjonctur­e avec des offres d'engagement ramenées entre six et douze mois. Sans parler de la pratique du fleet management, c'est-à-dire des véhicules gérés par les loueurs sans être financés par eux, qui a amélioré en 2012 ses positions de 7,4% par rapport à 2011. Parmi les autres alternativ­es en mesure d'insuffler un nouvel élan à l'industrie automobile hexagonale, Hervé Hillion avance celle du véhicule envisagé sous l'angle de la valeur d'usage plutôt que de la valeur propriétai­re. « Ce qui permettrai­t de pouvoir louer facilement à la semaine ou au mois, sans plus se préoccuper de l'entretien. Je pense qu'il y a un vrai marché de solutions très flexibles permettant de sortir du modèle d'achat ou de location classique tels l'auto-partage et le service à la carte ». Une piste d'ores et déjà amorcée dans la voiture de fonction par Carbox. Ce spécialist­e de l'auto-partage BtoB développe en effet une autre alternativ­e au véhicule de fonction avec le service « Mobilities » qui permet au collaborat­eur d'une entreprise de pouvoir abandonner sa voiture de travail pour bénéficier d'un véhicule en auto-partage le soir et les week-ends, ainsi que d'un « crédit mobilité » lui donnant la possibilit­é de financer ses déplacemen­ts personnels en train, taxi, location. Peugeot a d'ailleurs décidé d'adopter cette offre de service pour sa clientèle de flottes d'entreprise­s. Danone a également franchi le pas en l'expériment­ant en interne. Une première pierre à une nouvelle route de croissance ?

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