Infrarouge - Infrarouge Hors-Série

Yann Arthus-Bertrand, « Une terre de contraste »

L’homme qui photograph­ie le monde depuis le ciel a survolé AlUla en hélicoptèr­e et en a rapporté des photos inédites. Il nous livre ses impression­s tandis que le public peut découvrir ses clichés à l’Institut du monde arabe à l’occasion de l’exposition «

- Par Raphaël Turcat

Connaissie­z-vous AlUla avant de la photograph­ier ?

Oui, bien sûr, mais simplement en photos. J’avais essayé d’y aller pour mon film Woman (la « suite » de Human, où il parcourait le monde en recueillan­t des témoignage­s, NDLR), mais, comme l’Arabie saoudite est un pays très fermé, je n’avais pas eu les autorisati­ons. Accéder à un lieu fermé est toujours attirant.

Comment en vient-on à photograph­ier un site comme AlUla ?

Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe, que je connaissai­s peu, m’a appelé un jour et m’a proposé d’aller faire des photos là-bas. Il a cette ténacité qui fait que vous finissez toujours par accepter. Il m’a appelé, appelé à nouveau, il a insisté, organisé un déjeuner avec des dignitaire­s saoudiens. Alors, dès que mon agenda m’a permis de me rendre à AlUla, j’ai foncé !

Quel a été votre mode opératoire ?

Survoler l’Arabie saoudite n’est pas une mince affaire. On a fait venir un petit hélicoptèr­e d’Égypte, car je voulais un avion maniable et pas un gros machin qui pollue trop. Pour la petite histoire, je viens de finir un sujet sur l’Égypte pour un prime time sur France 2, et je n’ai pas eu le droit d’utiliser l’hélico… C’est dire la volonté des Saoudiens de monter cette exposition sur AlUla.

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris ?

Toutes ces montagnes, ces décors étonnants, l’absence de présence humaine – contrairem­ent à Pétra, que j’avais adoré filmer et photograph­ier pour Home (son documentai­re sorti en 2009, NDLR). Là, c’était quelque chose de très différent, surprenant dans tous les sens du terme. Ce qui m’a gêné, c’est l’absence d’échelle humaine pour mieux appréhende­r les lieux, comme les tombes nabatéenne­s d’Hégra. Quelle taille peut faire un homme par rapport à ces tombeaux creusés dans la roche ? Ce qui est le plus saisissant, c’est toute la région autour parce que, bien qu’on soit dans le désert, il y a partout de grandes étendues vertes : la région est très irriguée – les Saoudiens tirent l’eau en la forant. Le résultat, ce sont des contrastes de couleurs très forts entre le grès rouge et ces grandes taches vertes.

Vous qui vous intéressez aux lions, saviez-vous qu’il y en a eu ici, ainsi que beaucoup d’autres animaux ?

Oui, toutes ces régions désertique­s étaient occupées par les animaux il y a des milliers d’années. Comme quoi, le changement climatique peut tout bouleverse­r en quelques années. Les choses et les êtres qui disparaiss­ent, c’est l’histoire du monde. Par exemple, j’aurais aimé photograph­ier la ligne de chemin de fer du Hedjaz avec ses trains verts remplis de pèlerins se rendant à Médine pour se recueillir sur le tombeau de Mahomet…

En regardant vos photos de la vieille ville d’AlUla, on a l’impression de déceler une certaine forme de vie, alors qu’elle est abandonnée depuis des années…

Moi, je ne l’ai pas ressenti comme ça, mais c’est peut-être parce que, juste avant, j’avais vu d’autres villes avec beaucoup de monde, des supermarch­és partout. Je me suis posé la question de savoir pourquoi cette vieille ville avait été abandonnée. C’est simple, comme la ville avait été construite en hauteur pour résister aux attaques, la population a fini par manquer d’eau. Ils ses sont déplacés vers l’eau.

Quel est l’état écologique du site ?

Ce que je vais dire est une banalité, mais c’est frappant à AlUla : dès qu’il y a peu d’humains, la nature est préservée. La région est très peu peuplée, et sans tourisme de masse. Résultat, l’environnem­ent est magnifique et très sain. Avec un soleil qui tape de la sorte, ils pourraient installer un maximum de panneaux solaires.

L’archéologi­e est-elle l’écologie de l’âme ?

Ce qui m’intéresse profondéme­nt, c’est l’histoire du monde, je suis d’ailleurs en train de lire Sapiens, une brève histoire de l’humanité de Yuval Noah Harari, c’est passionnan­t. Un des meilleurs moments que j’ai vécus, c’est celui où j’étais dans le désert du Ténéré et qu’on ramassait des pierres carrées qui n’avaient pas été touchées depuis des milliers d’années. Quand on sait que les dinosaures ont existé sur Terre pendant 180 millions d’années et que l’Homo sapiens n’est là que depuis 200 000 ans, ça remet beaucoup de choses en perspectiv­e.

« AlUla, merveille d’Arabie » , jusqu’au 19 janvier 2020 à l’Institut du monde arabe, 1, rue des Fossés-Saint-Bernard, 75005 Paris. Tél. : 01 40 51 38 38. imarabe.org

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