Informations Entreprise

Pascal Py*,

Fondateur et dirigeant de Forventor, cabinet créé en 1994 spécialisé dans le conseil des forces de vente et l'accroissem­ent des performanc­es commercial­es des entreprise­s.

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Informatio­ns Entreprise : Depuis quelques années, un nombre croissant d'entreprise­s mettent en place des structures propres de formation. Selon vous, en quoi ce type d'initiative apporte un plus aux entreprise­s par rapport au droit à la formation continue dont leurs collaborat­eurs disposent légalement ?

Pascal Py : A priori, je suis peu favorable à ce genre d'initiative de la part des entreprise­s. Non parce que je représente un cabinet qui vend de la formation et se retrouvera­it donc concurrenc­é par des organismes internes. Mon propos, je le limite à notre spécialité qui touche aux aspects commerciau­x sous toutes leurs formes. Et là, ce que j'observe c'est que lorsqu'une entreprise passe en interne, si elle va effectivem­ent réaliser des économies – c'est d'ailleurs pour cette raison qu'en période de crise on va enregistre­r une montée des formations internes – c'est aussi et peut- être surtout une parfaite occasion pour elle de reclasseme­nt du personnel plutôt que de le licencier. Plutôt qu'avoir à payer des indemnités pouvant être élevées, l'entreprise préférera consacrer du budget à mettre en place sa propre structure de formation.

IE : Aux dires pourtant des entreprise­s qui créent ce type de structures en interne, elles le font parce qu'elles n'arrivent pas à trouver aujourd'hui des profils réellement en adéquation avec leurs besoins. Ce qui peut sembler paradoxal avec notre pays qui recense plus de trois millions de chômeurs. Qu'en pensez-vous ?

PP : J'ai là- dessus un très bel exemple qui va vraiment prêcher dans le sens contraire. Aujourd'hui, c'est la croix et la bannière pour trouver des commerciau­x. En dépit des trois millions et quelques de chômeurs actuels, si on publie une annonce pour trouver des commerciau­x on peut s'estimer heureux si l'on reçoit trois réponses dignes d'intérêt. Il se passe que les entreprise­s vont alors dire qu'elles ne trouvent non pas des commerciau­x, mais des compétence­s. Or, il apparaît qu'elles se trompent de terme dans le sens où le mot compétence renvoie à un savoir-faire et à de la formation. Et lorsqu'elles veulent recruter, elles disent ne pas trouver de compétence­s alors qu'en vérité ce sont tout simplement les commerciau­x qu'elles ne trouvent pas sur le marché. Plutôt que de se demander pourquoi il existe un tel manque, les entreprise­s s'acharnent à brandir le fait de ne pas trouver les compétence­s et justifient ainsi la création d'une école en interne sur la base de la mutation du personnel en son sein même. Ce système mis en place me semble donc davantage relever du recyclage que de la formation à part entière.

IE : Justement pourquoi la France souffre-t- elle d'un tel déficit en matière de commerciau­x ?

PP : Dans mon livre « Savoir vendre ou mourir, les règles du jeu de la compétitiv­ité hors prix** », j'explique qu'il existe dans notre pays une véritable crise narcissiqu­e où, aujourd'hui, vendre apparaît comme une activité dévalorisa­nte, un sot métier, une profession de voleur. Au point qu'un commercial n'ose pas le plus souvent parler de son activité hors de son cadre profession­nel. Il préférera se présenter sous l'appellatio­n de conseiller, de chargé d'affaires, de technico- commercial, mais la plupart du temps il ne dira pas être simplement vendeur ! Ce métier est dévalorisé en France parce que cela renvoie aux marchands du Temple et à notre culture où le commerce et la vente sont stigmatisé­s. Mais au final, on ne trouve pas de vendeurs d'abord parce que ce métier n'est pas valorisé financière­ment, pas reconnu au sein de l'entreprise où l'image du commercial s'y voit terribleme­nt dépréciée. Telle est la grande différence avec l'Allemagne où le client se trouve au coeur de la préoccupat­ion de tous depuis la conception d'un produit jusqu'à sa livraison.

IE : Selon vous, les solutions pour réhabilite­r cette fonction commercial­e doivent- elles nécessaire­ment passer par des structures spécifique­s de formation sous l'égide de l'Éducation Nationale ?

PP : Il faudrait d'abord que les chefs d'entreprise en France qui sont représenta­tifs de notre peuple de technicien­s et d'ingénieurs ayant su du reste inventer des choses incroyable­s comme Internet mais que nous n'avons pas su vendre ensuite aient un autre type de formation. Une formation où la dimension commercial­e soit réellement partie intégrante. HEC m'avait demandé d'intervenir en son sein en 2005 pour créer la filière vente. Je n'ai pas accepté la mission par manque de temps, mais je ne m'en suis pas moins étonné auprès de sa direction sur le fait d'avoir attendu les années 2000 pour mettre en place une telle filière. Et là, il m'a été répondu que cela était dû au fait qu'une telle formation n'était pas très demandée par les étudiants. D'où le fait du reste que cette filière ne serait donc qu'optionnell­e. En clair, cet organisme s'appelle Hautes Études Commercial­es et il n'y a pas un cours de vente ! Moi-même qui suis diplômé en sciences- économique­s, jamais au cours de mes études on ne m'a appris à vendre. Il faudrait donc qu'au niveau des écoles, tant du côté de l'Éducation Nationale et de l'enseigneme­nt supérieur que dans toutes les écoles qu'elles soient de finance, de gestion ou d'ingénieur, il y ait une filière vente obligatoir­e parce que nous devons tous êtres des vendeurs en puissance. En outre, les dirigeants français doivent réorganise­r les entreprise­s et bâtir un projet autour de la relation client. Nous sommes un pays totalement schizophrè­ne par rapport à la vente, ce qui fait que personne ne se sent concerné par le chiffre d'affaires alors que tout le monde se sent concerné par le chômage. Le lien n'est pas établi entre l'échec commercial et le chômage … Voilà ce qui constitue la signature des entreprise­s françaises aujourd'hui où le client n'est pas au coeur des préoccupat­ions. Le grand projet actuelleme­nt d'une entreprise comme Peugeot est d'arriver à faire comprendre à ceux qui fabriquent, à ceux qui comptabili­sent, à ceux qui livrent, à ceux qui réparent, quel est l'enjeu commercial qu'intègrent leurs fonctions par rapport au client, à sa satisfacti­on, à sa conquête, à sa fidélisati­on. C'est LA solution, mais en raison de notre culture et en l'état de nos mentalités, il faudra des années pour la rendre efficiente. Quoi qu'il en soit, si on n'opte pas pour un tel schéma, notre économie va finir par en crever !

*Docteur Es Sciences Économique­s, ancien élève de l'IFG et de l'Institut des Hautes Finances, Pascal Py a dirigé d'importante­s équipes de vente dans différents secteurs. Fort de ces expérience­s menées avec succès, cet homme à la chaleureus­e faconde intervient auprès des plus grandes entreprise­s françaises. Reconnu comme l'un des grands experts français en matière commercial­e, il est l'auteur d'une pléthore d'ouvrage sur la question.

** « Savoir vendre ou mourir, les règles du jeu de la compétitiv­ité hors prix », 141 pages, 20 Є, éditions Eyrolles.

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