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Gérard Mestrallet, Président d’Afalula, l’Agence française pour le développement d’AlUla
Président d’Afalula, l’agence française pour le développement d’AlUla, Gérard Mestrallet, ancien président d’Engie, décrypte les enjeux culturels, touristiques et économiques pour l’Arabie saoudite et la France.
Comment présenteriez-vous AlUla au public français ?
AlUla, ce sont, d’une part, des paysages désertiques à couper le souffle, sculptés par le vent, l’eau et la géologie, et, d’autre part, 7 000 ans d’histoire. Le projet vise à les révéler aussi bien aux Saoudiens et autres nations de la région qu’au reste du monde, car ce sera évidemment une destination touristique exceptionnelle.
D’où est venue l’idée ?
Elle vient du prince héritier et du roi, qui considèrent ce projet comme l’un des accélérateurs de la transformation du pays. Ils ont d’autres projets, comme ceux de deux stations balnéaires sur la mer Rouge ainsi qu’un projet d’entertainment près de Ryad, mais ces derniers ont une dimension surtout économique. AlUla est un projet culturel et, bien entendu, touristique. À AlUla, il y a une concentration de sites présentant les différentes civilisations qui ont précédé l’islam, de l’Empire romain au paléolithique en passant par les cultures dananites et lihyanites. La volonté est que ce projet bénéficie avant tout aux populations locales. Actuellement, il y a 60 000 habitants à AlUla. À terme, il y en aura sans doute au moins 100 000.
Un gigantesque musée à ciel ouvert, en somme ?
Ce sera bien plus que cela, mais, en effet, les autorités saoudiennes ont parlé d’un musée à ciel ouvert. De notre côté, nous avons proposé le concept d’une constellation de musées. Il y en aura plusieurs : un musée de la civilisation arabe, un musée dédié à l’oasis, un musée du parfum, un musée sur les volcans, un musée sur le ciel, un musée sur le cheval arabe.
Combien de jours faudra-t-il prévoir pour visiter AlUla ?
Si l’on veut profiter de tout, il faudra venir une semaine, car il y aura aussi des concerts en plein air, de nombreuses excursions,
de la gastronomie du désert retravaillée avec le savoir-faire français. Nous formons actuellement vingt-quatre chefs à l’école Ferrandi, à Paris. Ils iront ensuite travailler dans les brigades des chefs étoilés qui participeront au prochain festival d’hiver. Néanmoins, des séjours de quatre à cinq jours permettront aussi de profiter du site.
À partir de quand tout cela va-t-il exister ?
Dès cet hiver, à l’occasion du festival Winter at Tantora du 19 décembre 2019 au 7 mars 2020, dans des conditions hyper privilégiées. Vous pouvez maintenant obtenir des visas touristiques en vingt-quatre heures pour visiter l’Arabie saoudite. Comme, pour l’instant, il n’y a pas de grosses capacités d’hébergement, vous dormirez sous des tentes luxueuses, des sortes de lodges. L’ouverture officielle du site d’Hégra, le Pétra saoudien, interviendra en octobre 2020.
Quand le déploiement complet sera-t-il achevé ?
Il faut compter dix à vingt ans. L’accord signé avec la France porte sur dix ans renouvelables. Les premiers hôtels, dont celui conçu par Jean Nouvel, seront terminés en 2023 ou 2024.
Quelle est la dimension économique de ce projet ?
Certains observateurs ont estimé que cela représenterait au total un investissement situé entre de trente et cinquante milliards d’euros. Il faut créer des infrastructures : les bâtiments pour loger les personnes qui vont travailler sur place, les hôtels, l’eau, l’énergie, les transports. Il faut agrandir l’aéroport. C’est donc un projet de premier plan. Les travaux du BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières, NDLR) sur les sous-sols ont démontré que, localement, on pouvait trouver tous les matériaux dont on a besoin. Il y a une variété géologique considérable. Des carrières et des entreprises de transformation de la pierre brute vont être créées. Elles emploieront plusieurs centaines de salariés.
Pourquoi êtes-vous impliqué dans ce projet ?
En novembre 2017, le président Macron est allé inaugurer le Louvre Abu Dhabi. Au retour, il a fait escale à Ryad pour rencontrer le prince héritier. Ce dernier lui a parlé du projet AlUla et lui a dit qu’il avait besoin de la France, un pays aux savoir-faire à la fois culturels, touristiques et entrepreneuriaux, et, de ce fait, idéalement placé pour le développer. Il m’a choisi probablement parce que c’est un grand projet – j’en ai fait quelques-uns dans ma carrière –, et parce qu’Engie et SUEZ, que j’ai dirigés, sont très présents dans cette région. Engie y a investi près de trente milliards de dollars dans des unités de production d’électricité, dont six en Arabie saoudite. Quant à SUEZ, le groupe traite par exemple les eaux usées de Ryad. Je connais donc assez bien la région.
Pourquoi avoir créé l’Agence française pour le développement d’AlUla ?
Nous nous sommes inspirés de l’agence qui avait été mise en place pour la création du Louvre Abu Dhabi et qui a fait ses preuves. Lors de la signature du traité avec l’Arabie Saoudite, le président Macron a insisté sur un point : la priorité, c’est la coopération en matière de culture.
Quelles retombées économiques pour la France ?
Notre rôle est double : d’abord co-construire le projet avec les Saoudiens, ensuite mobiliser l’excellence, le savoir-faire français. Nous voulons informer les entreprises françaises du contenu du projet et les préparer aux appels d’offres. Évidemment, rien n’est garanti pour elles, mais nous leur recommandons de ne pas attendre les appels d’offres pour réfléchir et faire des propositions.
Une bonne idée peut-elle encore être retenue ?
Oui, car il n’y a pas encore de master plan. Nous sommes en train de l’établir avec une équipe de très haut niveau dans tous les domaines : architecture, conception des musées, tourisme, sécurité… Il y a déjà eu des premiers appels d’offres et certains ont été gagnés par des entreprises françaises.
Y aura-t-il des projets dans le domaine des transports ?
Nous serons impliqués d’une façon ou d’une autre. Nous rédigeons ensemble les appels d’offres et ils seront ensuite lancés par la Royal Commission for AlUla (RCU), présidée par le prince héritier. L’une des idées est de relier AlUla aux nouveaux sites de la mer Rouge par l’Orient-Express, un train mythique (un joint-venture entre Accor et SNCF) qui sera pour l’occasion entièrement restauré.
Les entreprises françaises seront-elles privilégiées ?
Non. Il faudra qu’elles soient les meilleures. La France a les compétences, non seulement dans les domaines touristiques et culturels, mais aussi dans les secteurs des infrastructures, de l’eau, des routes, du bâtiment, de l’ingénierie, de la sécurité. C’est vrai aussi dans l’agriculture et la formation. Dès l’année dernière, soixante jeunes Saoudiens, trente garçons et trente jeunes femmes, sont venus en France apprendre notre langue et les métiers de l’accueil.
« ALULA, CE SONT, D’UNE PART, DES PAYSAGES DÉSERTIQUES À COUPER LE SOUFFLE, SCULPTÉS PAR LE VENT, L’EAU ET LA GÉOLOGIE, ET, D’AUTRE PART, 7 000 ANS D’HISTOIRE. »
Quelle sera la prochaine décision économique importante ?
Le master plan sera présenté d’ici la fin de l’année. C’est lui qui définira ce qu’il faudra faire dans les prochaines années. Il prévoira notamment la localisation des différents musées. Après, il faudra travailler sur chacun d’entre eux tout en respectant une certaine unité. Il ne faut pas que ce soit une juxtaposition de projets indépendants les uns des autres. Ils partageront un style architectural et une approche muséale particulière.
Qui finance cette phase de développement ?
Le capital de l’agence est détenu à 100 % par l’État français. Mais ses frais de fonctionnement sont financés par l’Arabie saoudite, conformément au traité signé entre les deux pays. AlUla, c’est un territoire saoudien et sacré qui représente l’histoire du pays. Cela suppose de notre part de la détermination pour pousser nos idées et celles des institutions françaises, mais, en même temps, du doigté. Nous avons choisi des équipes respectueuses de nos interlocuteurs.
Vous voulez dire qu’il faudra faire preuve de diplomatie ?
Oui. La France propose, anime, alimente, préconise, imagine, mais, à la fin, la décision ne peut être que saoudienne. La décision finale sera toujours une décision de l’Arabie saoudite. C’est un projet fantastique et enthousiasmant. La modernisation de ce pays va être accélérée par la venue des touristes du monde entier à AlUla. Les choses sont déjà en train de changer positivement dans le pays, en particulier pour les femmes.
Ce projet s’inscrit-il dans la préparation de l’après-pétrole ?
Tout à fait. C’est très clair. Ils savent bien que le pétrole, qui est leur principale ressource, va régresser. Historiquement, ils sont déjà passés du pétrole pur au gaz et à la pétrochimie. Mais la chimie consomme énormément d’énergie fossile. Il faut donc trouver des relais de croissance. Le tourisme est l’une des solutions.